Une année de cours. C’est ce que chaque élève perd en moyenne sur sa scolarité à cause des absences non remplacées, selon une estimation avancée il y a quelques années par l’inspection générale. Un problème qui, depuis, est loin d’avoir disparu, comme le montre le cas de Sabine Gerbier.

Cette habitante d’Épinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis) a deux enfants. Depuis le début de l’année, dans la classe de sa fille, en CM2, l’enseignante, obligée de s’occuper de ses propres enfants malades, a d’abord été absente à plusieurs reprises pour un ou deux jours, sans être remplacée.

Puis il a fallu attendre dix jours pour qu’un remplaçant vienne prendre sa place lorqu’elle-même a rencontré un souci de santé. « En attendant, ma fille était casée dans une classe de CP, où elle n’apprenait rien. J’ai fini par la garder à la maison, le temps qu’une solution soit trouvée », confie cette mère.

Son fils, lui, est en 5e. « Entre septembre et février, il n’a pas eu cours de technologie. De même, pendant plusieurs semaines, son professeur de maths, en congé parental, n’a pas été remplacé », déplore Sabine Gerbier. « L’an dernier, c’était son professeur d’anglais qui était sans cesse absent. Résultat : mon fils a maintenant beaucoup de mal dans cette matière. »

Des retards dans certaines matières

Parce que ce récit n’a rien d’exceptionnel, la FCPE organisera jeudi 7 avril des rassemblements devant les rectorats et lancera d’autres actions sur les réseaux sociaux. La fédération de parents d’élèves a demandé aux familles concernées de lui faire remonter les informations via un site Internet (1) qui lui a permis de comptabiliser « 20 000 jours de cours perdus depuis la rentrée ».

« Les inégalités s’en trouvent renforcées », estime Liliana Moyano, la présidente de la FCPE. « Les enfants qui ne peuvent rattraper leur retard avec des cours particuliers sont doublement pénalisés », argumente-t-elle.

Si l’on s’en tient aux chiffres du ministère, 1 566 postes de remplaçants avaient été supprimés sous la droite dans le primaire, entre 2008 et 2012, tandis que 2 172 ont été recréés entre 2013 et 2015. Mais comme l’affirme Frédérique Rolet, la cosecrétaire générale du Snes, une partie de ces postes sont en réalité affectés à l’année. « Certes, il n’y a presque plus de classe sans professeur le jour de la rentrée. Mais dans un second temps, avec les pics de grippe et autres gastro, apparaissent les difficultés, souvent insolubles », assure la syndicaliste.

En réalité, la situation n’est pas la même dans le premier et le second degré. Dans le primaire, on trouve un seul professeur pour l’ensemble des matières. S’il tombe malade, c’est tout l’emploi du temps des élèves qui s’effondre.

Avec cependant, en contrepartie, une vraie souplesse : comme tous les professeurs des écoles, les membres des brigades de remplacement peuvent intervenir aussi bien en petite section de maternelle qu’en CM2. « Et même si ce n’est pas leur rôle, les enseignants supplémentaires affectés dans le cadre du dispositif « plus de maîtres que de classes » peuvent, à titre exceptionnel, remplacer ponctuellement un collègue absent ».

Au collège et lycée, une difficile organisation

Au collège et au lycée, en revanche, les professeurs n’enseignent qu’une matière. Aussi, le corps des titulaires remplaçants (TZR) est organisé à la fois par zones et par disciplines. On peut donc très bien avoir, à un instant T, dans une académie, trois remplaçants disponibles en maths, alors qu’on ne parvient pas à remplacer deux collègues d’allemand.

« S’il s’agit d’une absence de longue durée (plus de 15 jours), on s’adresse au rectorat, qui cherche une solution parmi les titulaires remplaçants puis, à défaut, parmi les contractuels », explique Philippe Tournier, le président du SNPDEN, syndicat de chefs d’établissement. « S’il ne trouve pas de solution, alors la direction du collège ou du lycée part à la pêche, en mobilisant les réseaux de ses professeurs, parents d’élèves ou anciens élèves. »

Le hic, note-t-il, c’est que, depuis 2010, il faut être titulaire d’un master pour pouvoir enseigner. « Un rétrécissement du vivier de contractuels qui pénalise moins les établissements situés à proximité des centres universitaires que ceux implantés en zone rurale ou en lointaine banlieue. »

Le remplacement en interne privilégié

S’agissant des absences de courte durée, les plus fréquents, les collèges et lycées sont censés s’organiser d’abord en interne. « Un décret pris il y a une dizaine d’années prévoit que les enseignants remplacent à la volée leurs collègues absents, moyennant des heures supplémentaires (jusqu’à cinq heures par semaine et 60 heures par mois) avec une surrémunération de 25 % », rappelle l’inspecteur général honoraire Bernard Toulemonde. « Mais le Snes s’emploie à saborder cette mesure », constate-t-il.

« Officiellement encore en vigueur, ce décret hypocrite permet à l’Éducation nationale de faire peser la responsabilité sur les établissements, qui ne peuvent compter que sur le volontariat des professeurs », dénonce Philippe Tournier. « À aucun moment le nouveau statut des enseignants, adopté en 2014, n’aborde la question du remplacement. »

Une heure de maths contre une heure de français

Dans certains établissements, comme l’internat d’excellence de Sourdun (Seine-et-Marne), on est peu ou prou parvenu, « suivant un principe de solidarité », à résoudre l’équation du remplacement. « Imaginons qu’un professeur de français soit malade, un enseignant de maths disponible peut prendre en charge les élèves concernés une heure de plus, avec un surcroît de salaire », glisse le proviseur Bernard Lociciro. « À son retour, le professeur de français peut, s’il est d’accord et moyennant une heure sup’, rattraper le cours supprimé, en remplacement d’une heure de maths. »

Aujourd’hui, il faut explorer d’autres pistes, suggère Bernard Toulemonde. À commencer par la lutte contre l’absentéisme, « plus fort parmi les enseignants que chez les salariés du privé », surtout s’il est rapporté au nombre de jours travaillés. « En 2012-2013, 43 % des enseignants ont bénéficié d’un congé-maladie, pour une durée moyenne de 16 jours », précise-t-il.

Pour plus de souplesse, cet ancien de la « maison » suggère aussi d’annualiser le temps de service des titulaires remplaçants et de « creuser la piste de la bivalence », le fait d’enseigner deux disciplines au lieu d’une. De quoi déclencher l’ire des syndicats.

Faire appel aux retraités ?

Bien des rigidités méritent d’être levées, considère lui aussi le député LR Patrick Hetzel. « Un remplaçant ne peut être affecté dans l’académie voisine, même s’il s’agit de traverser le périphérique parisien », dénonce-t-il. Cet ancien recteur propose également de remettre sur l’ouvrage une solution envisagée sous la droite : faire appel aux enseignants retraités. « À l’époque, on s’était contenté de constituer une liste de volontaires, sans répertorier précisément leurs périodes de disponibilité… »

« La vérité, croit savoir Philippe Tournier, c’est que ce dossier des remplacements n’est pas et n’a jamais été considéré comme prioritaire. » La preuve, dit-il : « Pour programmer des formations sur la réforme du collège, le ministère a supprimé cette année, sans hésitation, des milliers d’heures de cours. »

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La politique du ministère

Un groupe de travail : le ministère de l’éducation a annoncé cette semaine avoir constitué un groupe chargé de plancher sur le dossier des remplacements de professeurs absents. Il s’agira notamment de déterminer « dans quelles conditions des remplaçants titulaires pourront intervenir dans des circonscriptions voisines », indique-t-on au cabinet de Najat Vallaud-Belkacem.

Les chiffres : dans le secondaire, 2,9 % des heures de classe n’étaient pas assurées pour cause d’absences non remplacées en 2014-2015, un taux en recul de 25 % par rapport à l’année précédente.

Les effectifs : après la création de 2 172 postes dans le primaire entre 2013 et 2015, le ministère de l’éducation nationale évoque une montée en puissance « qui se poursuivra sur les rentrées 2016 et 2017 ».