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Un Caravage a-t-il été découvert dans un grenier en France ?

Le tableau trouvé en 2014 dans la région de Toulouse est estimé 120 millions d’euros. Les spécialistes ont trente mois pour approfondir l’expertise.

Par  et

Publié le 12 avril 2016 à 03h00, modifié le 13 avril 2016 à 08h09

Temps de Lecture 4 min.

Le tableau représentant la décapitation d'Holopherne par Judith retrouvé dans un grenier de la région de Toulouse.

Un tableau, découvert en avril 2014 dans un grenier près de Toulouse, et présenté comme une œuvre du Caravage (1571-1610) par le cabinet d’expertise parisien Eric Turquin, a été dévoilé mardi 12 avril lors d’une conférence de presse. L’œuvre montre Judith tranchant le cou d’Holopherne. Dans l’attente d’expertises complémentaires, le tableau a été interdit de sortie du territoire par le ministère de la culture par un arrêté du 25 mars. « Cette œuvre récemment redécouverte et d’une grande valeur artistique, qui pourrait être identifiée comme une composition disparue du Caravage, [était] connue jusqu’à présent par des éléments indirects, [et mérite] d’être retenue sur le territoire comme un jalon très important du caravagisme, dont le parcours et l’attribution restent encore à approfondir », indique le texte publié au Journal officiel.

« Oublié dans la soupente d’une maison de la région de Toulouse, probablement pendant plus de cent cinquante ans, le tableau est dans un état de conservation exceptionnel », explique le cabinet d’expertise, qui précise qu’il a été découvert par les propriétaires à l’occasion d’une fuite d’eau. Il a ensuite transité par l’étude d’un commissaire-priseur toulousain, Marc Labarbe, qui a fait appel au cabinet Turquin comme expert.

L’attribution du tableau est étayée « par une copie d’époque attribuée à Louis Finson », contemporain du Caravage, ajoute le cabinet. Les deux toiles sont en effet de composition identique. Celle qui était connue, propriété de la Banca Intesa San Paolo, est exposée à Naples au palais Zevallos. Et un original qui aurait été du Caravage apparaissait en 1617 dans le testament de ce peintre flamand, avant de disparaître, souligne le communiqué.

Le tableau de Louis Finson (1580-1617) visible à Naples, présenté comme une copie d'un Caravage disparu.

Louis Finson (1580-1617), né à Bruges et mort sans doute à Amsterdam, a voyagé en Italie entre 1600 et 1610. Parvenu à Naples en 1604, il y est sensible à l’influence du Caravage, dont le rayonnement est alors intense. Mais Finson est à la fois peintre caravagesque et marchand de tableaux de son modèle : « Comme son associé Abraham Vinck, [il] fait commerce de tableaux du Caravage, dont il fut proche », lit-on dans le catalogue de l’exposition « L’Age d’or de la peinture à Naples » présentée au Musée Fabre de Montpellier en 2015.

Si cette double activité de peintre et de marchand ne doit pas surprendre, elle suggère qu’étant donné la gloire du Caravage, lui attribuer la paternité d’une œuvre était le moyen le plus sûr de trouver acquéreur. Ainsi existe-t-il une Madeleine en extase de Finson, peinte avant 1613, qui est supposée reprendre la version que Le Caravage a peinte à Naples en 1606, et qui a, elle aussi, disparu et suscite la curiosité des historiens de l’art – et des marchands ! L’histoire de cette Madeleine et celle de la toile qui vient de ressurgir sont curieusement proches.

Les différences sont nombreuses

Cette dernière s’apparente au chef-d’œuvre – lui authentique – exécuté par Le Caravage sur le même thème, et conservé à la Galleria nazionale di arte antica de Rome : on voit au centre de la toile, conformément au récit du Livre de Judith, l’héroïne juive qui écarte la menace d’une invasion assyrienne en décapitant le général ennemi après l’avoir séduit et enivré, en présence de sa servante.

Le tableau du Caravage représentant aussi Judith et Holopherne conservé à la Galleria nazionale di arte antica de Rome.

Les différences sont cependant nombreuses : dans la version « Finson », Judith semble regarder dans la direction du spectateur, ce qui n’est pas le cas dans le Caravage où elle s’applique à décapiter sa victime en tirant sa tête par les cheveux. La servante de Finson est de face, alors que, dans le Caravage, elle est de profil, comme pétrifiée. Elle ne présente pas non plus le double goître visible dans la toile de Finson et qui fait penser aux détails pathologiques des toiles, elles aussi caravagesques, de Ribera mais qui se trouve néanmoins dans La Crucifixion de saint André du Caravage conservée au Musée de Cleveland. Différence encore : Judith est en noir alors qu’elle est vêtue de blanc dans le Caravage, ce qui paraît du reste plus conforme à l’histoire et au symbole de la pureté qui se sacrifie.

Le tableau du Caravage date de 1599 environ, tandis que le tableau retrouvé en France aurait « probablement été exécuté à Rome en 1604 et 1605 », avance l’expert de façon hypothétique. Comme est hypothétique l’estimation à 120 millions d’euros annoncée. Le délai de trente mois d’analyses et de recherches que donne le refus d’exportation ne sera pas de trop pour déterminer qui fut l’auteur de l’œuvre, à supposer qu’il soit possible de parvenir à une conclusion.

Ceux qui ont pu examiner la toile avouent en effet leur perplexité, sinon leur « agacement ». Plusieurs parties se distinguent par la maîtrise de leur exécution : la draperie rouge et son nœud, la musculature d’Holopherne, ses mains brunies par le soleil dont la couleur contraste avec la blancheur de ses bras et de son torse – Le Caravage était attentif à de telles observations.

D’autres parties sont jugées plus faibles, d’une exécution plus laborieuse – ce qui pourrait se comprendre si l’auteur avait eu un modèle en tête ou devant les yeux et se serait appliqué à le copier. Mais il est aussi des Caravage qui présentent de telles inégalités de traitement. L’état de conservation et la qualité générale sont cependant considérés par les conservateurs comme satisfaisants et le département des peintures du Louvre s’intéresse à l’affaire.

C’est à lui et aux spécialistes internationaux du Caravage, qui sont loin de l’unanimité, de chercher à savoir si l’œuvre est un original miraculeusement retrouvé du Caravage, une deuxième version de l’œuvre de Finson déjà connue ou encore une version d’un troisième auteur qui resterait à identifier – si cela est possible.

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