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Témoignage

Réserve citoyenne : «J’en ai assez de cette mascarade, j'abandonne»

Karine Miermont, écrivain, fait partie de ces 5000 citoyens volontaires pour intervenir dans les établissements scolaires pour parler des valeurs de la République. Enthousiaste au début, elle explique aujourd'hui sa déception. Et sa «démission».
par Marie Piquemal
publié le 6 avril 2016 à 7h20

Quelques jours avant le printemps, elle reçoit ce mail de l'académie de Paris: «Nous vous invitons à une soirée de rencontre le 6 avril 2016 de 18h à 20h30 (nombre de places limité, inscriptions obligatoires). Nous pourrons partager l'expérience de réservistes intervenus récemment devant des élèves.» Karine Miermont, écrivain, est l'une des 5 000 citoyens volontaires pour intervenir dans les écoles, partager son expérience, et pourquoi pas parler des valeurs de la République. Elle avait répondu à cet appel lancé par la ministre de l'Education Najat Vallaud-Belkacem au lendemain des attentats de janvier 2015 contre Charlie Hebdo et l'Hyper CaCher.

Ci-dessous, le spot mis en ligne par l’Education nationale en mai 2015 pour expliquer le concept de la réserve citoyenne :

«C'était un beau message. Je me suis tout de suite manifestée, je pouvais donner un peu de mon temps. Donc participer à cette réserve était une évidence pour moi.» C'était il y a quinze mois, Karine Miermont était pleine d'enthousiasme. En décembre dernier, lors de la première réunion des réservistes de l'académie de Paris, elle exprimait ses premiers doutes publiquement, puis dans Libération, ne comprenant pas pourquoi le dispositif tardait tant à se mettre en place. Aujourd'hui, elle est en colère et «démissionne». Elle s'apprête à adresser à la ministre un courrier pour l'en informer. Voici son témoignage :

«Je veux témoigner, pour qu’au moins ce temps que j’ai perdu serve à quelque chose. Et puis, je considère aussi qu’il en va de ma responsabilité de citoyen de m’exprimer. J’en ai assez de cette mascarade. Cette fois, j’abandonne. Ils nous prennent pour des idiots, on ne peut pas le dire autrement. Je n’ai toujours pas été appelée pour intervenir dans une école, ni même pour un entretien au rectorat. Et la dizaine de réservistes que je connais à Paris, n’a pas été sollicitée non plus.

«Que le dispositif soit long à se mettre en place, je peux le comprendre. J’aurais aussi tout à fait compris que le ministère ait changé d’avis dans le contexte actuel. Qu’en raison des conditions de sécurité, il ne soit pas opportun de laisser entrer des personnes extérieures dans les établissements, cela peut tout à fait s’entendre. Mais, non. La ministre répète depuis plusieurs mois, que cette fois, ça y est, la réserve est en place. Comme s’il suffisait de le dire pour que la réalité suive ! Comme si le verbaliser transformait le réel. J’insiste sur ce point car ce décalage entre la parole publique et les faits est récurrent, dans l’Education nationale comme ailleurs. Les gens n’y comprennent plus rien, c’est épuisant.

«J’en ressors avec le sentiment que cette réserve citoyenne, ce n’était que de l’affichage. Un mot, sans rien derrière. C’était un beau message pourtant, bien que depuis, en discutant avec des enseignants, je sais qu’il y a beaucoup plus urgent, comme commencer par leur donner les moyens de faire leur travail.

«Cette fameuse soirée à la Sorbonne en décembre dernier, où j’ai exprimé mes interrogations parmi d’autres, m’a permis au moins de rencontrer d’autres volontaires. Depuis, on est une petite dizaine à échanger : un retraité très actif, un chef d’entreprise, une diplomate, une fonctionnaire qui travaille dans une collectivité locale, un autre dans la police…. On a même fait un dîner chez l’un d’eux qui voulait écrire une charte du réserviste. Tous étaient très motivés, mais aujourd’hui, on se décourage. Aucun de nous n’a été contacté par le rectorat.

«Depuis décembre, rien ne s'est passé, si ce n'est ce mail reçu le 17 mars, pour une nouvelle rencontre [ce soir, ndlr]. Je l'ai parcouru d'un œil, sans faire attention à la mention entre parenthèses, sur le nombre de places limitées. Quand j'ai répondu quatre jours après, c'était trop tard. Plus de place pour moi. Je vous épargne la seconde de parano où je me suis imaginée black-listée parce que j'avais exprimé publiquement mes réserves. Mais je m'interroge quand même : pourquoi choisir une salle sous-dimensionnée ? Qu'est ce que cela signifie ?»

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