Tribune

François Hollande, le président qui fit pleurer des Arabes

La langue de la République est celle qui doit solder les rancœurs issues du passé. Celle qui doit dire que, quelle que soit notre origine sociale, tous les espoirs sont permis. Celle qui doit ouvrir les champs du possible et de l’émancipation. Celle par laquelle se disent l’égalité et la fraternité.
par Dominique Sopo, Président de SOS Racisme
publié le 8 avril 2016 à 17h05

François Hollande a fini par acter l'évidence : sa révision constitutionnelle ne pouvant être présentée en Congrès en raison du désaccord entre l'Assemblée et le Sénat, il fallait l'abandonner. Se terminent ainsi sans l'expression d'un remords quatre mois durant lesquels le pays aura subi un débat dont l'aspect délétère fut alimenté par la volonté de rendre possible la déchéance de la nationalité à des personnes nées françaises.

Beaucoup a déjà été dit sur le cynisme de la manœuvre, l'inefficacité de la mesure pour lutter contre le terrorisme et la défense bienvenue de principes écornés. Mais trop peu sur la violence symbolique.

L'histoire de la nationalité est pleine de soubresauts qui, sur les dernières décennies, ne peuvent pleinement se comprendre dans leur charge émotionnelle que par leur intrication avec notre histoire coloniale.

Le colonialisme européen fut mené au nom d'une prétendue mission civilisatrice de l'Occident qui, une fois aboutie, devait permettre ­­­­­ miroir aux alouettes ! - l'accès des peuples colonisés à la citoyenneté.

La logique coloniale entrait en flagrante contradiction avec les droits de l'Homme. Elle dut alors être soutenue non par la raison mais par la fabrication d'un imaginaire colonial qui devait rendre évidentes l'infériorité du colonisé et la contrainte sur lui exercée. Le noir devint avant tout un grand enfant ridicule et benêt. L'arabe - et par extension tout maghrébin de culture musulmane  se vit progressivement, et avec quelle force lorsqu'éclata la Guerre d'Algérie, affublé de l'image de l'homme violent. Ce dernier, en outre, par cette même guerre, mettait fin à la fiction des départements français d'Algérie. Il devenait ainsi, dans le non-dit, celui qui avait infligé une blessure narcissique à la France. Une blessure d'autant plus terrible qu'elle ne fut jamais verbalisée aux fins de son dépassement.

Parce que la relation de la France aux Arabes (1) ne fut jamais positivement travaillée sur le plan politique, nous héritons d'une situation où ils créent régulièrement un état hystérique fondé sur une trame de fantasmes et de rancœurs. Ils le créent d'autant plus volontiers que se confrontent des stéréotypes d'infériorisation à leur endroit et une ascension sociale à leur crédit qui a le don d'incommoder des membres d'une bourgeoisie traditionnelle contestés dans leurs statuts sociaux privilégiés et dans la transmission dynastique de ces derniers.

C'est ainsi que ressurgissent, malgré les élans de fraternité des années 80 et 90, des expressions de défiance envers les Arabes. En 1986, Albin Chalandon, alors Garde des Sceaux, proposait une réforme du code de la nationalité – que SOS Racisme contribua largement à faire échouer - dont le but premier était de priver les enfants d'Algériens du plein bénéfice du droit du sol. En 1993, par cette même volonté, la loi Pasqua venait matérialiser le doute sur l'adhésion à la nation des jeunes nés en France de parents étrangers.

Evidemment, il n'est pas poli de cibler les Arabes. Alors on préféra progressivement cibler les musulmans, nouvelle catégorie qui présente l'intérêt de ne pas s'attirer les accusations de racisme. Pourtant, chacun pourra admettre que la catégorie «musulmans» recouvre bien dans l'imaginaire collectif l'ancienne catégorie des Arabes, dont l'évocation a disparu du débat public, dans une étrange alliance de fait avec les forces islamistes. Pour ceux qui en douteraient, il n'est qu'à se demander à qui ils pensent lorsque l'on parle des musulmans : aux Algériens ou aux Maliens ?

Lorsqu'on suspecte par essence une population et qu'on la prive d'une liberté de définition identitaire, alors on lui inflige des violences symboliques qui la mettent en difficulté. François Hollande, en 2012, avait l'occasion d'inverser cette tendance. Que ce soit par (manque de) conviction, opportunisme ou incompréhension des enjeux, il ne le fit pas. Au contraire, après avoir pourtant agi avec hauteur suite aux attentats de janvier 2015, il vint infliger une nouvelle blessure symbolique - d'autant plus forte qu'elle venait de la gauche - en rendant possible la déchéance de la nationalité à l'encontre des binationaux nés français.

La violence fut immense car la mesure venait inscrire une marque d'irréductible extranéité sur les binationaux, notamment d'origine maghrébine. Ce qui était lancinant se révéla aux yeux de beaucoup de ces «marqués». Peu importaient la vie tranquille en France, les preuves sans cesse renouvelées de l'adhésion à la communauté nationale, les combats partagés dans les creusets militants au nom de valeurs socialistes, communistes, libérales... Peu importait tout cela puisqu'ils étaient avant tout des Arabes qui, s'ils ne filaient pas droit, devaient être renvoyés dans «leurs vrais pays».

Les Arabes étaient en outre dans l'impossibilité de réagir avec vigueur. Etre arabe et s'exprimer publiquement contre la déchéance ? Mais enfin, c'était déjà, à tort ou à raison, entendre raisonner dans la tête de l'autre ce sinistre ricanement : «Quoi d'étonnant qu'un Arabe s'oppose à cette sanction infligée aux terroristes ? Il défend ces monstres qui après tout sont les siens !». Bref, leur très large silence ne valait pas adhésion. Il disait la sidération.

Durant ces longs mois, plusieurs personnes d'origine maghrébine me dirent avoir pleuré quand le président, le 23 décembre, annonça que la déchéance de la nationalité ferait bien partie de la révision constitutionnelle.

A vrai dire, François Hollande n'a pas tant ouvert une séquence que libéré des forces malveillantes qui, jusqu'au sein de la gauche, n'arrivent plus à se contenir qu'à grand peine. Après avoir largement accompagné les reculs infligés par le camp réactionnaire à l'égard des populations d'origine immigrée, voilà que les arcs politique, intellectuel et médiatique se trouvent envahis de cette pensée selon laquelle l'Arabe, enfermé dans la figure du musulman, doit subir un caporalisme qui cache mal des rêves de rééducation. Enfin, soyons honnêtes : une rééducation dont les promoteurs guettent les éléments permettant, avec une gourmandise faussement contrite, de la tenir pour inatteignable. Censé vivre quel que soit son lieu d'habitation sur des territoires perdus de la République (à reconquérir avec la troupe ?), voici donc que l'Arabe serait un bloc d'antisémitisme et de haine mal camouflée envers la laïcité. Un bloc de défi à toute civilisation. Un bloc de violence. Un bloc d'esprit patriarcal. En somme et avec toute la bonne conscience d'un édifice discursif paré des oripeaux de la République, un bloc à frapper.

Alors, maints hérauts autoproclamés de la République semblent ne plus pouvoir dire «Malgré le fait que vous êtes victimes de racisme, ne vous enfermez pas dans ce statut». Ils disent : «Ne venez pas nous présenter vos griefs, la victimisation ça suffit.» Ils ne disent plus: «L'égalité est un droit qui est dû à tous sans que rien ne vienne la conditionner.» Ils disent : «Quelle indécence de venir parler d'égalité alors que des forces réactionnaires agissent en votre sein.» Ils ne disent plus : «Nous trouverons tous les équilibres conformes à nos valeurs pour que nous avancions ensemble, sans distinction d'origine ou de religion.» Ils disent: «Vous devrez vous soumettre ou vous démettre.» Ils ne disent pas : «Les blessures du passé nous affectent tous et nous les dépasserons collectivement pour nous tourner ensemble vers l'avenir.» Ils disent : «Arrêtez de nous culpabiliser avec le poids imaginaire de violences révolues». Ils ne disent plus : « Votre "vous" fait partie de notre "nous".». Ils disent: «Le "vous" et le « nous » sont inconciliables ». Ils ne disent plus l'inclusion, ils disent la malveillance.

Pourtant, la langue de la République est celle qui doit dire ce qui fait le commun. Celle qui doit solder les rancœurs issues du passé. Celle qui doit dire à la jeunesse qu'elle a sa pleine place dans la société. Celle qui doit dire que, quelle que soit notre origine sociale, tous les espoirs sont permis. Celle qui doit ouvrir les champs du possible et de l'émancipation. Celle par laquelle se disent l'égalité et la fraternité.

Bref, la langue de la République peut être utilisée pour combattre ses ennemis. Jamais pour frapper ses enfants.

(1) Le terme « Arabe » sera utilisé ici dans sa version populaire et donc extensive puisqu’intégrant tous les maghrébins de culture musulmane et donc les Berbères de culture musulmane.

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