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« Panama papers » : l’offshore, antichambre des divorces

Les fournisseurs de services offshore, qui mettent sciemment les biens d’une personne hors de portée de son conjoint, sont passibles de poursuites.

Le Monde

Publié le 08 avril 2016 à 18h11, modifié le 09 avril 2016 à 18h39

Temps de Lecture 7 min.

Panama, mars 2015. L'ile de San Blas dont la population d'origine est indienne Guana est devenue une destination touristique prisée des pananéens influents.
Photo : Paolo Woods  et Gabriele Galimberti/INSTITUTE

Ce sont presque toujours des hommes, et parmi le 1 % des plus riches du monde, qui font appel à Mossack Fonseca pour protéger leur fortune des appétits de leur moitié. Et le cabinet panaméen accepte sans sourciller. Les « Panama papers » permettent de découvrir les dessous, souvent peu reluisants, de ces opérations.

En Thaïlande, le cabinet conseil a ainsi apporté son aide à un homme qui voulait un « remède miracle » au cas où son épouse tenterait de le déposséder. En Equateur, il a proposé des sociétés-écrans à un « client qui voulait acquérir une entreprise avant son divorce ». Au Luxembourg, non sans quelques plaisanteries, il a aidé un Néerlandais qui voulait « protéger » son patrimoine « contre les conséquences déplaisantes d’un divorce à l’horizon ». Pourtant, les fournisseurs de services offshore, qui mettent sciemment les biens d’une personne hors de portée de son conjoint, sont passibles de poursuites judiciaires. « Quand quelqu’un entame ce genre de procédure, plus le divorce est proche, plus il y a de chances qu’il veuille dissimuler ses biens pour une fraude en droit matrimonial », indique Sanford K. Ain, un avocat de Washington. Lui-même a travaillé sur une affaire de divorce tellement complexe qu’il avait sur son bureau un schéma des comptes, sociétés et trusts du mari. « On aurait dit que quelqu’un avait jeté un tas de spaghettis sur la page », plaisante l’avocat – démêler l’affaire avait d’ailleurs coûté entre 2 et 3 millions de dollars.

La chanteuse Michelle Young, dont le divorce a été fort médiatisé, a fondé en 2014 une organisation pour aider les femmes escroquées par leur ex-mari à naviguer dans les eaux coûteuses du système judiciaire britannique. « C’est un combat sans merci, dit-elle. Si vous n’avez pas les moyens de vous défendre, vous êtes mort. » Elle a mis sept ans et des millions de dollars pour retrouver des biens de son ex-mari, le promoteur Scot Young. Qui avait fait notamment appel à Mossack Fonseca pour mettre sur pied un complexe empire financier, dispersé en Russie, aux îles Vierges et à Monaco. « Il y a tellement de biens – c’est comme un mini-Enron », a expliqué la chanteuse. Elle a obtenu en 2013 un jugement qui lui accordait 32 millions de dollars. Scot Young a fait appel, celui-ci a été rejeté. L’homme a été retrouvé empalé sur les pics d’une grille après être tombé du quatrième étage de son appartement londonien, mais c’est, semble-t-il, sans rapport avec son divorce.

Sortir des biens de Suisse

En 1987, Dmitri Rybolovlev, milliardaire et propriétaire du club de football de l’AS Monaco, épouse Elena, une étudiante dont il est tombé amoureux pendant ses études dans l’Oural. Dmitri est le « roi des engrais » russe, le couple a deux enfants, s’installe en Suisse et est, selon ses avocats, « fabuleusement riche ». En décembre 2008, Elena Rybolovleva demande le divorce, en raison d’« une période prolongée de relations maritales tendues ». Selon la loi suisse, chaque conjoint a droit à une part égale de la fortune commune. Mais savoir quels biens doivent être partagés n’est pas plus simple que le complexe réseau offshore.

Mossack Fonseca a ainsi créé Xitrans Finance Ltd aux îles Vierges britanniques en 2002. Une simple boîte postale sur l’île ensoleillée de Tortola, mais qui possède des toiles de Picasso, Modigliani, Van Gogh, Monet, Degas et Rothko ou des meubles Louis XVI. Quand le mariage explose, Dmitri Rybolovlev se sert de Xitrans pour sortir ses biens de Suisse et les placer à Singapour et à Londres, hors de la portée d’Elena – Mossack Fonseca se tient au courant et se fait envoyer en janvier 2009 les notes d’audience du tribunal. Si Xitrans Finance Ltd est contrôlé par le trust familial des Rybolovlev, seul Dmitri en détient les parts.

Après plusieurs années de bataille, un tribunal suisse accorde 4,5 milliards de dollars à Elena en 2014. La cour d’appel ramène ce chiffre à 600 millions de dollars, en calculant le montant de la prestation, à partir des capitaux détenus par les trusts chypriotes de Rybolovlev. Dmitri et Elena se sont refusés à tout commentaire.

Il n’y a pas que les maris qui peuvent compter sur les paradis fiscaux. L’amiral Antonio Ibarcena Amico, un ami de l’ex-président Alberto Fujimori au Pérou, a ainsi eu quelques ennuis après la chute de son président : il a été reconnu coupable de corruption et de détournement de fonds dans un contrat d’armement. La presse signale alors qu’un membre de la famille de son épouse a utilisé une société offshore pour blanchir de l’argent, par le biais d’investissements immobiliers, et le transférer sur le compte de madame. Le nom de la société ressemble fort à celui de l’une des deux sociétés enregistrées par Mossack Fonseca, Alverson Financial S.A., et les avocats du cabinet panaméens supputent avec un peu d’inquiétude que les journalistes ont mal orthographié le nom de l’entreprise, et que c’est bien la leur.

Mossack Fonseca rencontre ainsi en 2004 Marcela Dworzak, l’épouse de l’amiral, pour éclaircir le problème. Elle assure qu’Alverson Financial S.A. lui appartient bien, et que tout a été fait « d’une manière transparente, légale et propre ». Ses entreprises ne servent qu’à dissimuler des biens à son époux. Or, « elle vit séparée depuis plusieurs années de son mari, un responsable du gouvernement Fujimori, et ses sociétés sont là pour protéger le patrimoine qu’elle a hérité de sa famille dans l’éventualité d’un divorce », résument les juristes de Mossack Fonseca dans une note interne. Les avocats de Marcela Dworzak confirment qu’elle « ne veut pas qu’il sache ce qu’elle possède », et Mme Dworzak reste cliente du cabinet.

Quelques années plus tard, les autorités péruviennes ouvrent une enquête sur Marcela Dworzak pour blanchiment d’argent. Elle vit à présent au Chili et n’est jamais retournée au Pérou, où on lui reproche d’avoir utilisé un compte panaméen pour cacher l’argent du contrat d’armement véreux pour lequel son mari s’est fait inculper. La famille Ibarcena-Dworzak affirme que les allégations péruviennes ne sont motivées que par des raisons politiques, Marcela Dworzak se refuse à tout commentaire.

35 voitures de collection

Autre cas intéressant, le fort dispendieux divorce de Nichola Joy et du magnat de l’aviation, Clive Joy-Morancho. Le couple se sépare en décembre 2011 après plus de cinq années de mariage et trois enfants. Depuis, Nichola Joy est partie à la chasse aux 40 millions de dollars qui, selon elle, lui reviennent. Soit au moins deux appartements à Londres, un avion-charter, un château avec six chambres en France, une villa aux Caraïbes et un terrain dans une station de ski suisse. Clive répète que ces biens sont coincés à l’étranger et qu’il n’en a pas l’usage, et jure qu’il sera ruiné si sa femme le dépouille de ces menues propriétés.

Fin 2014, un juge anglais examine leur patrimoine, dont 35 voitures de collection – des Bentley, Ferrari, McLaren et une Alfa-Romeo « particulièrement belle », soupire Clive – d’une valeur totale de plusieurs millions de dollars. Nichola Joy réclame les voitures ou une contrepartie. Le juge, Sir Peter Singer, rejette sa demande : même si Clive Joy-Morancho estime que cette collection lui appartient, aux yeux de la loi, elle est la propriété d’un trust par le biais d’une société offshore. Nichola Joy a obtenu quelque 180 000 dollars par an jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue sur la répartition de ce qui reste de la fortune des Joy-Morancho.

Mais Sir Singer est fort mécontent. « C’est une mascarade élaborée, menée sans scrupule et sans considération des conséquences », écrit le magistrat. Pour lui, les activités du mari constituent « un édifice pourri fondé sur la dissimulation et la tromperie, une imposture, une mascarade, quelque chose de factice, de fallacieux, monté de toutes pièces ». Le commentaire est un peu désagréable pour Mossack Fonseca, qui a monté une partie de l’édifice offshore depuis 1997. D’ailleurs, les avocats de Clive Joy envoient en mai 2013 au cabinet panaméen le commandement d’un tribunal, afin de geler les actifs de Clive Joy-Morancho jusqu’à ce que le patrimoine du couple soit réparti.

Or, Mossack Fonseca est représentant aux îles Vierges britanniques de Glengarriff Property Holdings Limited, la société propriétaire des deux logements londoniens convoités par chacun des époux, et la responsable juridique du cabinet avertit ses collègues : « Les conséquences d’une violation d’un gel des actifs sont graves et nous devons agir avec responsabilité. » Le juge Singer a finalement tranché : il a établi que Clive Joy-Morancho avait transféré la propriété légale des appartements à un trust offshore avant d’épouser Joy. Les appartements ne font donc pas partie du patrimoine matrimonial. « J’étais naïve, je ne savais pas ce qu’était un trust quand je l’ai épousé, explique Nichola Joy. Le problème, c’est qu’il faut tellement d’argent pour combattre cette injustice et que je ne peux pas le faire, et mon ex le sait. La loi doit changer. Ces trusts offshore tournent la justice en dérision. »

Nichola Joy réclame toujours ses 40 millions de dollars. Elle s’est lancée à l’assaut des sociétés offshore qui jalonnent son chemin. Derrière les paradis fiscaux, résume doctement le juge Singer, il y a un ancien mari qui nourrit le « désir de la vaincre financièrement ». Parce qu’il a deux choses en horreur : « Etre contraint de donner de l’argent au fisc ou à son ex-femme ».

Will Fitzgibbon (ICIJ), adaptation Le Monde, traduction : Valentine Morizot

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