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Analyse

Pourquoi le monde risque une crise monétaire majeure

Depuis vingt ans, les crises se succèdent et gagnent en gravité. Elles révèlent les carences d'un système monétaire mal adapté à un monde de plus en plus fragmenté. Si le besoin d'un « Bretton Woods 2 » se fait de plus en plus sentir, les divisions de la communauté internationale rendent son avènement peu probable dans l'immédiat.

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Par Richard Hiault

Publié le 5 avr. 2016 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

Hasard du calendrier ou véritable lame de fond ? Quoi qu'il en soit, deux séminaires de haut niveau se sont tenus la semaine passée sur le même sujet : quelle architecture financière et monétaire optimale est à construire pour le monde d'aujourd'hui ? A Paris, une soixantaine de ministres des Finances, de banquiers centraux, de représentants d'organisations internationales et d'économistes ont planché sur trois grandes thématiques. Le mouvement des flux de capitaux transfrontières, l'organisation des multiples filets de sécurité financière créés dans différentes parties du monde pour se prémunir d'une crise et les monnaies de réserve internationales. A Hangzhou, le séminaire Vision 20, organisé notamment par l'université de Zhejiang et l'Institute of Asian Research, a rassemblé essentiellement des représentants du monde académique. Surtout chinois. Là encore, les mêmes sujets ont été évoqués. Serions-nous à la veille d'une grande conférence internationale chargée de bâtir de nouvelles règles, comme ce fut le cas en 1944 à Bretton Woods ? C'est peu probable, même si, depuis près de vingt ans, nombreuses sont les voix à réclamer un « Bretton Woods 2 ». La Chine, qui préside cette année le forum du G20, entend bien faire bouger les lignes sur ces sujets. Le président Xi Jinping en a fait l'une de ses priorités en vue du sommet des chefs d'Etat et de gouvernement du G20, les 4 et 5 septembre à Hangzhou.

Dans une étude publiée le mois dernier, le Fonds monétaire international (FMI) a bien reconnu que « les crises de 2008-2009 ont révélé une faiblesse considérable du Système monétaire international ». Des systèmes bancaires de plus en plus interconnectés, des mouvements de capitaux dont la taille n'a cessé d'exploser et qui sont devenus plus volatils, des acteurs non bancaires - fonds de gestion, « hedge funds », compagnies d'assurances, centres offshore - qui gagnent en importance dans le financement de l'économie mondiale : toutes ces évolutions « altèrent la nature des risques » encourus par l'économie mondiale, observe le FMI.

Depuis vingt ans, les crises se succèdent et leur gravité ne cesse de s'accroître. Comme l'a souligné récemment le célèbre professeur d'économie de la Princeton University Paul Krugman, « la principale leçon de trois décennies de crises [...] est que la lutte contre le feu lorsqu'il se déclare est un pauvre substitut à la prévention de l'incendie en première intention ». Et de poursuivre : « Le meilleur moyen de traiter les crises est de ne pas les avoir. » Ces derniers mois, l'effondrement des cours des matières premières, et en particulier du pétrole, la volatilité des marchés boursiers, la Bourse de Shanghai en tête, le surendettement croissant dans les pays émergents, en particulier du secteur privé, la forte volatilité des flux de capitaux internationaux, capables de déstabiliser un pays ou une zone géographique entière et la valse des taux de change n'ont pas manqué de renforcer l'inquiétude. Tant et si bien que certains économistes prédisent déjà une nouvelle crise encore plus dévastatrice que celle de 2008.

L'évolution sur ces trente dernières années tient à la fois d'un système mal adapté et d'une doctrine sans doute dépassée. Certes, depuis le pic de la crise, en 2009, des initiatives visant à renforcer le système monétaire et financier international ont vu le jour. Le FMI a considérablement augmenté ses ressources et créé de nouveaux instruments de prêt plus souples et plus flexibles; des accords d'entraide entre banques centrales pour éviter les faillites de banques privées comme Lehman Brothers en 2008 ont été noués; les grands pays émergents - Brésil, Russie, Inde Chine - ont mis en commun une partie de leurs réserves de change; la Chine a mis en place avec les pays voisins, dont le Japon et la Corée, un réseau d'échange de devises en cas de besoin... Mais le FMI avertit que le système est trop fragmenté et que les pare-feu actuels n'ont pas la taille suffisante pour contrer une crise majeure. Pis : « l'élan réformateur général s'est affaibli » depuis 2011.

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De surcroît, dans le système actuel, tous les pays ne sont pas logés à la même enseigne. D'une part, les pays émergents et en développement n'ont pas accès à tous les instruments financiers de défense. Surtout, ils n'ont pas le privilège d'émettre une monnaie de réserve internationale à l'instar des Etats-Unis, des membres de la zone euro et du Japon. C'est l'une des raisons pour lesquelles Pékin veut pousser sur le devant de la scène le droit de tirage spécial (DTS), ce panier de devises servant d'unité de compte au FMI et composé du dollar, de l'euro, du yen, de la livre sterling et, depuis peu, du renmimbi. Implicitement, Pékin aimerait voir le DTS remplacer le dollar. Une gageure.

Imaginer un second Bretton Woods relève aujourd'hui plus du voeu pieux que d'une réalité proche. Les Etats-Unis n'y ont aucun intérêt. D'ailleurs, ni Janet Yellen, la présidente de la Réserve fédérale américaine, ni Jack Lew, le secrétaire au Trésor des Etats-Unis, n'étaient à Paris. Le dollar continue de régner en maître comme devise de réserve et de cotation, et Washington détient toujours le pouvoir réel au FMI.

Cet état de fait n'empêchera pas quelques adaptations. Mais, les discussions seront conduites au sein du forum du G20. Michel Sapin, à l'issue de la réunion de Paris, l'a d'ailleurs admis. A moins qu'une crise encore plus dévastatrice que celle du début des années 1930 ou qu'une guerre mondiale ne survienne, le grand soir des monnaies n'est pas arrivé.

Les points à retenir

Selon une étude du FMI, les crises de 2008-2009 ont révélé la faiblesse du Système monétaire international.

L'évolution sur ces trente dernières années tient à la fois d'un système mal adapté, où tous les pays ne sont pas logés à la même enseigne, et d'une doctrine sans doute dépassée.

Imaginer un second Bretton Woods relève aujourd'hui du voeu pieux.

Grand Reporter Richard Hiault

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