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« Panama papers » : en Islande, le chef du gouvernement et deux ministres sur la sellette

Sigmundur David Gunnlaugsson, un de ses conseillers, le ministre des finances et la ministre de l’intérieur sont liés, à des degrés divers, à des sociétés offshore. Ces révélations pourraient générer une crise politique d’ampleur en Islande

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Publié le 29 mars 2016 à 19h59, modifié le 04 avril 2016 à 09h25

Temps de Lecture 5 min.

Le premier ministre islandais, Sigmundur David Gunnlaugsson et son épouse lors d'une fête privée pour son 40è anniversaire.

Le premier ministre islandais, deux des principaux membres de son gouvernement, le chef de son parti : tous ont eu des liens avec des sociétés dans des paradis fiscaux sans l’avoir déclaré publiquement. Les « Panama Papers », ces données de la société panaméenne Mossack Fonseca dévoilées par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung, dévoilent les étranges pratiques des principaux responsables politiques du pays et pourraient générer un scandale d’ampleur, dans un pays qui affirme avoir fait le ménage après la gigantesque crise bancaire de 2008.

La petite île de 329 000 habitants avait en effet vigoureusement poursuivi ses banquiers, en envoyant au moins deux douzaines d’entre eux en prison. Ils ont notamment été accusés de s’être prêtés mutuellement des centaines de millions de dollars pour faire croire que leurs établissements étaient en bonne santé. Le premier ministre d’alors, Geir Haarde, tombé après des manifestations monstres, avait été mis en accusation pour « négligence », et reconnu coupable en 2012 par la Haute Cour de justice du pays.

Le premier ministre islandais, Sigmundur David Gunnlaugsson, a en effet possédé avec sa femme, et dans le plus grand secret, une société baptisée Wintris Inc. dans les îles Vierges britanniques.

Quatre ans plus tard, l’Islande a-t-elle vraiment changé ? Le premier ministre islandais, Sigmundur David Gunnlaugsson, a en effet possédé avec sa femme, et dans le plus grand secret, une société baptisée Wintris Inc. dans les îles Vierges britanniques. Son existence n’est devenue publique que le 15 mars, lorsque l’épouse de M. Gunnlaugsson a révélé son existence sur Facebook – quatre jours après une interview tendue du premier ministre par l’ICIJ. « L’existence de cette société n’a jamais été un secret », a assuré Anna Sigurlaug Palsdottir, en expliquant être la seule propriétaire de la société. Wintris aurait été fondée, selon elle, en 2007, à une époque où le couple hésitait entre rester au Royaume-Uni et s’installer au Danemark. Wintris n’aurait été qu’un simple instrument de placement après la vente d’une fructueuse entreprise familiale, en parfaite légalité avec le fisc islandais.

L’opposition réclame cependant la démission du premier ministre, et une pétition a déjà recueilli plusieurs milliers de signatures. M. Gunnlaugsson refuse fermement de partir et explique n’avoir aucun intérêt personnel dans Wintris. Pourtant, la société était codétenue par le couple jusqu’au 31 décembre 2009, date à laquelle il a cédé ses parts à sa femme pour un dollar symbolique. Et il n’a mentionné l’existence de Wintris dans sa déclaration de patrimoine ni lors de son entrée au Parlement, en avril 2009, ni lorsqu’il est devenu premier ministre, en mai 2013.

Un conflit d’intérêts en faveur de trois banques islandaises

La question d’un conflit d’intérêts se pose ouvertement. La société a en effet été créancière à hauteur de 4 millions de dollars des trois principales banques islandaises, Landsbanki, Kaupthing et Glitnir, nationalisées après leur faillite. Les obligations détenues par Wintris auraient toujours une valeur considérable, bien qu’ils ne titrent que 15 à 30 % de leur valeur faciale. Or, M. Gunnlaugsson est arrivé au pouvoir en surfant sur la vague de colère des Islandais contre les banques et en promettant d’employer la manière forte contre les créanciers internationaux de ces trois établissements.

M. Gunnlaugsson est devenu célèbre alors qu’il était à la tête du mouvement InDefence, opposé à la signature d’un accord de remboursement avec les créanciers étrangers des banques du pays.

Ancien journaliste, M. Gunnlaugsson est devenu célèbre alors qu’il était à la tête du mouvement InDefence, opposé à la signature d’un accord de remboursement avec les créanciers étrangers des banques du pays. Les Islandais ont rejeté deux fois par référendum un accord de cet ordre et causé une crise diplomatique avec le Royaume-Uni et les Pays-Bas où se trouvaient nombre de ces investisseurs. Président du Parti du progrès (libéral) en 2009, M. Gunnlaugsson est devenu en mai 2013, à 38 ans, le plus jeune premier ministre de l’île. Le Parti du progrès avait cogéré le pays entre 1995 et 2007, période pendant laquelle les banques avaient été privatisées et avaient vu leur valeur exploser, jusqu’à constituer une bulle, mais il avait réussi à améliorer l’image du parti et faire oublier son passé.

Les journalistes de l’ICIJ ont demandé le 11 mars à M. Gunnlaugsson s’il avait possédé une société offshore. « Moi ? non », a-t-il commencé à répondre, avant de se reprendre. « Les sociétés islandaises avec lesquelles j’ai travaillé ont eu des connexions avec des compagnies offshore, (…) mais j’ai toujours déclaré tous mes actifs et ceux de ma famille. Je n’ai jamais caché aucun de mes actifs. » Interrogé sur Wintris, le premier ministre, visiblement mal à l’aise, a assuré que cette société avait toujours été déclarée au fisc, avant de couper là l’interview. Depuis, il a assuré à d’autres médias islandais que « les déclarations d’intérêts [du premier ministre] doivent uniquement mentionner les sociétés qui ont une activité économique, ce qui n’a jamais été le cas de cette société ».

D’autres ministres possèdent des sociétés offshore

Les « Panama Papers » suscitent des interrogations sur d’autres éminents politiques islandais. Le ministre des finances et de l’économie, Bjarni Benediktsson, apparaît en effet comme copropriétaire d’une société-écran, Falson & Co, créée en 2005 aux Seychelles par Mossack Fonseca. Il est le chef du Parti de l’indépendance (conservateur), allié du Parti du progrès dans la coalition gouvernementale. « Je n’ai jamais eu d’actifs dans des paradis fiscaux », avait pourtant déclaré le ministre en février 2015.

Il assure aujourd’hui devant l’ICIJ que la société a été créée pour gérer la propriété de quatre appartements dans un immeuble en construction à Dubaï, « une question de convenance pour gérer tous les problèmes dans une seule entité légale ». Il assure avoir déclaré ses parts « aux autorités fiscales en Islande », et avoir tout vendu avant le changement de réglementation sur les déclarations de patrimoine des parlementaires en 2009. « Je n’étais pas au courant que la société était hébergée aux Seychelles, je pensais que c’était une compagnie luxembourgeoise », a-t-il ajouté.

Olof Nordal, la ministre de l’intérieur, apparaît, elle, comme mandataire d’une société créée dans les îles Vierges en novembre 2006. Son mari, Tomas Mar Sigurdsson, directeur d’exploitation en Islande du géant américain de l’aluminium Alcoa, est comandataire de cette société. Il a assuré à l’ICIJ que la société devait abriter une éventuelle revente de stock-options d’Alcoa – ce qui ne s’est jamais produit. C’était une idée de la banque Landsbanki – propriétaire officielle des parts de la société. « Nous n’avons jamais possédé aucune société offshore », assure M. Sigurdsson.

En dehors de ces ministres, les « Panama Papers » prouvent encore que le leader du Parti du progrès et conseiller du premier ministre, Hrolfur Olvisson, est lié à deux sociétés offshore. Il a assuré à l’ICIJ que tout était « légal ». Ces révélations jettent cependant une lumière crue sur un épisode survenu au Parlement en mai 2014. Interrogé sur l’éventuel achat par le fisc de données sur les sociétés offshore proposées par des lanceurs d’alerte, M. Gunnlaugsson avait louvoyé, et s’était demandé si réclamer ces données serait « réaliste et utile ».

Ryan Chittum, Johannes Kr. Kristjansson, Bastian Obermayer et Frederik Obermaier, adapté et traduit par « Le Monde ».

#BahamasLeaks Le lexique de l'offshore
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