Les noirceurs photographiques de Mario Giacomelli

Solidement ancré dans sa région des Marches, cet autodidacte en a fixé la vie dans des clichés où se heurtent le noir et le blanc, à la manière des estampes.

Par Luc Desbenoit

Publié le 01 avril 2016 à 19h30

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 02h34

La simplicité du petit musée de l'Orangerie de Sens rend déjà un hommage inattendu aux images de Mario Giacomelli (1925-2000). Dépouillé, d'une sobriété classique, le lieu est au diapason de la vie du photographe italien élevé modestement par une mère blanchisseuse dans l'hospice de sa ville natale de Senigallia sur les bords de l'Adriatique, dans la région des Marches. Apprenti dès l'âge de 13 ans au sein d'une imprimerie qu'il rachètera plus tard, Giacomelli est un « photographe du dimanche ». Il compose exclusivement pendant ses loisirs une oeuvre lyrique, violente, charnelle, amoureuse, avec le même appareil photo, une antiquité bricolée, rafistolée avec du scotch.

Giacomelli puise son inspiration autour de lui, sur le pas de sa porte, ou dans les limites de ce qu'il peut couvrir à pied. Dans le mouroir de la ville, il foudroie au flash de vieilles femmes édentées, à moitié folles, allongées nues sur des lits sommaires, leurs seins desséchés se confondant avec les rêches plis des draps. Ses émotions à fleur de peau, sa révolte face à la déchéance des corps humains ou de cadavres d'animaux saisis dans les abattoirs, surgissent de l'image en cri d'épouvante, ou en chant d'une douceur extatique lorsqu'il ­assiste à la ronde enfantine de séminaristes se tenant la main sous la neige.

En 1963, sa vision fantomatique des habitants du village proche de Scanno avait ébloui John Szarkowski (1925-2007), le directeur de la photographie du Moma, à New York, qui avait alors acheté et exposé la série, assurant la renommée mondiale de Giacomelli. D'autres que lui auraient changé de vie, voyagé, monnayé leurs images. Il n'envisage pas une seconde de quitter sa terre natale — « ma respiration de tous les jours », se contentait-il d'expliquer. Giacomelli a continué de distribuer à l'occasion ses clichés à ses voisins, des exemplaires uniques qu'il développait lui-même et rinçait dans le lavoir de sa maison, dans l'esprit graphique des ­estampes, créant une tension à la ­limite de la rupture entre les noirs et les blancs. Sans cesser de photographier sa femme, ses amis, les paysans, les enfants sur les plages. Ou encore, du haut des cieux, à bord d'un avion de tourisme, les champs qu'il transforme en tableaux abstraits à la Klee, striés de cicatrices au moment des ­labours. Grâce à son jumelage avec ­Senigallia, la ville de Sens a eu accès à ses meilleures images. Certaines, comme ces natures mortes aux couleurs délavées, sont très peu connues.

A voir

« Empreintes italiennes», jusqu'au 14 avril à l'Orangerie des musées de Sens (89). Tél. : 03 86 64 46 22. Catalogue éd. Musées de Sens, 60 p., 12 €.

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