Cet article vous est offert
Pour lire gratuitement cet article réservé aux abonnés, connectez-vous
Vous n'êtes pas inscrit sur Le Monde ?

« Panama papers » : comment de riches Français ont utilisé l’évasion fiscale pour dissimuler argent ou œuvres d’art

Gérard Autajon, Marcel Hermann, Jacques Glénat... des hommes discrets aux fortunes colossales ont monté des structures financières dans des paradis offshore afin de cacher de l’argent ou des œuvres d’art.

Par 

Publié le 25 mars 2016 à 19h30, modifié le 08 avril 2021 à 11h15

Temps de Lecture 7 min.

Les défenseurs des paradis fiscaux ont beau répéter que la plupart des sociétés offshore sont créées à des fins légales, ces coquilles vides servent parfois à dissimuler les avoirs de riches clients soucieux de les soustraire au fisc. C’est ce que révèle l’analyse par Le Monde de centaines de documents issus des « Panama papers », la base de données interne de la firme panaméenne Mossack Fonseca, l’une des plus importantes sociétés de domiciliation d’entreprises offshore dans le monde.

On y trouve les montages financiers de grandes fortunes françaises : Marcel Hermann, PDG du deuxième groupe français de cliniques privées, Gérard Autajon, patron du groupe éponyme d’emballage ou encore Jacques Glénat, propriétaire de la maison d’édition de bande dessinée. A eux trois, ils pèsent, selon le magazine Challenges, 430 millions d’euros.

Les dons seychellois de Jacques Glénat

L'éditeur Jacques Glénat pose le 15 septembre 2009 à Grenoble, dans la bibliothèque du couvent du 17ème siècle où il a installé le siège de sa maison d'édition.

Le propriétaire des éditions Glénat est depuis l’enfance un grand amateur de bande dessinée. Il en a fait son métier et sa fortune. Il traîne aussi une réputation d’oncle Picsou dans ses contrats avec les auteurs qu’il publie.

En 2009, Jacques Glénat se porte acquéreur de Getway S.A., une société domiciliée aux Seychelles. Celle-ci est propriétaire d’un compte bancaire et est utilisée notamment pour acheter des œuvres d’art. Selon les documents consultés par Le Monde, pendant les quelques années où il a possédé la société, 4 millions d’euros ont été placés sur ses comptes. Cette société a par ailleurs amassé de nombreux tableaux – des Bruegel le jeune, un Corot, des Cranach, des Fantin-Latour, des Felix Ziem, etc. – mais aussi des bronzes ou de l’ébénisterie ancienne. Certaines de ces œuvres ont été achetées aux enchères.

Tout semblait destiner Getway S.A. à rester une structure opaque sans que le nom de M. Glénat n’apparaisse. Mais c’était sans compter sur la réforme de la législation des îles Vierges britanniques, entrée en vigueur le 1er janvier 2014. Il faudra désormais fournir un rapport financier annuel de la société mais, surtout, troquer les discrètes actions au porteur (anonymes) des sociétés pour des actions nominatives : c’est une couche d’opacité qui s’efface, puisque le nom des actionnaires doit désormais être renseigné. Mossack Fonseca, sommé par les autorités de respecter ces nouvelles règles, demande avec insistance le nom de l’actionnaire, mais le cabinet fiscaliste de Jacques Glénat, RSM Luxembourg, fait la sourde oreille pendant de longs mois.

Ce n’est qu’en mai 2014 qu’une réponse est finalement donnée : le bénéficiaire, plutôt que d’apparaître sur les registres, préfère fermer la société seychelloise. En attendant la fermeture, qui peut prendre plusieurs mois, RSM demande « s’il est possible de garder les actions au porteur, sachant que le client est prêt à payer toute amende pour les conserver ». La requête est acceptée, mais Mossack Fonseca demande néanmoins à connaître le nom et l’adresse du porteur des actions, en précisant que l’information restera dans ses fichiers internes. Un courriel auquel Le Monde a eu accès confirme le nom de l’actionnaire ainsi que son adresse grenobloise. Les documents préparant la liquidation de la société sont envoyés dans la foulée.

Au cours de l’été 2014, la société de Jacques Glénat distribue en dons manuels à ses enfants les œuvres d’art, avant d’être dissoute en novembre. Contacté par Le Monde, Jacques Glénat confirme bien que Getway S.A. a donné des œuvres d’art à ses enfants, mais qu’en revanche, « il n’y a aucun lien direct entre cette société et [lui]-même. ». Quelques jours plus tard, il précise que « s’agissant d’un compte de société, il n’a pas a être déclaré à l’administration fiscale si bien entendu, vous parlez du compte de la société Getway. »

Les fonds luxembourgeois de Gérard Autajon

Son nom est peu connu, mais grâce à un empire monté depuis Montélimar dans l’emballage, la famille Autajon fait partie du club restreint des familles les plus riches de France. Gérard Autajon, le fils, actuel PDG, a hérité du groupe familial, qui réalise aujourd’hui 504 millions d’euros de chiffre d’affaires. Les « Panama papers » révèlent qu’il a par ailleurs été titulaire d’un compte en banque helvétique crédité de 25 millions de francs suisses, détenu par l’intermédiaire d’une fondation au Liechtenstein.

Les récents assouplissements du secret bancaire suisse n’ont visiblement pas plu à cet homme discret. Dans un courriel daté de janvier 2014 que Le Monde a pu consulter, son avocat fiscaliste explique à Mossack Fonseca que M. Autajon déplore que la Suisse « perde son indépendance face à l’Europe ».

Afin de rester caché, le champion de l’emballage a décidé quelques mois plus tôt, en octobre 2013, de déplacer son argent vers des cieux plus cléments. Son dévolu tombe sur Hongkong, une « alternative solide et valide » qui jouit d’une « bonne réputation ». Il y crée deux sociétés, Noble Shining et Forever Unity, dont le rôle sera d’ouvrir des comptes avec la filiale hongkongaise de la banque HSBC, avant de pouvoir fermer son compte en Suisse. Le transfert de l’intégralité des fonds vers Noble Shining est effectué au premier trimestre 2014. Dans la foulée, ils sont transférés à leur tour vers Forever Unity. Reste maintenant à rentabiliser le pécule.

Le business plan de M. Autajon était a priori solide : il suffisait d’investir via la société de Hongkong dans des fonds luxembourgeois, gérés par Midas Gestion, pour une rentabilité espérée d’un million d’euros par an. Mais tout ne se passe pas comme prévu et HSBC Hongkong exclut de souscrire aux fonds Midas. Les avocats de M. Autajon décident donc de passer par la filiale à Dubaï d’Espirito Santo, une banque portugaise, pour accéder enfin aux fonds luxembourgeois. Là encore, les plans du dirigeant français sont mis à mal, l’administrateur de la société hongkongaise refuse de signer l’ouverture d’un compte bancaire à Dubaï.

Après plusieurs semaines de tractations, une solution est finalement trouvée : la maison mère Mossack Fonseca décide de leur ouvrir un compte en fiducie. La société panaméenne détiendrait l’argent en lieu et place de Gérard Autajon, le plaçant sur un compte aux Bahamas, à la Winterbotham Trust Bank, avec un contrat privé stipulant qui est le véritable bénéficiaire du compte. Le contrat est signé en juillet 2014, mais les fonds dorment toujours, au grand dam du Français et de ses avocats.

Le 23 septembre 2014, l’un des avocats fiscalistes de M. Autajon fait part de ses préoccupations sur la mauvaise réputation de la banque Winterbotham. Il préférerait que le montant transite par une banque intermédiaire plus réputée. L’argent passe donc par ING Bank, via une société offshore néerlandaise, BlackWater BV – enregistrée aux Antilles néerlandaises – qui appartient à Infintax, le principal intermédiaire financier de Mossack Fonseca pour les Pays-Bas. C’est cette dernière qui souscrit aux fonds luxembourgeois de Crédit Suisse Luxembourg début décembre 2014, avant que les actions ne soient cédées à Forever Unity.

Ouf ! Après être passés par de multiples juridictions offshore, avoir changé cinq fois de compte en banque, les 21,6 millions d’euros peuvent enfin commencer à rapporter de l’argent sans que l’identité du bénéficiaire ne soit officiellement dévoilée. Contactée par Le Monde, l’avocate de Gérard Autajon assure que « les faits évoqués [par Le Monde] sont anciens. [Son] client regrette ces investissements, c’est pourquoi il a souhaité les régulariser auprès de l’administration fiscale ». Ce qui aurait été fait au début de l’année 2015.

Le vignoble de Marcel Hermann

Marcel Hermann aime le vin. Alors, quand cet expert-comptable décide, en 1999, de racheter un domaine viticole dans le Languedoc, le Mas de la Barben, il se lance bille en tête, en investissant 4,5 millions de francs (près de 700 000 euros).

Quatre ans plus tard, en 2003, M. Hermann ouvre le capital de son vignoble à European Wine Trading (EWT), avant de lui céder toutes ses parts en 2006. Cette holding luxembourgeoise, gérée par un cabinet d’avocats, compte parmi ses propriétaires une société offshore enregistrée aux îles Vierges britanniques, Kettman Portfolio Inc.

Or, une déclaration sous serment signée de Marcel Hermann datant de 2013, à laquelle Le Monde a eu accès, indique qu’il est le bénéficiaire économique de Kettman. Il aurait ainsi acheté, par l’intermédiaire d’un paradis fiscal, des actions dans une holding luxembourgeoise qui aurait investi dans son propre vignoble, le Mas de la Barben. Marcel Hermann « conteste la validité » de ce document, en expliquant que ce ne peut être qu’« un faux ». Pourtant, sa signature correspond bien à celles d’autres documents à son nom.

A quoi aurait pu servir un tel montage pour M. Hermann ? Première hypothèse : récupérer via sa société offshore les dividendes de son propre vignoble, sans payer d’impôts dessus. Mais le propriétaire du Mas de la Barben assure que le domaine « n’a jamais fait de bénéfice jusqu’à maintenant ».

Deuxième hypothèse : réinjecter dans le Mas de la Barben de l’argent détenu à l’étranger. C’est ce que pourrait suggérer une opération intervenue quelques mois avant l’entrée d’EWT dans le capital du vignoble, en septembre 2003. Au moment d’entrer dans le capital d’EWT, la société offshore Kettman ouvre un compte bancaire alimenté, au fil des années, par plusieurs millions d’euros au profit d’EWT, sous la forme d’une ligne de crédit remboursable. Ces transferts avaient-ils pour but de financer l’entrée d’EWT au capital du Mas de la Barben, puis son rachat complet en 2006 ?

Toujours est-il que la vente du vignoble à EWT a été pour Marcel Hermann le coup d’envoi de sa « success story » : c’est grâce au produit de cette vente qu’il a acheté sa première clinique en 2006, dans le sud de la France. Dix ans plus tard, son groupe Medipôle-Partenaires pèse plus d’un milliard d’euros. Un succès qui lui a permis de racheter le Mas de la Barben en son nom propre en 2012.

La société Kettman, elle, est encore active. Redomiciliée au Panama en 2010 puis au Luxembourg en 2013, elle s’appelle aujourd’hui Kettman Invest SA, et ses actionnaires sont toujours anonymes.

#BahamasLeaks Le lexique de l'offshore
L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner

Voir les contributions

Réutiliser ce contenu

Lecture du Monde en cours sur un autre appareil.

Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil à la fois

Ce message s’affichera sur l’autre appareil.

  • Parce qu’une autre personne (ou vous) est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil.

    Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil à la fois (ordinateur, téléphone ou tablette).

  • Comment ne plus voir ce message ?

    En cliquant sur «  » et en vous assurant que vous êtes la seule personne à consulter Le Monde avec ce compte.

  • Que se passera-t-il si vous continuez à lire ici ?

    Ce message s’affichera sur l’autre appareil. Ce dernier restera connecté avec ce compte.

  • Y a-t-il d’autres limites ?

    Non. Vous pouvez vous connecter avec votre compte sur autant d’appareils que vous le souhaitez, mais en les utilisant à des moments différents.

  • Vous ignorez qui est l’autre personne ?

    Nous vous conseillons de modifier votre mot de passe.

Lecture restreinte

Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article

Pour plus d’informations, merci de contacter notre service commercial.