Des chefs d’Etat, des milliardaires, de grands noms du sport ou des célébrités figurent parmi les 11 millions de fichiers du cabinet Mossack Fonseca, spécialisé dans la création de sociétés offshore.
Mais la plupart des noms sur ces listes sont des inconnus, des gens « sans histoire », même si la leur a croisé celle des paradis fiscaux. Si les documents que Le Monde a pu consulter ne disent pas toujours quelles sommes ont été transférées grâce aux montages offshore vers des cieux où la fiscalité est plus clémente, les échanges de mails, les documents officiels de création de société, les photocopies de passeport, donnent une image assez précise des clients de Mossack Fonseca.
Sur le millier de Français de ces « Panama papers », 95 % sont des citoyens lambdas, aux profils et aux motivations bien plus divers que l’on pourrait l’imaginer à l’évocation de paradis fiscal et de finance offshore.
Joueur de poker, boucher ou chanteur lyrique
Ils ne sont pas tous riches, ne sont pas forcément familiers avec les rouages des banques, et ils n’ont pas tous l’intention de frauder.
Les adresses des états civils dessinent une carte très proche de celle de la cellule de « dégrisement » de Bercy, qui s’occupe des repentis fiscaux : une concentration en Ile-de-France, dans le sud du pays et aux frontières avec la Suisse. Chefs d’entreprise, commerçants, avocats, médecins : leurs professions sont globalement les mêmes que celles de nos précédentes révélations sur les clients des banques HSBC ou UBS.
Parmi ces Français qui ont créé des sociétés offshore se nichent aussi des professions moins communes : éleveur de chevaux, joueur de poker, boucher, chanteur lyrique… ou producteur de melons. Quelques fonctionnaires s’y égarent également. Un inspecteur du travail doté d’une société au Panama a mollement indiqué au Monde avoir voulu « respecter la volonté des parents » – il a, depuis, entrepris de régulariser sa situation.
Des enfants aussi, à peine majeurs, dont on repère la trace dans les résultats du bac de l’année précédente ou qui posent sur les réseaux sociaux avec leurs copains… et à qui leurs parents ont voulu transmettre une partie de leur patrimoine.
Hantise des « droits de succession » et expatriation
La plupart des ayant-droits de sociétés offshore cherchent à échapper aux droits de succession, pour eux ou pour leurs enfants. C’est parfois parfaitement légal : Pierre M., retraité à l’île Maurice, a ainsi désigné son fils, qui habite en France, comme héritier de la fondation créée par ses soins : « S’il habite à Maurice, il ne paiera pas de frais de succession ; s’il est en France et qu’il ne veut pas payer d’impôt, il pourra toujours refuser de devenir le bénéficiaire de la fondation. »
Mais ces successions familiales ressemblent parfois à des cadeaux empoisonnés, surtout quand la décision doit se prendre à plusieurs : Camille D., employée de la fonction publique, avoue avoir cédé à l’insistance de ses sœurs, qui ne voulaient pas régulariser leur situation et l’ont forcée à ne rien dire au fisc. Elle a finalement décidé de payer le prix de la sérénité, un choix financier mais aussi humain : elle s’est brouillée avec sa famille.
Ticket d’entrée à 50 000 dollars
Certains chefs d’entreprise recourent à l’offshore, pour se développer à l’international. C’est le cas de Matthieu B. qui voulait créer son entreprise en Asie et a estimé indispensable d’y avoir une tête de pont. Il a créé une société aux îles Vierges britanniques via la branche de Mossack Fonseca à Singapour. « A l’époque, je pensais m’installer là-bas : avoir déjà une société accélère le processus d’installation, et ce n’est pas illégal. Je dirais même que ça fait partie du nécessaire pour une immigration réussie en Asie. »
Les « Panama papers », ces fichiers de Mossack Fonseca, ne disent rien du patrimoine des clients du cabinet. Mais, d’après les témoignages que nous avons recueillis, les montants tournent autour de « centaines de milliers d’euros ». Le ticket d’entrée pour ouvrir ce type de société offshore avoisine les 50 000 dollars de capital. Par comparaison, le montant médian des avoirs cachés en Suisse par les fraudeurs à la banque UBS s’élevait à 340 000 euros.
De la « coquille vide » aux millions
Ces montants peuvent recouper des situations patrimoniales très variables. Certains avancent ne plus avoir un euro au capital de leur société (« une coquille vide », dit l’un, « je ne me souvenais même plus de l’existence de cette société »). D’autres reconnaissent y avoir placé des sommes importantes qui, en France, les assujetiraient à l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF).
Jean-Charles G., par exemple, a hérité d’un oncle d’Amérique. Résident fiscal français, il explique que « la transmission s’est faite sous le régime du droit américain puisque l’héritage a fait l’objet d’un arbitrage en justice entre les Etats-Unis et la France, qui y a renoncé ». Un processus légal, donc.
Ce n’est pas le cas de Benoît S., chef d’entreprise qui entend échapper à une partie de l’impôt sur les sociétés pour se développer à l’étranger. Il a fait fortune… dans l’épilation (son entreprise affiche un chiffre d’affaires de plusieurs millions pour 2015). Et a créé, aux noms de ses enfants et de son épouse, plusieurs structures offshore, dont une, basée à Hongkong, pour « mettre un pied en Asie ».
L’acte de création que Le Monde a pu consulter mentionne pourtant que « la société continuera ses activités commerciales dans l’équipement médical en Europe ». Un autre document précise qu’il souhaite « faire l’acquisition d’une nouvelle société de Hongkong, avec des nominee shareholders et nominee directors ». En somme, des prête-noms.
(Les prénoms ont été modifiés.)
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