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Le Patrimoine mondial victime des activités industrielles

L’inscription d’un site au Patrimoine mondial par l’Unesco ne garantit pas sa préservation : la moitié des 229 sites est directement menacée par les activités industrielles, prévient l’ONG WWF.

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Les forêts humides de l'Atsinanana à Madagascar sont menacées à cause de leur exploitation illégale

Par Daisy Lorenzi, Laura Fernandez Rodriguez

Publié le 6 avr. 2016 à 07:21

Marée noire, pollution liée aux forages ou encore rejets des mines... En octobre 2015, alors que la France s’apprêtait à recevoir la 21e Conférence sur le climat à Paris, l’organisation environnementale World Wide Fund (WWF) tirait déjà la sonnette d’alarme : dans un rapport, l’ONG expliquait qu’un tiers des sites inscrits au Patrimoine mondial par l’Unesco était menacé par des activités d’extraction. Depuis, 195 pays se sont réunis du 30 novembre au 11 décembre 2015 pour signer un accord sur le climat.

Mais ce mercredi 6 avril, l’ONG publie un nouveau rapport qui fait part d’un constat encore plus alarmant : en prenant compte de l’ensemble des activités industrielles néfastes, WWF montre que près de la moitié des sites naturels du Patrimoine de l’humanité sont aujourd’hui menacés. Un Patrimoine mondial qui s’appauvrit et met en danger 11 millions d’individus, ce qui pousse aujourd’hui WWF à lancer un « appel pour une action collective mondiale ». L’ONG demande aux entreprises de s’engager à ne plus exercer d’activités susceptibles de dégrader les sites du Patrimoine mondial.

Qu’est-ce qu’un site naturel classé ?

L’Unesco reconnaît à ce jour 229 sites du Patrimoine mondial ayant une « valeur universelle exceptionnelle » : « Le patrimoine est l’héritage du passé, dont nous profitons aujourd’hui et que nous transmettons aux générations à venir » écrit l’Unesco dans sa convention de 1972. Concrètement, un site doit répondre à l’un des dix critères établis par l’Unesco. La majorité d’entre eux sont des sites naturels (197) mais ils peuvent également être culturels ou « mixtes ». Ces 229 sites sont répartis dans 96 pays et occupent 279 millions d’hectares, soit 0,5% de la surface de la terre.

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Pourquoi est-il important de les préserver ?

Outre l’héritage qu’ils représentent, la préservation de ces espaces importe particulièrement aux populations locales qui en tirent leur moyen de subsistance à travers la pêche ou l’agriculture, quand elles ne dépendent pas de ces sites pour leur approvisionnement en eau douce. En outre, 90% des sites naturels ont permis de créer localement des emplois et contribuent grandement à l’économie par le biais du tourisme : WWF cite par exemple les 6,9 milliards de dollars de recettes générées chaque année par les activités touristiques liées à la Grande Barrière de corail. Au total, ce sont 11 millions de personnes qui dépendent de ces sites et, qui par conséquent, sont directement affectées par leur détérioration.

Outre ces populations, l’impact de ces sites est également mondial sur le plan écologique. La moitié d’entre eux contribue à la stabilisation des sols, à la prévention des crues et à la séquestration du carbone, ajoute WWF.

Quelles sont les principales menaces ?

Les menaces liées aux activités industrielles sont multiples : - Près de 20% des sites naturels comptent une concession pétrolière ou gazière. - 42 sites abritant des mines ou des concessions minières sont aujourd’hui “gravement menacés”. - La surpêche menace à plus ou moins longue échéance 47 sites naturels classés. - L’exploration forestière, dans la très grande majorité des cas illégale, menace 25 des 106 sites forestiers classés. - La construction de grandes infrastructures industrielles de type réseaux électriques, voies ferrées ou routières, peuvent avoir des effets négatifs sur la biodiversité. - La surexploitation des ressources en eau par les activités industrielles.

Quelles sont les mauvaises pratiques industrielles et gouvernementales ?

Des concessions sont « encore trop souvent accordées pour explorer des gisements pétroliers, gaziers ou miniers, ou pour lancer de grands projets industriels, sans même prendre en compte les risques sociaux et environnementaux » au sein de ces sites classés, regrette WWF dans son rapport. Du côté des entreprises, malgré les engagements pris par certains acteurs de l’industrie extractive - dont Shell et Total en matières d’hydrocarbures -, près d’un tiers des compagnies minières ainsi que la plupart des sociétés pétrolières et gazières n’ont pas pris d’engagements, estime ainsi WWF.

Le sanctuaire de l’oryx arabe d’Oman est un triste exemple. Classé en 1994. Alors que le comité du Patrimoine mondial considère comme incompatible l’exploration et l’extraction de pétrole et de gaz avec l’inscription sur la liste, l’exploration pétrolière y a été tolérée et même accentuée par le gouvernement, « allant jusqu’à amputer la superficie du site de 90% en 2007 », dénonce WWF. Triste conséquence, la population d’oryx arabes s’est effondrée. La « valeur universelle exceptionnelle du sanctuaire ayant été altérée, le Comité du Patrimoine mondial l’a retiré de la liste du Patrimoine mondial », écrit WWF. Il s’agit du seul site naturel classé à avoir été privé de son statut.

Comment faire de ces sites des leviers de développement économique ?

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Parmi les bons élèves distingués par WWF, les Philippines qui ont fait du récif de Tubbataha un levier de développement économique, tant au niveau de la pêcherie environnante que du tourisme et de l’accroissement de revenus pour les populations locales.

Autre bon point décerné au Népal, qui avait pourtant connu des débuts difficiles. Le Parc national de Chitwan, classé au Patrimoine mondial en 1984, avait d’abord suscité des tensions entre les autorités et les communautés locales, réinstallées dans un premier temps en dehors du parc pour en exclure toute présence humaine. Pour apaiser les conflits nés de cette relocalisation, une zone tampon a été créée autour du parc en 1996. Dans une volonté de cogestion du Parc, les autorités redistribuent depuis chaque année la moitié des recettes tirées du Parc national de Chitwan aux communautés locales établies dans la zone tampon. Cet espace abrite plus de 300.000 personnes.

Enfin, on peut citer le cas du parc national de l’Ichkeul en Tunisie, qui a pu être retiré de la liste du Patrimoine mondial en péril en 2006, comme le rappelle WWF. Menacé à cause de la construction de barrages dans les années 1980-90 qui avaient provoqué de graves dégâts (augmentation de la salinité, décès de plantes et poissons, baisse du nombre d’oiseaux migrateurs hivernant dans le parc…), le parc a fait l’objet a partir de 2003 d’un plan de gestion soutenable. En 2010, il a retrouvé un état comparable à celui qu’il avait lorsqu’il avait été inscrit sur la liste du Patrimoine mondial en péril, en 1996.

DOCUMENT. Le rapport de WWF :

Laura Fernandez Rodriguez & Daisy Lorenzi

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