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Editorial. « Panama papers » : le tournis, le vertige et la nausée

« Editorial ». Près de 11,5 millions de documents, 214 000 entités offshore, 128 responsables politiques et plus de 200 pays concernés… Les « Panama Papers » jettent une lumière crue sur le système mondialisé et opaque de la finance offshore

Publié le 04 avril 2016 à 06h33, modifié le 04 avril 2016 à 15h53 Temps de Lecture 3 min.

Panama City, capitale du Panama

Editorial D’abord, il y a les chiffres, à donner le tournis. Les « Panama papers » constituent une étape marquante dans l’histoire de la collaboration des organes de presse internationaux pour éclairer les mécanismes opaques des paradis fiscaux, un basculement de l’investigation dans l’ère du big data. Jamais enquête n’a rassemblé autant de journaux du monde entier, pendant neuf mois, en toute discrétion. Près de 11,5 millions de documents internes du cabinet Mossack Fonseca, l’un des champions mondiaux, au Panama, de la domiciliation de sociétés-écrans, ont été obtenus par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et analysés par 107 médias, dans 76 pays du monde entier, dont Le Monde en France. Ce travail a porté sur plus de 214 000 entités offshore créées ou administrées par Mossack Fonseca en près de quarante ans, dans 21 paradis fiscaux différents et pour des clients issus de plus de 200 pays.

Ensuite, il y a les noms, à donner la nausée. Ceux du roi d’Arabie saoudite, du président argentin, du premier ministre islandais, parmi douze chefs d’Etat et de gouvernement (dont six actuellement en activité), auxquels il convient d’ajouter ceux de 61 personnalités proches de dirigeants mondiaux, comme Sergueï Roldouguine, ami intime de Vladimir Poutine, ou encore Rami Makhlouf, cousin et grand argentier de Bachar Al-Assad. En tout, 128 responsables politiques et hauts responsables publics du monde entier (hauts magistrats, président de banque centrale, ministres, députés… toutes fonctions qui devraient astreindre à l’exemplarité), dûment identifiés par les journalistes du consortium, figurent au catalogue hétéroclite des clients de Mossack Fonseca, à côté des barons de la drogue, des milliardaires et des stars du ballon rond.

Une carte de la finance mondiale du crime

Mais, surtout, il y a le tableau d’ensemble, à donner le vertige. La révélation des « Panama papers » vaut avant tout pour cette carte, la plus complète et la plus à jour (ses dernières données remontent à quelques mois) que l’on ait jamais pu dresser d’un pan entier de la finance mondiale, jusqu’alors protégé des regards. S’y mêlent les flux de l’argent propre et de l’argent sale, les eaux « grises » issues de la fraude fiscale, et celles, « noires », qui proviennent du crime, des trafics, de la corruption et des abus de pouvoir.

Cette carte délivre une leçon d’histoire récente : on y croise nombre des acteurs des scandales qui ont secoué nos démocraties, de l’affaire Elf, en France, à celle de Petrobras, au Brésil, en passant par les déboires de la FIFA. Elle offre surtout une leçon de géographie, en dévoilant aussi, et pour la première fois, l’extraordinaire propension des grandes banques, qui alimentent ce système occulte, à se jouer des changements réglementaires. Qu’un pays durcisse sa législation antiblanchiment sous la pression internationale, et voilà le stock de sociétés offshore des banques qui se déplace dans un pays plus accueillant, passant des îles Vierges aux Seychelles, puis à Panama et à Dubaï. Les registres de Mossack Fonseca retracent scrupuleusement ces migrations.

Rien ne sera crédible tant que persistera cette intuition qu’une infime part de l’humanité s’exonère, en cachette, des devoir communs et de l’intérêt général

Ils dressent ainsi une vue en coupe inédite de la mondialisation, un relevé très précis des failles souterraines qui la vouent, tôt ou tard, si rien n’est fait, à l’effondrement. La plus dangereuse de ces failles, c’est le soupçon. On pourra toujours continuer à s’offusquer du complotisme ambiant, déplorer le rejet des élites et la montée des populismes : rien ne sera crédible tant que persistera cette intuition qu’une infime part de l’humanité s’exonère, en cachette, des devoirs communs et de l’intérêt général. On pourra toujours débattre de ce qui est légal, immoral ou illicite, dans les structures offshore : aucun distingo ne sera audible tant qu’il sera recouvert par ce sentiment d’injustice nourri par l’avidité de quelques-uns.

Le chemin semble encore long. Les déclarations optimistes des dernières années sont encore très éloignées de la réalité révélée par les « Panama papers ». Le nombre de pays qui, bon gré mal gré, se sont résolus à renoncer à une partie de leur secret a toutefois augmenté. Mais ces bonnes résolutions resteront vaines tant qu’un petit nombre de nations se déroberont à l’effort collectif. Aux premiers rangs de ces délinquants, le Panama, qui se signale depuis des années par son refus obstiné de s’associer au mouvement général, et qu’il est urgent de replacer sur une liste noire qui l’expose à des sanctions.

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