"Panama Papers" : quand la photographie (aussi) raconte les paradis fiscaux

En 2015, l'exposition “Les Paradis, rapport annuel” faisait grand bruit aux Rencontres d'Arles. Cet important travail d'enquête fait aujourd'hui écho aux révélations des Panama Papers...

Par Sophie Rahal

Publié le 05 avril 2016 à 08h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 02h35

Lundi 4 avril, la terre a tremblé dans l'univers opaque de la finance offshore et des paradis fiscaux. En France, le journal Le Monde et le magazine Cash Investigation de France 2, associés à 108 autres rédactions dans 76 pays, ont eu accès à une masse d’informations inédites dont le premier flot a été publié lundi 4 avril sous le nom de Panama Papers. Un travail colossal de traitement de données (au total, 11,5 millions de fichiers en provencance des archives du cabinet panaméen Mossack Fonseca), qui a occupé quelque 376 journalistes pendant près d'un an. Chefs d'Etats et dirigeants politiques, stars du football, personnalités du monde des médias... plusieurs noms connus (et des milliers d'anonymes) ont eu recours à des montages offshore proposés par Mossack Fonseca pour dissimuler leurs actifs.

En 2015, à l'occasion des Rencontres d'Arles, l'exposition Les Paradis, rapport annuel (publié chez Delpire) fut l'une des plus remarquées. Véritable enquête photographique et économique, ce travail a rassemblé les photographes Paolo Woods et Gabriele Galimberti, ainsi que les journalistes britannique Nicholas Shaxson et français Serge Michel (journaliste au Monde, avec qui Paolo Woods collabore depuis dix ans). Paolo Woods a accepté de revenir sur ce travail.

Etiez-vous au courant de l'enquête Panama Papers lorsque vous avez entamé votre travail ?

Avec Gabriele Galimberti, nous avons travaillé pendant trois ans sur ce sujet parce qu'il nous intéressait grandement : moi-même, je suis obsédé par les sujets non visibles mais qui existent bel et bien, et je m'interroge sur le moyen de les traduire en images. A l'époque, j'habitais en Haïti, qui est le pays le plus pauvre du continuent américain, et qui se trouve tout près des îles Caïmans, l'un des territoires les plus riches ! Or, celui-ci [colonie de la Couronne britannique, Ndlr] ne possède pas d'or, pas de pétrole, et pas assez de touristes pour être aussi prospère. C'est surtout parce qu'il s'agit d'un important centre financier offshore, et d'un vrai paradis fiscal.

Au cours de notre travail, qui a duré trois ans, nous avons été en contact avec tous les acteurs de ce milieux : ceux qui soutiennent ces pratiques, mais aussi ceux qui les condamnent. Nous avons également beaucoup travaillé avec le Consortium international de journalistes d’investigation [ICIJ, qui a coordonné ce travail mondial d'investigation, Ndlr], qui était en lien avec les journalistes qui ont enquêté sur ce sujet. C'est à cette occasion que nous avons eu connaissance de ce projet d'enquête.

Comment illustrer ces pratiques, par définition invisibles ?

Nous avons compris qu'un bâtiment en apparence banal peut cacher des activités insoupçonnables, légales ou non. Il fallait aussi rendre compte de nos rencontres avec ceux qui travaillent jour après jour dans ces milieux. Ces gens ne se cachent pas derrière des lunettes noires, loin de là, ce n'est plus un pré carré de la mafia ! Certes, on a essuyé beaucoup de refus, mais une grande partie de ce qui se passe dans les paradis fiscaux est légal, pas moral. 

C'est l'univers de la finance globalisée, qui se situe dans les grands centres de l'économie mondiale, comme New York, Hong Kong... Nous avons aussi voulu insister sur les Big Four de l'audit comptable et financier [EY ex Ernst & Young, Deloitte, PwC et KPMG, Ndlr] et leur importance dans ce système offshore. Car c'est surtout l'optimisation fiscale qui induit l'opacité et permet à toute autre sorte d'action, moins légale, de prospérer.

Plages de sable fin, villas luxueuses, motos puissantes, gratte-ciel ultra modernes et étincelants : vos photos s'approprient les codes de ce milieu...

Oui, parce qu'on a voulu employer un registre identique à celui que les acteurs de ce milieu utilisent dans leur communication. Dans leurs communiqués, tout est lié au registre de la joie, et à la notion de « wealth management ».
Par ailleurs, nous ne voulions pas nous cacher, ni prendre des photos volées. Le concept de notre livre était donc de raconter notre travail à la manière d'un rapport annuel, comme il en sort chaque année dans ces entreprises. On a d'ailleurs ouvert notre propre société au Delaware [Etat américain où des milliers de compagnies sont virtuellement basées, Ndlr], qui existe toujours !

Les légendes sont extraites du livre Les paradis, Rapport annuel (Ed. Delpire) L'exposition du même nom se tiendra du 20 avril au 4 mai à La Magnum Galerie (13, rue de l'Abbaye, Paris)

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