INTOX. C'est aussi à ce genre de détail qu'on reconnaît une conjoncture vraiment maussade : à l'appétit des responsables politiques pour les rares statistiques positives… qui les pousse à en faire un peu —beaucoup— trop. Lors de l'émission Mardi politique, Michel Sapin a tenu à allumer une petite flamme optimiste : «Il faut aussi regarder les choses en face, l'année dernière, en 2015, pour la première fois depuis des années et des années, l'économie française, je ne parle pas des emplois aidés, des collectivités territoriales, je parle de l'économie française, du tissu économique français, a créé 100 000 emplois. On n'avait jamais vu ça».
DESINTOX. «Regardons les choses en face», donc, comme nous y invite Michel Sapin, et nuançons quelque peu. Primo, l'économie française a bien créé 102 100 emplois en 2015 selon l'Insee. Mais il ne s'agit pas que du privé, comme le dit Sapin à tort. Le secteur principalement marchand a créé 82 300 emplois en 2015, à quoi il faut ajouter, pour arriver aux 102 000, 19 900 créations dans le secteur principalement non marchand, c'est-à-dire selon la définition de l'Insee «l'économie hors emploi public dans les secteurs non marchands (administration, éducation, santé et action sociale)». Au total, comme on le voit sur le tableau ci dessous, ces 82 300 emplois dans le secteur marchand s'expliquent par des créations dans le tertiaire (155 400 dont 50 600 dans l'intérim) qui ont plus que compensé les destructions dans la construction (-35 500) ou l'industrie (-37 700).
La deuxième partie de la phrase de Michel Sapin mérite aussi quelques précisions. Le ministre est assez flou quand il parle d'une performance jamais enregistrée «depuis des années et des années»… et franchement trompeur quand il affirme que c'est du «jamais vu». En fait, s'il est vrai que la France a détruit des emplois en 2012, 2013 et 2014, il ne faut pas remonter si loin que cela pour voir des chiffres proches, voire meilleurs que ceux qu'on connaît actuellement. En 2010, la France avait créé 103 000 emplois, puis 71 900 en 2010. Et au plus fort de ce petit rebond d'après crise, entre la mi 2010 et la mi 2011, la France avait même enregistré 183 600 emplois en un an. On sortait alors de deux années particulièrement destructrices : 151 500 destructions en 2008 et 213 500 en 2009. Quand Sapin dit «on n'avait jamais vu ça», il faut donc entendre : jamais sous le quinquennat de François Hollande.
Pour donner un ordre d’idée, avant la crise, le rythme des créations n’avait évidemment rien à voir avec les chiffres actuels. Dans les années 2006 et 2007, le rythme annuel variait entre 200 000 et 350 000 créations d’emplois. Et au tout début des années 2000, le nombre de création d’emploi annuel a même pu dépasser les 500 000. Autre époque.