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« Panama papers » : comment « Le Monde » a travaillé sur plus de 11 millions de fichiers

La fuite à l’origine des « Panama papers » est une immense base de données sur laquelle 109 médias internationaux ont travaillé pendant près d’un an.

Par  et

Publié le 30 mars 2016 à 14h20, modifié le 04 avril 2016 à 14h56

Temps de Lecture 6 min.

Le Monde et 108 médias internationaux ont commencé dimanche 3 avril la publication des « Panama papers », série de révélations sur les paradis fiscaux. Pendant près d’un an, nous avons travaillé sur une gigantesque base de données interne du cabinet panaméen Mossack Fonseca, l’un des leaders mondiaux de la domiciliation de sociétés offshore.

A quels documents « Le Monde » a-t-il eu accès ?

Comme tous les médias partenaires du Consortium international de journalistes d’investigation (ICIJ), Le Monde a eu accès à un peu plus de 11,4 millions de documents, pour un total de plus de 2,6 téraoctets de données. Soit plusieurs décennies de lecture jour et nuit si l’on veut aller d’un bout à l’autre de la base de données – sans compter la complexité de certains dossiers.

La première partie des documents constitue un registre des 214 488 structures offshore créées ou administrées par le groupe Mossack Fonseca entre sa création en 1977 et la fin de l’année 2015. Un registre qui pourrait être public, si le cabinet d’affaires n’était pas abrité dans des paradis fiscaux. Comme dans un document issu du registre du commerce en France, on y retrouve les dates importantes de la structure (création, dissolution), l’identité de l’intermédiaire financier qui est intervenu (banque, avocat fiscaliste) et les noms des actionnaires et administrateurs de la société – qui sont souvent des prête-noms.

A chaque société est également attachée une série de documents sous divers formats (PDF, images, documents Word, présentations Powerpoint, tableurs et même fichiers audio) qui renseignent parfois sur son activité et ses bénéficiaires réels.

Mais l’essentiel de la richesse de la base de données vient d’e-mails et de courriers scannés qui retracent le fonctionnement quotidien du groupe Mossack Fonseca. On y retrouve aussi bien des correspondances internes entre les employés du groupe que les communications avec leurs clients, qui en disent souvent bien plus que les documents administratifs.

Si l’immense majorité des documents sont en anglais (mondialisation des paradis fiscaux oblige), certains sont en français, en espagnol, en chinois et en russe.

Que sait-on de la source des « Panama papers » ?

Le « leak » qui a mis au jour le scandale des « Panama papers » a permis la fuite de millions de documents et données de la firme panaméenne Mossack Fonseca. Elle provient d’une source qui a remis gracieusement au Süddeutsche Zeitung les fichiers de la firme spécialisée dans le montage de sociétés offshore. Pour le protéger, l’identité du lanceur d’alerte n’a pas été divulguée aux médias partenaires du Consortium international de journalistes d’investigation (ICIJ) qui ont travaillé sur l’enquête.

L’authenticité des fichiers a toutefois pu être vérifiée à deux reprises, par la Süddeutsche Zeitung et par Le Monde. Plusieurs fractions de ce « leak », parcellaires et plus anciennes, avaient été vendues aux autorités fiscales allemandes, américaines et britanniques au cours des dernières années, une procédure qui est devenue relativement habituelle, notamment en Allemagne. La France fait ainsi partie des pays qui se sont vus proposer l’achat d’une partie des « Panama papers ». Outre-Rhin, les investigations sur la base de ces documents ont donné lieu à une série de perquisitions en février 2015 contre des banques allemandes soupçonnées de complicités de blanchiment et de fraude fiscale. La Commerzbank, deuxième établissement bancaire d’Allemagne, a accepté en octobre 2015 de payer 17 millions d’euros d’amende pour avoir aidé certains de ses clients à frauder le fisc avec l’aide de sociétés enregistrées par Mossack Fonseca.

Comment « Le Monde » a-t-il effectué ses recherches ?

La technologie a rendu possible l’exploration de cette masse immense de données. L’ICIJ a mis à notre disposition des outils performants pour effectuer des recherches dans les « Panama papers » (y compris les documents scannés, grâce à un système de reconnaissance textuelle). Un moteur de recherche nous a permis de naviguer plus facilement au sein des données, en partant d’un nom, d’une société ou d’une expression.

Pour faire face à une telle base de données, il existe deux types d’approche. La première est lancer une recherche à partir de termes qui peuvent permettre de tirer un premier fil. Par exemple, on regarde ce que met au jour le terme « passeport français », en espérant que la recherche pointe vers un nom connu, vers une société, vers une piste potentielle. On peut aussi rechercher des termes du jargon de Mossack Fonseca, comme « PEP » (« personne politiquement exposée »), « UBO » (« bénéficiaire économique ultime ») ou encore « Due Diligence » (vérification de l’identité du client).

La seconde approche, plus méthodique, requiert de créer des listes en amont. Plutôt que de rechercher « parlementaire français », il s’agit de récupérer la liste complète des parlementaires français, sur les sites de l’Assemblée nationale, du Sénat et du Parlement européen, et de lancer une recherche systématique grâce aux outils mis en place par l’ICIJ.

Ainsi, outre une recherche méthodique sur les parlementaires français et européens, nous avons épluché la liste Challenges des 500 Français les plus riches (et son corollaire à l’international, la liste Forbes), les organigrammes des principaux partis politiques français, la liste des ministres français depuis les années 1980, les administrateurs du CAC 40, les personnalités préférées des Français, les personnes citées dans des affaires politico-judiciaires depuis 2000, les chefs d’Etat et de gouvernement du monde entier ou encore les joueurs de l’équipe de France de football. Sans oublier les noms des actionnaires du Monde, qui ont été inclus dans ces recherches.

Quand un nom ou un thème présentait de l’intérêt en apparaissant dans la base de données, il a encore fallu s’atteler à décrypter toute la correspondance afférente à la coquille offshore visée. Quand une même personne détient cinq sociétés différentes dans autant de juridictions pour créer des montages financiers complexes, le temps de recherche et d’analyse pour comprendre les tenants et les aboutissants est exponentiel.

Si « Le Monde » ne cite pas un nom, cela signifie-t-il qu’il n’est pas dans la base ?

Pas forcément. Tout d’abord, parce que, malgré près d’un an de travail, nous n’avons pas eu le temps de fouiller l’intégralité des « Panama papers ». Très loin de là. Nous nous sommes surtout concentrés sur les périodes récentes, celles qui font tout l’intérêt de ces données par rapport à celles auxquelles nous avions eu accès dans les leaks précédents. De nombreuses recherches restent à effectuer, sur des listes de noms, ou des périodes plus anciennes.

Ensuite, parce que les outils à disposition, si performants soient-ils, ne sont pas infaillibles. Si une personne n’est citée que dans un document manuscrit scanné, il est possible que le moteur de recherche ne l’ait pas repérée, la rendant invisible pour nous, sauf par un heureux hasard. De même, certaines fautes d’orthographe ou certaines variantes dans la graphie des noms nous ont peut-être fait passer à côté de documents intéressants.

En outre, si une personne n’apparaît pas, cela ne signifie pas pour autant qu’elle n’a pas utilisé les services de Mossack Fonseca. Elle a peut-être réussi à préserver son anonymat en enregistrant sa société au nom d’un proche, ou en recourant efficacement à des prête-noms. D’ailleurs, malgré nos recherches, nous n’avons pas la moindre idée du bénéficiaire économique de très nombreuses sociétés administrées par Mossack Fonseca.

Enfin, il faut garder en tête que Mossack Fonseca n’est pas le seul domiciliateur de sociétés offshore : beaucoup de personnalités de premier plan qui ont pu recourir aux services de ses concurrents restent aujourd’hui dans l’anonymat.

Dernier point : Le Monde a choisi de ne publier que les noms qu’il jugeait dignes d’intérêt : responsables publics, grands acteurs de l’économie, de la culture et du sport ou fraudeurs avérés, que nous avons systématiquement cherché à contacter avant parution.

L’apparition d’un nom dans les « Panama papers » signifie-t-il qu’il est lié à des sociétés offshore ?

Pas forcément. Des centaines de noms de particuliers ou d’entreprises sont mentionnés dans les fichiers, non pas parce qu’ils sont liés à des sociétés offshore, mais, par exemple, au détour d’un compte-rendu de recherche Google, effectuée systématiquement par un sous-traitant de Mossack Fonseca sur des milliers de clients, et qui renvoyait un résultat sans rapport direct avec eux. L’un des auteurs de ces lignes a d’ailleurs eu la surprise de voir son nom apparaître dans la base, du fait de ces mêmes extraits de recherches, qui renvoyaient à l’un de ses articles.

« Le Monde » a-t-il reçu de l’aide pour ses recherches ?

Nous n’étions pas seuls à travailler sur cette enquête. Au-delà de la masse des données, le défi posé par les « Panama papers » résidait dans la mondialisation du système offshore. Plusieurs sujets transnationaux ont donc fait l’objet d’enquêtes communes entre plusieurs des 109 rédactions impliquées dans le projet. Plusieurs confrères étrangers incidemment tombés sur des documents intéressants pour le lectorat français nous ont également signalé leurs trouvailles – et vice versa.

Pourquoi ne pas ouvrir la totalité des données au public ?

Comme pour les précédentes opérations de ce type (« OffshoreLeaks », « SwissLeaks »…), nous faisons le choix – ici collectif pour toutes les rédactions impliquées – de ne rendre public qu’un travail issu d’investigations journalistiques. D’évidentes raisons de responsabilité et de respect de la vie privée nous y obligent. Outre que leur interprétation est complexe et demande de croiser de nombreuses données, les documents contiennent en effet d’énormes masses d’informations personnelles, comme les adresses personnelles ou les téléphones.

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