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Culture

Hey le Street Art, va te faire foutre !

Quelques raisons qui font que l'art de rue n'aura jamais sa place en musée ou en galerie.

Malgré ses galeries spécialisées, ses bons scores en maisons de vente ou sa forte médiatisation, le Street art semble toujours boycotté par les espaces muséaux — exception faite de la Fondation Cartier ou l'Institut du Monde Arabe. Des freins et obstacles face auxquels certains invoquent l'âge, donc l'incompréhension des curateurs ou conservateurs de Musée. Si l'argument de "la sociologie des institutions" a fonctionné pour le Hip-hop, l'autoproclamé "Art Urbain" devra repasser. La raison est simple : le Street art n'est pas reconnu comme un courant artistique constitué.

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Il ne le sera d'ailleurs jamais, et c'est tant mieux. Ci-dessous, entre amour et haine, quelques éléments de réponses.

Street Art = Rebels without a cause

Expressionnisme, dadaïsme, Art brut, Pop art… Les courants artistiques se sont toujours construits en réaction aux académismes qui les précèdent ou en réaction face à la violence du monde. Généralement les deux. Côté conservatismes et drames humains, les années 10 sont terriblement fournies. Pourtant, la création urbaine reste parfaitement muette. Imperméable à la société qui l’entoure. Ce dévoiement est à l’œuvre depuis près de deux décennies, et il s’explique  – entre autres – par le schéma économique emprunté par les “artistes urbains” : s’il est une forme d’Art, le Street art n’est que celui du packaging, du branding avec Nike SB, ou au mieux d’un accrochage dans des espaces d’exposition tenus par des antiquaires reconvertis. Pot-pourri du pire des cultures skate, graff et Rap U.S., le Streetart s’est fait force d’accompagnement pour le marketing des pires holdings qui contrôlent le monde des industries créatives. Un monde sans gluten. Un monde où tout le monde s’appelle Supa-quelque chose, un monde régit par Pharrell, où l’on se branle sur la nouvelle collab’ Perrier.

Né dans la Rue, Mort chez Cartier

Devant l'exposition "Né dans la rue" à la Fondation Cartier. 

Les fameux scores obtenus dans les maisons de vente, dites-vous ? Ils comptent effectivement, pour la douzaine de mecs qui vendent, pas plus. Commissaire-priseur et “spécialiste” en art contemporain chez Artcurial, Arnaud Oliveux me confiait il y a quelques années : “l’Art urbain va faire son entrée dans les espaces muséaux, le changement est imminent, nous aussi allons avoir droit à la reconnaissance institutionnelle”. Le pauvre type continue évidemment d’avoir tort, et c’est tant mieux : malgré les terribles saignées budgétaires, les institutions publiques résistent et se méfient toujours autant des expressions Street art, qui continuent de se faire pointer à l’entrée des musées. Exceptions faites du caprice de Gallizia au Grand Palais ou des quelques tentatives vues l’année dernière à l’Institut du Monde Arabe dans le cadre de l’accrochage Hip-hop. Un pur fail d’ailleurs.

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Le Streetart est incapable de produire le moindre concept

Photo : Rusl

Le concept en Art n’a jamais été une nécessité. Mais, à travers l’histoire de l’Art du XXème siècle, les concepts ont soutenu de puissants mouvements artistiques. Le Street art, lui, en est parfaitement dépourvu. Pire : à chaque fois qu’il a tenté la moindre manœuvre conceptuelle, aussi sommaire fut-elle, le ridicule n’était pas loin. Ou sur Pinterest. On peut citer pêle-mêle les fuites en avant genre Grafuturism, calligraffiti, ainsi que les projets de geometric art, type je-fais-du-graffiti-avec-un-compas, je-fais-du-graff-en-tendant-des-cordelettes-et-du-fil, je-fais-du-graff-avec-des-legos. Mention spéciale alerte aux gogoles pour l’ensemble de la scène Lightgraff.

Des vandales aux musées, personne ne veut de vous

Exposition Love Letters de André à la Half Gallery, 2012.

Éclairage merdique, outils de production issus de tendances kleptomanes parfois très lourdes, vitesse d’exécution, risque… La structure plastique d’un tag ou d’un graff est chaînée à la rue. Transposer sa réalisation dans une galerie, une foire, un festival ou une fresque municipale est impossible. Politiquement, faire naître un graff au cœur d’un espace commercial régit par des règles marchandes ou institutionnelles n’a aucun sens. D’un point de vue formel, le graffiti est irrécupérable. Même si le marché de l’Art déploie toutes ses forces des ténèbres pour l’absorber.

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Le Graffiti qui a mis genoux à terre pourrait être nommé Street art, live-painting ou Loisir & Création. Pourtant, le doute selon lequel il serait possible d’apprivoiser le mouvement Graffiti et lui passer la toile existe depuis longtemps. Ce doute constitue un fantasme de choix pour un galeriste et il reste un débat récurrent de tous les vernissages “urbains”, passé 21 heures. Un mec comme JonOne l’avait semé dès son arrivée en France. Avec son fameux : “le futur c’est dans la toile”, le King new-yorkais, qui avait finement observé les parcours de Basquiat ou Haring avant de débouler sur le terrain vague de La Chapelle en 87, a vite compris et précipité le changement de médium. Mais avec un minimum de respect. Sans singer la rue. L’exilé n’a jamais vendu de graffiti sur toile – comme le font beaucoup d’autres – , mais a tenté de développer les premiers jalons d’un langage abstrait, d’une écriture nouvelle. Comme l’explique l’artiste Psyckoze, un des plus respectables tauliers du mouvement graffiti en France : “certains ont payé leurs impôts à la rue, d’autres non.” Les resquilleurs sont les graphistes, jeunes illustrateurs , streetartistes autoproclamés ou étudiants en école de communication qui admirent le nom des 93NTM, TPK ou des GT et comptent bien faire rayonner le leur ou celui de leur studio de créa aussi haut et aussi fort. En remplaçant la case “street knowledge” par une école de Design privée à Bastille.

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Cet Art du détournement, ces œuvres fardées au bitume ne trompent que les lecteurs de Graffiti Art Magazine, les collectionneurs mal renseignés et certaines marques en quête de branding allégé en subversion. Fort heureusement, il en faut plus pour convaincre un cartonneur ou un conservateur de musée.

On vous rend service

On n’évoquera pas le délire artoyz ici.

Sérieux les mecs, arrêtez de taper des thunes à Agnès b.

Kidult semble avoir compris le message.

Elle est vieille, elle est riche et elle aussi distribue plein d’enveloppes. Mais la comparaison s’arrête là : agnès b. n’est pas la Lilianne Bétancourt du Street art, alors arrêtez de lui taper de la thune. Et puis, ce n’est pas parce qu’elle a soutenu des travaux comme ceux de Lek, Obey ou Ludo qu’elle va vous accorder un fonds de dotation. Son vrai fond de commerce – et de galerie d’ailleurs – s’appelle Nan Goldin, Jean-François Spricigo, Kenneth Anger ou l’immense portraitiste malien Seydou Keïta. Rien de bien Street art donc. Mais du grand Art ça, oui.

Théophile est sur Twitter.