La corruption – « abus de pouvoir à des fins d'un profit personnel » – coûterait quelque 120 milliards d'euros par an aux 28 pays de l'Union européenne. Aucun d'entre eux n'est épargné, même si leur situation varie fortement. C'est l'une des conclusions du rapport – le premier du genre – que devait présenter, lundi 3 février, la Commission.
L'initiative a été lancée en juin 2011, alors que la crise financière bat son plein, met sous pression les gouvernements et coûte cher aux citoyens. Or, « la corruption sape la confiance de ces derniers dans les institutions démocratiques et l'Etat de droit, nuit à l'économie et prive les pouvoirs publics des recettes fiscales dont ils ont besoin », explique Cécilia Malmström, la commissaire européenne aux affaires intérieures.
Ses services ont examiné la situation dans chaque pays membre de l'Union et dressent, pour la France, un diagnostic mitigé. « Paris a légiféré sur de nombreuses questions touchant à la corruption mais n'a pas élaboré de stratégie nationale spéciale de lutte contre ce phénomène », relève la Commission.
DES PROGRÈS DEPUIS 2007
L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les Nations unies (qui s'appuient sur une convention multilatérale anticorruption, l'Uncac) et le groupe compétent du Conseil de l'Europe (Groupe d'Etats contre la corruption, Greco) saluent cependant les progrès accomplis depuis 2007, avec une réforme législative importante, dont une loi anticorruption contenant des dispositions pénales et créant sept nouvelles infractions.
En 2012, le rapport « Pour un renouveau démocratique » de la commission présidée par Lionel Jospin a recommandé une série de mesures, dont la restriction du cumul des mandats, la limitation de l'immunité présidentielle ou le renforcement des règles sur le financement des partis.
Mais le gouvernement a suspendu les débats sur les projets qu'il avait élaborés alors que les institutions internationales recommandent des pas supplémentaires. Notamment l'allongement des délais de prescription et l'extension de l'incrimination du délit de trafic d'influence à des responsables étrangers.
L'opinion, elle, juge la corruption « très répandue » dans le pays : c'est ce qu'affirment 68 % des personnes interrogées dans le cadre d'un sondage, – l'Eurobaromètre spécial 2013 –, réalisé en février et mars 2013. Un score qui reste toutefois inférieur à la moyenne européenne, de 76 %.
Quelque 62 % des Français pensent qu'on ne peut réussir en affaires sans avoir de relations dans le monde politique (56 % pour l'ensemble de l'Union) et 58 % pensent que les abus de pouvoir et l'usage de pots-de-vin sont répandus parmi le personnel politique (moyenne des Vingt-Huit : 56 %). Quelque 2 % des sondés disent avoir été personnellement confrontés à des affaires de corruption.
LES PATRONS DÉNONCENT LE FAVORITISME
Du côté des patrons, interrogés pour un autre Eurobaromètre, le diagnostic n'est pas plus positif. Selon 73 % d'entre eux, le favoritisme et la corruption entravent la concurrence entre les entreprises. Et 59 % des sociétés françaises affirment que la corruption est l'un des problèmes auxquelles elles sont confrontées dans l'exercice de leurs activités. Sur ces deux derniers points, c'est plus que la moyenne européenne, respectivement de 69 % et 43 %.
Et c'est dans le domaine des marchés publics, à l'échelon national ou local – soit, au total, une activité qui pesait, en 2011, 369 milliards d'euros et 18,5 % du produit intérieur brut – que le phénomène serait le plus prégnant. Soumissions concertées, critères de sélection imprécis, invocation abusive de l'urgence ou cahier des charges rédigé « sur-mesure », ces pratiques ne conduisent pas toujours à des faits de corruption mais accroissent les risques, juge le rapport.
Le Service central de prévention de la corruption (SCPC), créé en 1993 et placé sous l'autorité du garde des sceaux, décèle des dangers spécifiques aux marchés locaux, où les mécanismes de contrôle sont très insuffisants. Les manquements, y compris pour « délit de favoritisme », sont rarement punis et, s'ils le sont, débouchent généralement sur des condamnations avec sursis ou des amendes légères. Même constat pour le délit d'enrichissement illicite (douze affaires dénoncées depuis 1988 et classées sans suite par le parquet).
S'appuyant sur les rapports du SCPC, Bruxelles juge par ailleurs que le cumul des mandats est « l'un des facteurs les plus propices à la corruption » dans un pays où plus de sept parlementaires sur dix occupent au moins une autre fonction.
La corruption transnationale est un autre souci des services de Bruxelles. « Si les autorités françaises ont obtenu des résultats lors de leurs enquêtes très médiatiques sur le plan national, leur participation à la lutte contre la corruption dans les transactions commerciales internationales est moins probante », affirme le rapport, qui vise sociétés privées et entreprises publiques.
Pour l'OCDE, le fait que les juridictions françaises soient compétentes seulement si l'auteur d'un délit est de nationalité française explique ces lacunes. Tout comme les dispositions qui prévoient que l'acte doit constituer un délit à la fois en France et dans le pays où il a été commis.
D'autres points méritent « une attention accrue », conclut le chapitre sur la France : « La poursuite des efforts » pour assurer l'indépendance des procureurs, les moyens de certains services – la section financière du pôle économique et financier de Paris a perdu un tiers de ses magistrats – ou la nécessité de clarifier le financement des partis et des campagnes électorales.
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