Les réseaux sociaux constituent une nouvelle façon d’exprimer les différences culturelles plutôt qu’un dispositif technologique qui tendrait à rendre le monde plus uniforme. Telle est l’une des principales conclusions de “Why We Post”, vaste enquête menée par une équipe d’anthropologues britanniques et dont rend compte le magazine The Economist.

Exemple : les selfies. On pourrait les croire voués d’un bout à l’autre de la planète à l’autopromotion pure et simple. Eh bien pas du tout. C’est peut-être vrai au Brésil, pour ceux qui sont postés depuis les salles de musculation, mais pas au Royaume-Uni, où ils font un tabac sous une forme très particulière : les uglies, “dont le principe est de rendre l’autoportrait aussi peu flatteur que possible”.

Communication ou narcissisme?

Rien à voir avec les footies chiliens, qui consistent à photographier ses pieds dans toutes les situations imaginables – il s’agit d’un message de détente. Les Britanniques, en outre, “postent cinq fois plus de groupies que de selfies”, tandis qu’en Inde comme en Turquie on reste allergique au principe même du selfie puisque le smartphone sert à s’y faire photographier par d’autres.

“Il y a ceux qui pensent que les réseaux sociaux sont l’acmé de la communication et ceux qui les considèrent plutôt comme une sorte d’acné – soit une éruption de narcissisme, accompagnée en l’occurrence d’une menace contre la vie privée et de l’évacuation de tout discours intelligent au profit de l’échange de mèmes désinvoltes”, écrit The Economist, qui constate que les conclusions de l’enquête sont infiniment plus nuancées.

Une nouvelle forme d’intimité

Dirigée par Daniel Miller, de l’University College de Londres, celle-ci a été menée durant quinze mois par neuf anthropologues qui ont travaillé en immersion dans les familles qui les ont accueillis. Ils contestent au final les idées selon lesquelles les réseaux sociaux nous rendraient plus individualistes ou porteraient atteinte à l’éducation : “Dans certains pays, notamment en Chine – dans les régions industrialisées – ou au Brésil, où l’accès à l’éducation est limité, les réseaux sociaux sont utilisés comme une authentique ressource éducative.”

Concernant les atteintes à la vie privée, l’enquête établit que dans les pays où la famille étendue reste la norme, en Asie du Sud notamment, les réseaux sociaux favorisent au contraire l’apparition d’une nouvelle forme d’intimité. Enfin, ils donnent aux Chinois vivant dans les zones non urbanisées une chance d’entrer en contact avec des étrangers, ce qui était quasi impossible auparavant.