Les lanceurs d’alerte bientôt protégés par la loi française ?

Une proposition dans la loi Sapin 2 pourrait aboutir à la création d'un statut pour protéger juridiquement et financièrement les lanceurs d’alerte, mais aussi leurs cibles.

Par Jérémie Maire

Publié le 01 avril 2016 à 18h07

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 02h35

Le Snowden français qui sommeille quelque part pourra-t-il sortir du bois si la mesure est adoptée ? Proposé en Conseil des ministres mercredi 30 mars 2016 et devant l’Assemblée nationale d’ici fin mai ou début juin, un amendement à loi Sapin 2 sur la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique propose la création d’un statut qui protégerait les lanceurs d’alerte. C’est une nouvelle Agence nationale de prévention et de détection de la corruption, créée ad hoc, qui s’en chargerait.

De l’aveu de Michel Sapin, la France et le monde doivent beaucoup à ces « whistleblowers » : « Beaucoup de scandales récents n’auraient pas éclaté sans le courage des lanceurs d’alerte. Hélas, certains en payent lourdement les conséquences dans leur vie professionnelle et privée », a expliqué le ministre des Finances.

Si la proposition est adoptée, les lanceurs d'alerte bénéficieraient enfin d'une définition de leur rôle. Un Julian Assange hexagonal ou les émules d’Hervé Falciani (à l’origine des Swissleaks de la banque HSBC) ou d’Antoine Deltour (le scandale LuxLeaks) seraient ainsi protégés par un « statut unique » qui viendrait les aider à se défendre. Cette couverture officielle et juridique viserait à informer ces lanceurs d’alerte (notamment avec des canaux sécurisés mis en place), protéger leur anonymat et aussi à financer les frais de justice « s’ils doivent se défendre contre des attaques ou sanctions injustifiées ». De son côté, celui qui ferait l'objet d'une alerte infondée serait, lui aussi, défendu par la loi.

Un dispositif à compléter pour des personnes ostracisées

Cet amendement renforcerait un dispositif dont les contours étaient jusqu'alors assez flous. Six lois ont été adoptées entre 2007 et 2015 à propos de l’alerte, créant un statut sommaire et inégal de « whistleblower ». Celui-ci diffère en fonction de la nature de l’alerte donnée (corruption, santé publique et environnement, conflits d’intérêts, crimes et délits ou renseignement). Aucune catégorie n’offrait les mêmes droits aux empêcheurs de tourner en rond. La loi Sapin 2 harmoniserait les différentes dispositions afin de mieux protéger ces lanceurs d’alerte… sans pour autant couvrir entièrement le problème. En effet, l’agence mise en place dépendrait de l’autorité des ministères de la Justice et du Budget, ce qui n’est pas la preuve d’une « réelle indépendance » selon Nicole-Marie Meyer, de Transparency International France, association qui se bat pour plus de transparence dans la vie publique et contre la corruption. Mais aussi parce qu’une fois l'attention autour de l’alerte retombée, les lanceurs très médiatisés se retrouvent parfois ostracisés pour avoir parlé.

C'est le cas de Stéphanie Gibaud, qui révéla en 2008 les mécanismes d’évasion fiscale mis en place par son employeur, la banque UBS. Dans un billet de blog sur Mediapart, elle explique qu’après avoir permis à l’admistration française d’être alertée sur les milliards d'euros qui lui échappaient, rien n’a été fait pour la soutenir. « Contrairement à Edward Snowden en asile à Moscou, à Julian Assange réfugié à l'Ambassade de l'Equateur à Londres ou encore à Chelsea Manning emprisonnée trente-cinq années pour avoir parlé, j'ai le droit de circuler, je suis libre de mes mouvements. Mais pour avoir parlé, je n'ai plus le droit d'être une femme ni une mère comme les autres. La sanction est invisible mais bien réelle : sans revenus, je suis amenée par la précarité à une mort lente et douloureuse », écrit celle qui est, selon le titre de son billet, « obligée de quitter [s]on appartement ». C’est pourquoi elle avait écrit à Bercy, avec son ancien collègue d’alerte à UBS Nicolas Forisser et Hervé Falciani, maître-chanteur devenu « whistleblower », pour demander au ministère d’envisager un paiement au nom des « services considérables qu'ils ont rendu à l'État français ».

« C'est un dispositif qui se veut exemplaire », a promis Michel Sapin dans le JDD…. Il devrait permettre de rattraper le retard pris par la France après plusieurs réculades. Ainsi en juin dernier, lors des débats autour de la loi renseignement, l'amendement qui prévoyait que l'agent d’un service de renseignement témoin de dérives puisse les signaler à une commission, y compris à l’aide de documents classifiés, avait fait long feu. Comme l’expliquait Le Monde, l’alinéa en question a été édulcoré à la dernière minute : un agent lanceur d'alerte ne peut à l'heure actuelle divulguer d’informations classifiées. Il lui est donc impossible de lancer de grandes alertes, puisqu’elles seraient sans preuve. Il faut espérer que le texte de la loi Sapin 2, prévoyant enfin un début de statut pour les lanceurs d'alerte en France, garde sa substantifique moelle, faute de quoi il risque de devenir une autre coquille vide.

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