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Crime

Les gangs du Salvador ont proposé une trêve — le gouvernement leur déclare la guerre

Le gouvernement a déclaré l’état d’urgence dans sept prisons du pays, et devrait bientôt mobiliser l’armée pour lutter contre les gangs dans certaines zones.
Photo by David de la Paz/EPA

Cela a été une année sanglante pour le Salvador. Une guerre entre deux gangs de rue puissants - la Mara Salvatrucha (MS-13) et Barrio 18 - a fait exploser le taux d'assassinat de ce petit pays d'Amérique centrale. Certains craignent que de récents événements ne fassent empirer les choses

La semaine dernière, les gangs rivaux, appelés les pandillas, ont proposé d'arrêter les massacres en échange de concessions du gouvernement, mais les autorités ont plutôt décidé de poursuivre la lutte contre les gangs à la racine : dans les prisons notoirement corrompues et surpeuplées de ce pays. Les chefs de gang opèrent derrière les barreaux, en utilisant des téléphones portables de contrebande pour surveiller l'évolution du trafic de drogue dans la rue et des extorsions de fonds, ou pour ordonner des enlèvements et des meurtres.

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Mardi, le gouvernement a déclaré l'état d'urgence dans sept prisons, promettant des fouilles approfondies à la recherche d'armes, d'argent et de téléphones portables. Ils ont également déplacé 299 membres de haut rang du MS-13 vers une prison de haute sécurité près de San Salvador, la capitale du pays.

«Ils vont être soumis à un régime de sécurité plus élevé, avec un contrôle plus poussé, pour être sûr que la communication à l'intérieur du système pénitentiaire est arrêtée », a déclaré à la presse le ministre de la Justice, Mauricio Ramírez.

Les autorités ont également annoncé une nouvelle législation anti-gang qui pourrait mobiliser l'armée pour lutter contre les gangs dans certaines municipalités. La Cour suprême du pays a précédemment déclaré que les gangs pourraient être classés comme des organisations terroristes. Les parlementaires devaient approuver les nouvelles mesures ce jeudi.

Au moins 6 657 personnes ont été assassinées au Salvador l'an dernier, dont 63 policiers. Ce fut l'année la plus meurtrière dans le pays depuis 1983, lorsque des groupes de guérilla de gauche se sont empêtrés dans une guerre civile avec la dictature militaire soutenue par les Américains. Les tueries ont continué au même rythme en 2016, avec une moyenne de 23 meurtres par jour. La situation a conduit à un exode des femmes et des enfants, qui fuient au nord, vers les États-Unis.

La semaine dernière, trois cadres présumés du MS-13 et de Barrio 18 ont posté une vidéo sur YouTube, demandant à toutes leurs forces d'arrêter les massacres dans tout le pays pendant trois jours. Les autorités se sont aperçues que les meurtres ont diminué de manière significative au cours de cette période.

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« Nous voulons montrer aux gens, au gouvernement actuel, et aux représentations internationales qu'il n'y a pas lieu de proposer des mesures qui viennent juste de violer notre Constitution et toutes les lois qui en émanent", a déclaré l'un des leaders présumés, qui a gardé son visage couvert d'un tissu.

Ils ont également demandé de meilleures conditions et moins de restrictions dans les prisons où sont détenus les hauts dirigeants des deux organisations.

Les gangs avaient déjà convenu d'une trêve en 2012, et les meurtres avaient alors diminué de 40 pour cent à l'échelle nationale en neuf mois. Les extorsions et d'autres crimes auraient cependant continué, et la découverte de fosses communes a suggéré que les meurtres ont peut-être tout simplement continué de façon plus cachée.

L'accord s'était effondré complètement en 2014, lorsque le président Salvador Sánchez Cerén avait pris ses fonctions, et que les gangs avaient recommencé à rivaliser entre eux et avaient assassiné des officiers de police. Plus de 800 officiers de police du pays ont démissionné au cours des trois dernières années, avec un grand nombre de rapports indiquant que leurs familles ont été menacées.

Les critiques de la trêve — une grande partie de l'élite politique du pays ainsi que les familles qui ont perdu des proches à cause de la violence des gangs — soutiennent que la négociation avec les gangs ne sert qu'à les légitimer et à accroître leur pouvoir.

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En adoptant une approche répressive de la criminalité, le gouvernement Sánchez a durci la lutte, au point d'autoriser la police à utiliser la force létale « chaque fois que nécessaire ».

« Tous les membres de la PNC (Police nationale civile) qui doivent utiliser des armes contre les criminels dans le cadre de leur travail devraient le faire en toute confiance », a déclaré l'année dernière le directeur de la police, Mauricio Ramírez, au cours d'une conférence de presse. « Il y a une institution qui nous soutient. Il y a un gouvernement qui nous soutient. »

Raul Mijango — un ancien leader de guérilla qui était le principal médiateur de la trêve de 2012 —, a déclaré que les mesures annoncées par le gouvernement cette semaine avaient déjà été tentées, et avaient seulement conduit à plus de sang.

« C'est une guerre irrégulière qui est difficile à combattre avec des méthodes classiques », a déclaré Mijango. « Pour que les pouvoirs en place réussissent à arrêter cela, ils doivent utiliser des méthodes plus civilisées, comme le dialogue », a-t-il ajouté. « Ils ont marginalisé la jeunesse de ce pays encore plus, ce qui les rend vulnérables à l'influence des gangs. Ils n'ont fait que rendre les maras plus fort. »

Raul Mijango pense que la réticence du gouvernement à tenter une stratégie pacifique a plus à voir avec la politique qu'avec les gangs.

« Ce dialogue (de 2012) s'était soldé par un accord qui a ouvert l'un des processus les plus efficaces d'Amérique Latine en matière de réduction de la violence », a-t-il dit. « Nous avons réduit le taux d'homicides quotidien de 15 à 5 homicides, pendant 15 mois consécutifs. Les gangs n'ont pas échoué, c'est le gouvernement qui a échoué pour assurer ses propres intérêts politiques. »

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Selon Mijango, les nombreux politiciens salvadoriens qui ont soutenu la trêve — et qui ont commencé à utiliser les gangs pour gagner des voix dans les élections —, ont ensuite changé leur fusil d'épaule une fois au pouvoir. Deux leaders du parti d'opposition nationaliste conservatrice Alliance républicaine sont actuellement sous le coup d'une enquête concernant leur rôle dans la précédente trêve des gangs.

De leur côté, les gangs ont clairement fait savoir que si la trêve n'était pas acceptée, alors les politiciens devraient avoir peur. Les hommes masqués dans la vidéo ont laissé entendre ce qui se passerait en cas de mise en oeuvre des mesures d'urgence dans les prisons.

« Nous alertons le gouvernement sur le fait qu'il ne peut pas en finir avec les gangs, parce que nous faisons partie de la communauté de notre pays », ont-ils dit. « Alors nous leur faisons savoir que nous avons les moyens de détruire la vie politique de ce pays. »


Suivez Alan Hernández et Keegan Hamilton sur Twitter : @alanpasten et @keegan_hamilton

Cet article a d'abord été publié sur la version anglophone de VICE News

Regardez notre documentaire Les Gangs du Salvador