Le Livre de la jungle : tout pour être heureux !

Jon Favreau est un poids lourd d'Hollywood au palmarès bodybuildé. Et pas seulement parce qu'il a joué Rocky Marciano dans une série télé de la Metro Goldwin Mayer. Réalisateur, il a allumé la fusée Marvel avec les deux premiers « Iron Man ». Il est aussi producteur d'« Avengers » et d'« Avengers : L'Ere d'Ultron », qui figurent parmi les dix plus grosses recettes du box-office mondial.

Pour autant, qui aurait imaginé qu'il puisse être le mieux placé pour revisiter les aventures de Mowgli, Baloo, Bagheera et toute la bande ? Eh bien tout simplement la fée Disney, qui s'est penchée sur le berceau de Marvel, acquis en 2009 pour 4 milliards de dollars, et a eu tout loisir d'apprécier Jon le magicien aux doigts d'or. Presque cinquante ans après le dessin animé réalisé par Wolfgang Reitherman pour Walt Disney, Favreau a réuni une incroyable « dream team ». Les responsables des effets visuels et de l'animation ont travaillé sur « Avatar », « Titanic », « Le Monde de Narnia », ou « Le Seigneur des anneaux »... Pour les voix, il a invité le haut-de-gamme, à commencer par Bill Murray, Ben Kingsley, Christopher Walken ou Scarlett Johansson. Personne n'a refusé.

Une féerie

Le résultat est un enchantement. Loin d'être envahissante, la technologie permet de jouer à fond avec les émotions du spectateur. Chaque plan est une féerie et il faudrait des yeux à dix mille facettes et un champ de vision à 180 degrés pour tout voir ou pour démêler à l'écran le vrai du faux. La texture des arbres, des plantes ou des mousses de la jungle, obtenue par le mélange d'éléments naturels et d'images créées par ordinateur est spectaculaire. On imagine la gageure qu'a représentée la fameuse baignade enchantée de Baloo : un vrai petit garçon, un ours virtuel dans une jungle qui ne l'est pas moins et une rivière formée de deux immenses bacs remplis d'eau agitée par un système de vagues ! Les peaux, les fourrures, les expressions des soixante dix espèces animales figurant dans le film sont rapportées avec une précision et un souci de vérité exceptionnels. Comment résister aux mimiques de Baloo, aux yeux de Kaa, au regard inquiet et protecteur de Raksha, la mère adoptive de Mowgli, aux babines furieuses de Shere Kahn, au faciès roublard de Roi Louie ?

Jon Favreau réussit le tour de force de rester fidèle à son modèle tout en le réinventant. Plus proche de l'oeuvre de Rudyard Kipling, ce « Livre » est plus sombre que la version Disney de 1967. Et pose des problèmes dont la morale et la philosophie ne sont pas absentes. En passant à l'âge adulte, Mowgli doit-il perdre sa place dans la jungle ? Doit-il suivre les conseils de Bagheera qui croit aux vertus de la solidarité ? Ou de Baloo qui la joue perso et en a tiré une philosophie du bonheur ? Akela, le loup Alpha, a-t-il raison de le renvoyer vers le monde des hommes pour protéger la meute ? De lui interdire de compenser son infériorité physique en utilisant des outils ? Shere Kahn n'est-il pas visionnaire quand il affirme que l'homme n'est pas le bienvenu dans la jungle ? La « fleur rouge » (le feu), que cherche à obtenir Roi Louie, est-elle vecteur de progrès ou porteuse de danger mortel, comme le prétend Shere Kahn ?

Laissons à Kaa le soin de ssssssiffler la dernière question : « Pauvre petit d'homme, que fais-tu au fin fond de la jungle... ? » Ontologique, non ?