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Delors appelle les socialistes "à rétablir les valeurs collectives"

Dans le livre L'homme qui ne voulait pas être roi, à paraître mercredi et écrit par la journaliste du JDD Cécile Amar, Jacques Delors revient, à 90 ans, sur ses années passées au gouvernement et à la tête de la Commission européenne. Avec quelques "résonances" entre hier et aujourd'hui.

Anne-Charlotte Dusseaulx , Mis à jour le
Jacques Delors, ici en février 2012 à Bruxelles.
Jacques Delors, ici en février 2012 à Bruxelles. © Reuters

Delors et "l'inversion de la courbe du chômage"

C'est une expression qui colle à la peau de François Hollande, qui à plusieurs reprises en a fait une condition d'une éventuelle nouvelle candidature à la présidentielle de 2017. Mais Jacques Delors l'a prononcé avant lui. "Ah, j'ai dit qu'il fallait inverser la courbe du chômage" , s'interroge-t-il dans le livre L'homme qui ne voulait pas être roi* de Cécile Amar, journaliste au JDD. Oui, et à plusieurs reprises. Le 18 juin 1984 d'abord lors de l'émission L'Heure de vérité. "Nous ne gouvernons pas assez calmement, assez clairement. Il faut, dans un pays dont le bateau est dans la tempête, il faut du calme à bord et se concentrer sur l'essentiel", lance celui qui est alors ministre de l'Economie et des Finances. Il ajoute : "Est-ce que cela sera suffisant pour inverser la courbe du chômage dans deux ans? Je ne peux pas le dire, et je ne le dirai pas."

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On retrouve aussi cette formule dans son discours d'investiture au Parlement européen, le 14 janvier 1985. "Mon idée, c'est que les Français peuvent constater les progrès réalisés notamment pour lutter contre d'autres déséquilibres. Mais pour eux, les choses iront mieux quand le chômage diminuera", explique Jacques Delors, qui ajoute toutefois : "Je pense que Hollande a trouvé la formule lui-même."

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La présidentielle de 2002, son pire souvenir politique

"Ce fut pour moi une catastrophe […] Ce résultat m'a beaucoup attristé", déclare Jacques Delors à propos de la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de l'élection présidentielle. Les régionales de 2015 - où le Front national était en tête au premier tour dans six régions - ont eu le même effet sur l'ancien président de la Commission européenne (1985-1995). "C'est triste. Je suis terriblement déçu de voir à la fin de ma vie cette évolution de la France", précise-t-il. Il y voit des analogies avec la France des années 30 : "Ce qui m'a frappé, à partir de 1935-36, c'était d'un côté la montée de l'extrême droite française traditionnelle, les fils de Maurras et de quelques-uns, et de l'autre, une France qui n'était pas consciente des dangers, y compris dans la gauche."

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Ceux qui nous gouvernent "sont perdus"

Jacques Delors appelle le socialisme à "rétablir les valeurs collectives" pour pouvoir "prospérer". Sur celles et ceux qui gouvernent, il a un regard critique : "Ils sont perdus. Ils n'ont plus de ligne. Le socialisme en général en Europe est dans une situation extrêmement difficile […] On dirait qu'il a donné tout ce qu'il pouvait et qu'il n'a plus rien à apporter dans cette société où dominent à la fois l'exigence de l'immédiat et un individualisme de plus en plus puissant."

Comme en 1982, Jacques Delors le redit. A ses yeux, "le progrès social conditionne le progrès économique. Le progrès social est aujourd'hui un préalable à tout progrès économique". Et non l'inverse.

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Lire l'interview de Jacques Delors au JDD en juillet 2015 : "Il faut refonder l'Union européenne"

"Hollande est content de lui"

S'il a peu croisé François Hollande ces dernières années, à part pour un déjeuner en juillet 2013, Jacques Delors se souvient du socialiste dans les années 1990. "Il est content de lui et sûr d'avoir raison. C'est ce qui l'a amené jusqu'à son poste", affirme-t-il, se disant plus proche à l'époque de Jean-Yves Le Drian et de Jean-Pierre Jouyet. Avant d'ajouter concernant l'actuel Président : "Il n'avait pas la même Weltanchauung, la même conception de la vie, mais je n'avais pas le sentiment que nous n'avions pas les mêmes convictions." Quelques pages plus tard, il ironise indiquant, dans un sourire, que François Hollande "ne pense qu'à 2017".

"Je ne critiquerai pas le président Hollande quand il a essayé de faire des grands accords. Compte tenu de ce que sont les syndicats en France, c'était une bonne voie pour essayer de rendre le syndicalisme plus fort, plus responsable et pour que le patronat cesse cette bataille de harcèlement", confie également Jacques Delors, qui refuse de polémiquer sur le débat politique actuel. La gauche doit-elle être du côté des syndicalistes? "Elle l'était", soupire seulement celui qui est justement venu à la politique via le syndicalisme.

Pour Delors, "la rupture c'est l'anti-pédagogie"

Regardant les dernières élections présidentielles, Jacques Delors note que les candidats - Hollande, Sarkozy, Chirac - ont basé leur programme sur la rupture. Un terme qu'il n'aurait pas choisi s'il avait décidé d'y aller en 1995. "Il n'y a pas un mot plus dangereux que celui-là. Faire croire au monde que l'on pourra d'une baguette magique changer les choses en cinq ans ou en dix ans, c'est grave", estime-t-il, comprenant qu'aujourd'hui des militants socialistes interpellent François Hollande sur son programme de 2012. "C'est normal. Et pourtant on va recommencer la prochaine fois […] La rupture, c'est l'anti-pédagogie", complète Jacques Delors, qui se voit lui du côté de la pédagogie. "Mais vous savez ce que disent les socialistes de moi, la pédagogie ce n'est pas la politique. C'est un divorce qui ne cessera pas."

Lire aussi l'hommage de dix personnalités à Jacques Delors, pour ses 90 ans

"Est-ce que je me suis donné des arguments pour me défiler?"

Le dernier chapitre du livre revient sur sa non-candidature à la présidentielle de 1995, annoncée sur le plateau de 7 sur 7, face à Anne Sinclair, le 11 décembre 1994. "Il ne faut surtout pas se prendre pour ce que l'on n'est pas. Quand les gens m'en parlent, je dis : "Est-ce que j'aurais été élu? Est-ce que j'aurais été à la hauteur?", lance Jacques Delors, pour qui "avoir un régime où il n'y a qu'un chef, […] c'est déjà un peu fascisant". Plus de 20 ans après, il se pose quand même toujours une question : "Est-ce que je me suis donné des arguments pour me défiler ou est-ce que c'étaient de bons arguments?"

Il y a une chose qu'il confie ne pas avoir mesuré à l'époque : l'impact politique de cette non-candidature. "1994, c'était franchement - même si je ne m'en suis pas rendu compte immédiatement - renoncer à la politique. […] Renoncer au fait de faire quelque chose d'utile à un endroit", reconnaît-il aujourd'hui. Jacques Delors poursuit : "J'avais conscience de ce que je perdais. Mais pas que je ne pourrais pas rebondir dans deux ans. […] Dans ma naïveté, j'avais l'idée que je pourrais travailler un peu avec les socialistes." Ce ne fut pas le cas.

* L'homme qui ne voulait pas être roi, conversations avec Jacques Delors. Par Cécile Amar. Grasset. Sortie le 6 avril. 234 pages. 18 euros.

Source: leJDD.fr

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