"Mariage pour tous" : le "baiser de Marseille" devenu icône

Le baiser de Marseille.

Le baiser de Marseille.

Photo Gérard Julien (AFP)

Marseille

C'est l'histoire d'une photo prise à Marseille et qui continue de faire le tour du monde : les deux amies hétéro voulaient clouer le bec aux anti-mariage gay

Marseille, le 23 octobre 2012. En plein débat sur le mariage pour tous, Julia, 17 ans, et Auriane, 19 ans, deux étudiantes, défient des manifestants de l'association Alliance Vita, devant la préfecture de Marseille, en s'embrassant spontanément devant leurs yeux médusés. "Face à la haine, c'est une réponse par l'amour", diront les deux amies hétéros qui passaient par là. Le cliché, pris à la volée par le photographe marseillais de l'AFP Gérard Julien, devient vite une référence en matière d'acte citoyen antidiscrimination. Il fait le tour de la Toile, des médias, des réseaux sociaux : son efficacité photogénique est telle qu'il est rapidement appelé Le baiser de Marseille.

L'image est retentissante, fait parler et intéresse les Films de force majeure, une société de production marseillaise, qui envisage alors un documentaire sur l'homophobie à Marseille. Le baiser de Marseille sera réalisé par Valérie Mitteaux et diffusé deux ans après la prise de la fameuse photo, au cinéma Les Variétés.

"On a rencontré Valérie dans un festival, se souvient Jérôme Nunes, producteur et distributeur du film. Elle nous a parlé de son documentaire Fille ou garçon, mon sexe n'est pas mon genre, elle connaissait un peu Marseille et on a décidé de faire ensemble ce film pour comprendre et décrypter l'homophobie à Marseille et en Paca, mais aussi le sexisme car ces deux discriminations sont souvent liées." La réalisatrice interroge les deux étudiantes devenues stars, les membres de l'Alliance Vita et des associations locales de défense des droits LGBT (Lesbian, gay, bi et trans). "Ici, on ressent un climat machiste qui a un impact sur la population LGBT, analyse Jérôme Nunes. Marseille est un port, une ville de rencontres, l'homosexualité y est présente mais pas visible et le milieu associatif pas assez structuré."

Si les deux jeunes filles sont revenues sur le pourquoi de ce baiser symbolique, devenu historique, dans les médias puis dans ce film documentaire de 52 mn, elles ont ensuite préféré sortir des questionnements et conséquences politiques de leur geste, n'imaginant pas créer un tel buzz - la photo sera même agrandie pour figurer dans l'expo Au bazar du genre du tout nouveau Mucem, en 2013 ! Mais le cliché a la vie dure. Il a continué son chemin, notamment sur les sites militants de lutte contre l'homophobie. Il est régulièrement utilisé par la plate-forme pour le changement change.org, les réseaux sociaux, comme un symbole du mouvement pour l'avancée des droits. Le documentaire connaît depuis une belle vie dans de nombreux festivals, notamment LGBT , en France et à l'étranger (Belgique, Afrique du Sud, Inde, Allemagne, Autriche) et sera probablement bientôt édité en DVD - VOD.

"C'est génial de voir cette nouvelle génération pour qui être homo ou hétéro est indifférent", nous confie Valérie Mitteaux, encore fascinée de voir à quel point cette photo est devenue emblématique d'un mouvement planétaire de défense des droits des homosexuels. Pour cette ancienne journaliste, qui monte actuellement un documentaire sur une famille rom qu'elle suit depuis 12 ans lorsqu'elle s'est installée en France, cette photo reflète aussi une époque. La naissance de la Manif pour tous. "Un mouvement qui a permis à des personnes homophobes d'avoir une visibilité, de tenir un discours obscène et extrêmement violent au nom de la soi-disant défense de l'enfant : ce sont plus de 100 000 enfants de couples homosexuels qui ont pu se sentir visés !"

Conscients de l'importance d'aller à la rencontre des jeunes pour libérer la parole, mais surtout susciter le dialogue et la réflexion, l'association SOS Homophobie va continuer à donner vie à ce documentaire. Elle prévoit des interventions dans des centres sociaux marseillais, qui débutent ce mois-ci, sur le modèle des Interventions en milieu scolaire qu'elle réalise déjà depuis 2010 dans la région - plus de 5 500 élèves sensibilisés lors de cette année scolaire ! L'idée étant de projeter le documentaire puis d'ouvrir le débat sur le film et l'homophobie avec les ados. "Déconstruire les préjugés, et parler du vivre-ensemble. Ces questions liées à la sexualité sont la cause de nombreux suicides. Il s'agit de santé publique", plaide-t-on chez SOS Homophobie. "Nous sommes de mieux en mieux accueillis par le personnel éducatif qui a désormais bien conscience des enjeux, développe Alain Pécoult, de la délégation Paca. Et globalement, on parle d'homosexualité de manière plus libérée avec les élèves qu'en 2012-2013, lors du débat sur le mariage gay." Bref, Le baiser de Marseille n'a pas fini de faire parler de lui, et de faire se délier les langues.