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Énergie

Télévision : Changement de norme = grand gâchis écologique

La télénumérique passe à la norme TNT HD ce mardi 5 avril, et il faut changer de décodeur. Avant la prochaine évolution technique, qui imposera à nouveau de changer d’appareil. À quel coût environnemental ?

Le petit écran demeure aujourd’hui incontournable : il est présent dans 98 % des foyers (selon une étude du Credoc). La durée moyenne passée devant une télé était en 2015 de 3 h 44 par personne et par jour (selon Médiamétrie), ce qui en fait le média le plus consulté. Or, derrière cette apparente stabilité et uniformité de la télé, les évolutions techniques ne cessent de se bousculer, entrainant une diversification de sa pratique.

Comme la radio, la télé fonctionne sur le mode du broadcast : les programmes sont émis comme on sème des graines à la volée, sous la forme d’ondes radio (aussi appelées ondes hertziennes). Et ce, depuis la première émission française, en 1931. Les antennes-relais, réparties sur le territoire, jouent le rôle du semeur : elles reçoivent les programmes par satellite et les diffusent sur les ondes, à des fréquences comprises entre 470 et 860 MHz. La radio FM, elle, est émise entre 88 et 108 MHz.

Ça, c’est pour les tuyaux. À l’intérieur circulent les contenus : pendant longtemps, l’image était transmise sous un format analogique. Mais avec le développement de l’informatique, les formats numériques se sont révélés plus efficaces : ils permettent de communiquer des contenus audiovisuels de meilleure qualité tout en envoyant moins de données. La télévision numérique (TNT) a ainsi été mise en place progressivement à partir de 2005. Analogique et numérique fonctionnent avec les mêmes tuyaux, mais diffèrent dans leur alphabet : pour lire un signal numérique, un téléviseur a besoin d’un décodeur adapté. En 2011, la diffusion de la télévision en analogique a cessé. Les téléspectateurs ont alors dû se procurer un décodeur numérique ou bien un téléviseur comprenant un tel décodeur.

Une forme d’« obsolescence réglementaire »

Avantage : un contenu codé en numérique nécessite un débit inférieur au même contenu codé en analogique. La TNT a donc permis de diffuser davantage de chaines (W9, D8, France4, LCP, etc.), en utilisant moins de fréquences. Les fréquences libérées, la « bande des 800 » (de 790 à 860 MHz), furent alors attribuées aux opérateurs téléphoniques, qui y ont depuis installé la 3G, une norme de téléphonie mobile permettant elle aussi d’échanger davantage de contenus.

Mais le progrès ne s’arrête pas là. Car le numérique comprend plusieurs langages. Depuis 2005, la TNT fonctionne avec un signal codé en MPEG-2. Aujourd’hui, la nouvelle TNT HD utilise un signal en MPEG-4. Et ce remplacement obéit toujours à la même logique : « La nouvelle norme est plus performante que la précédente : elle permet de transmettre davantage de débit en utilisant moins de fréquences, explique Nicolas Curien, membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), joint par Reporterre. Ainsi, tout en améliorant la qualité des images de télévision, on peut libérer des fréquences au profit des opérateurs télécom, qui les utiliseront pour faire face à l’explosion de la transmission de données, notamment vidéos, sur les smartphones. »

Dans les faits, ce changement de norme oblige les utilisateurs à acheter un décodeur MPEG-4 pour que leur télé continue à afficher les programmes (fin janvier, environ 3,5 millions de postes n’étaient pas adaptés à recevoir la HD, selon Nicolas Curien). Sans assurance que le rendu de leur téléviseur soit de meilleure qualité car, pour profiter pleinement de la TNT HD, encore faut-il que l’écran utilisé soit « HD ready », c’est-à-dire capable d’afficher une résolution supérieure. En outre, un contenu n’est « HD » que s’il a été produit (filmé, réalisé) en HD, ce qui n’est pas encore le cas de tous.

Ce petit changement de norme a donc occasionné l’explosion des ventes de décodeurs, multipliées par 22,8 en mars 2016 par rapport à mars 2015 (selon l’institut Gfk). Mais aussi celles de téléviseurs, en hausse de 90 %. Pour Camille Lecomte, des Amis de la Terre, il s’agit d’une forme d’« obsolescence réglementaire », car « c’est une décision de l’État qui fait que le produit est périmé ». « À cette occasion, poursuit-elle, les publicités et baisses de tarifs peuvent inciter les gens à changer de télé alors qu’ils n’en ont pas besoin. »

Les télévisions ont une empreinte environnementale

Autre bénéficiaire de l’opération, l’État : les fréquences libérées (la « bande des 700 MHz », cette fois) ont été mises aux enchères auprès des opérateurs télécom, rapportant la modique somme de 2,8 milliards d’euros ! Une ligne de crédit qui avait semble-t-il été prévue de longue date dans le budget national. Les opérateurs, eux, s’apprêtent à utiliser ces fréquences pour émettre en 4G puis en 5G. Laissant supposer l’installation de nouvelles antennes-relais qui raviront les électrosensibles.

Si peu de personnes au CSA et à l’agence nationale de gestion des fréquences (Anfr) s’en inquiètent, la production et l’utilisation de ces équipements toujours renouvelés ne sont pas anodins. « Le décodeur constitue un appareil supplémentaire qui consomme de l’énergie. Sa fabrication pollue, utilise des ressources non renouvelables et de l’énergie », explique Françoise Berthoud, ingénieur de recherche en informatique à Grenoble (LPMMC-CNRS) et directrice du groupe ÉcoInfo (voir encadré ci-dessous). Comme tous les équipements électriques et électroniques, les télévisions ont une empreinte environnementale. « Les constructeurs font des progrès sur la phase de fabrication, surtout lorsqu’ils y sont contraints par la réglementation. Mais dans le recyclage, les progrès sont très lents. On ne sait pas recycler à une échelle industrielle les écrans plats, donc, pour l’instant, ils sont essentiellement enfouis. »

Les téléviseurs, comme tout objet électronique, ont une empreinte environnementale.

Mais le progrès ne semble décidément pas vouloir s’arrêter, et d’autres évolutions sont à venir. « Nous devrons progressivement nous habituer à ce que la télévision soit comme Windows, avec des mises à jour régulières, estime Nicolas Curien. Dans 15 ans, la télévision sera probablement véhiculée par la fibre optique et le téléviseur sera un objet connecté, parmi bien d’autres. Dans cinq ans, il n’est pas impossible que la norme MPEG-4 laisse la place à une norme permettant l’envoi d’images en ultra-haute définition. »

« Beaucoup plus coûteux en termes de consommation électrique »

Parmi ces évolutions en cours et à venir, l’une est particulièrement révolutionnaire : la télévision connectée. Elle rompt avec les ondes radios, pour aller chercher les contenus sur le web (via les lignes téléphoniques ou la fibre optique). « Là, on change vraiment de mode de communication », explique Laurent Lefèvre, chargé de recherche de l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria) à l’ENS de Lyon, également membre d’ÉcoInfo. « Le broadcast fonctionne de 1 vers tous, ce qui est très efficace. Tandis qu’avec la télévision connectée, c’est du 1 à 1, c’est-à-dire qu’il faut mettre un bout de serveur (virtualisé) à chaque fois derrière un utilisateur. Et cela est beaucoup plus coûteux en termes de consommation électrique. »

Un centre de donnée, ou « datacenter ».

S’il est difficile d’évaluer comparativement l’impact de la télé hertzienne et de la télé connectée, il est certain que la seconde entraine une explosion des infrastructures de stockage et de transmission des données du web et des risques qu’elles représentent. Faut-il alors refuser ces nouvelles pratiques de streaming et téléchargement de vidéos, ou chercher à aménager les techniques pour diminuer leur impact ? Nicolas Curien ne voit pas « pourquoi l’on devrait priver la télévision des évolutions technologiques », tout en soulignant qu’« il reste beaucoup d’effort à accomplir » pour mettre les technologies numériques sur la voie du « développement durable ».


ÉCOINFO, UN GROUPE D’INFORMATICIENS ÉCOLOS

ÉcoInfo est un groupe de chercheurs, ingénieurs et étudiants en informatique qui connectent leur discipline aux questions environnementales. Il a été créé il y a dix ans « par des informaticiens qui constataient qu’avec un même budget, on pouvait acheter des serveurs de plus en plus puissants et consommateurs d’énergie », raconte Françoise Berthoud, sa directrice. « On s’est rendu compte qu’il existait un déficit de connaissances dans la recherche et le grand public sur ces sujets. On a commencé à s’interroger sur la façon de réduire la consommation énergétique de nos équipements et, plus largement, comment réduire les impacts de ces équipements à toutes les phases de leur cycle de vie. »

Leur constat est encore plus valable aujourd’hui, alors que les technologiques d’information et communication consomment 10 % de l’électricité mondiale. « On est encore dans la phase d’information, à montrer que l’informatique a un coût important », explique Laurent Lefèvre. Publié en 2012, leur ouvrage Les Impacts écologiques des technologies de l’information et de la communication constitue une ressource importante. « Le cloud, par exemple, a un côté très vert et bienfaiteur mais, derrière, il nécessite des datacentres et des réseaux performants. Par contre, si je fais une visioconférence, j’économise en déplacement physique. Donc, l’informatique permet aussi de réduire certaines autres consommations. Il faut évaluer à chaque fois, au coup par coup, en fonction des scénarios. »

Pour diminuer l’impact environnemental de ces technologies, une solution consiste à optimiser et réglementer leur fonctionnement, leur fabrication et leur recyclage. ÉcoInfo organise une conférence sur ces sujets, le 11 avril, à l’Institut Henri-Poincaré de Paris. Mais l’on peut également penser que ces aménagements ne feront pas tout et que, dans le domaine des technologies numériques comme ailleurs, un changement de nos modes de consommation est nécessaire.

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