DE BAD HONNEF ET MILAN
“Certains de mes amis me trouvent snob”, reconnaît Christopher Karp. Agé de 20 ans, il étudie la gestion de l’aviation à l’université internationale des sciences appliquées de Bad Honnef (IUBH), en Allemagne. Plutôt que de s’inscrire dans une université publique gratuite, comme ses amis, il a emprunté de l’argent à ses parents pour préparer un diplôme à l’IUBH. Il ne regrette rien : les cours comptent peu de participants ; les professeurs connaissent le secteur dans lequel il veut entrer, beaucoup travaillent pour la Lufthansa. Le fait que les vacances soient plus courtes qu’ailleurs ne le dérange même pas. “On donne beaucoup d’argent pour faire des études et on compte bien recevoir un bon enseignement”, confie-t-il.

De plus en plus d’étudiants dans le privé

Dans le monde, un étudiant sur trois étudie dans le secteur privé, selon Daniel Levy, de l’université publique de New York. La proportion n’est que d’un sur sept en Europe, mais les choses sont en train de changer. Selon le cabinet de consultants Parthenon-EY, les inscriptions dans le secteur privé ont augmenté plus rapidement que les inscriptions dans le secteur public entre 2011 et 2013. Elles ont connu une croissance de 22 % contre 14 % pour le secteur public en Turquie, de 13 % contre 7 % en Allemagne, de 3 % contre 1 % en France et de 6 % contre 0 en Espagne. En Grande-Bretagne, les étudiants fréquentant un “fournisseur alternatif” sont passés de 142 000 en 2009 à environ 200 000 actuellement.

Les changements n’ont rien de nouveau pour l’enseignement supérieur européen : Martin Luther, une sorte d’entrepreneur de l’éducation, avait déclaré au XVIe siècle que les universités seraient “les larges portes de l’enfer” si elles n’enseignaient pas les Ecritures. Les bâtiments chargés d’histoire, la gratuité de la scolarité et la réglementation protégeaient cependant le secteur public de la concurrence.

Faire une école directement après le bac

Les choses commencent à évoluer. L’une des raisons à cela, c’est que les établissements privés, y compris ceux à but lucratif, séduisent de plus en plus des jeunes qui seraient peut-être entrés sur le marché du travail directement après le lycée. Il y a beaucoup de gens qui n’accrochent pas à la vie universitaire : près de la moitié des Français qui entrent à l’université après le baccalauréat ne vont pas au-delà de la deuxième année. Ces jeunes commencent à “acheter autrement”, assure Matthew Robb, de Parthenon-EY. Ils veulent des cursus qui débouchent clairement sur une carrière.

Les universités privées attirent également les entreprises, ce qui dope encore leur croissance. L’IUBH propose un diplôme d’hôtellerie en alternance, payé par les hôtels, et même son diplôme standard comprend un stage de vingt-deux semaines. D’autres établissements ont conçu des MBA dans des secteurs comme le vin, ce qui les distingue de leurs concurrents plus traditionnels. “Nous ne pouvons pas rivaliser avec Harvard mais nous pouvons faire mieux que les chambres de commerce”, déclare Bertrand Pivin, d’Apax, une société d’investissement propriétaire de l’Inseec, un groupe français d’écoles de commerce.

Campus internationaux et reconnaissance des diplômes

Enfin, les établissements privés séduisent les étudiants étrangers. Il y a 4,5 millions d’étudiants étrangers dans le monde, et ce chiffre devrait franchir les 7 à 8 millions d’ici à 2025. Le ministère des Affaires étrangères américain souhaite faire passer le nombre d’Américains étudiant à l’étranger de 300 000 à 600 000 d’ici à 2020. Les pays européens sont des destinations recherchées tant par les Européens que les autres. L’Istituto Marangoni, une école de stylisme de Milan, dont les locaux modernistes sont aussi chics que les boutiques qui l’entourent, va ouvrir cette année des établissements à Florence et Shenzhen, ils s’ajouteront à ceux de Paris, Londres et Shanghai. Les étudiants étrangers représentent 70 % des inscrits à Milan et les Chinois constituent le plus gros contingent. Beaucoup sont aisés : les frais de scolarité annuels vont de 13 600 euros pour un diplôme de niveau licence à 32 000 euros pour le cursus “fashion elite”.

Certains Etats européens commencent à faire bon accueil aux établissements d’enseignement supérieur privés. L’Italie devrait commencer à reconnaître les diplômes de l’Istituto Marangoni cette année. La Grande-Bretagne devrait préciser rapidement comment elle entend faire en sorte que les bons établissements prospèrent et que les mauvais disparaissent. L’Allemagne, qui a mis fin à une expérience de huit ans instaurant des frais de scolarité dans les universités publiques en 2014, est désormais plus ouverte à l’idée de voir des entrepreneurs investir le secteur, fait valoir Patrick Geus, qui enseigne à l’IUBH.

Les Etats veulent réduire les dépenses des universités

D’autres pays devraient suivre, car beaucoup vont devoir réduire leurs dépenses pour les universités. “La France est complètement fauchée”, déclare M. Pivin. Cela devrait l’inciter à se décharger des coûts sur les étudiants, ce qui créera des perspectives pour les investisseurs non européens, poursuit-il. Les investisseurs brûlent d’ailleurs de se diversifier depuis que plusieurs scandales ont terni la réputation du marché américain, selon Andrew Rosen, du groupe Kaplan. Certains établissements ont été accusés de recruter les étudiants sans vraiment tenir compte de leurs capacités ni de leur situation financière. Les cours d’une université fondée par Donald Trump consistaient, paraît-il, essentiellement à convaincre les étudiants de s’inscrire à d’autres cursus plus chers.

L’Europe a des leçons à tirer de la situation américaine. Les étudiants peuvent tirer avantage à être traités comme des consommateurs, mais il faut une réglementation. Les universités privées doivent faire preuve de transparence sur les critères d’admission et les perspectives d’emploi après obtention du diplôme. Les établissements défaillants doivent être fermés. Les étudiants européens regardent désormais au-delà des options traditionnelles quand ils décident de leur avenir. Les Etats devraient faire preuve de la même ouverture d’esprit.