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Analyse

Y a-t-il un trésor au Panama pour combler nos déficits ?

Les révélations des « Panama papers » laissent à penser que notre administration fiscale pourrait récupérer quelques milliards bienvenus dans cette affaire. Mais pour l'heure, Bercy se montre prudent sur les recettes à en attendre.

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Par Ingrid Feuerstein

Publié le 15 avr. 2016 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

Les estimations de l'argent caché dans des paradis « offshore » ont de quoi donner le tournis aux administrations fiscales du monde entier : 7.600 milliards de dollars, d'après l'économiste Gabriel Zucman, spécialiste des paradis fiscaux, dont 350 milliards appartenant à des Français. Près de 200 milliards échapperaient ainsi au budget des Etats lésés. Ce qu'il y a d'exceptionnel dans les révélations des « Panama papers », au-delà des personnalités mises en cause, c'est qu'elles mettent au jour une partie encore cachée de la finance mondiale, et qui a résisté aux efforts de la communauté internationale pour faire tomber le secret bancaire : celle des « trusts » et des sociétés écrans permettant de passer sous silence l'identité des véritables bénéficiaires.

« Offshore leaks », « Swiss leaks », « Luxleaks », et maintenant « Panama leaks »... Les « fuites » de données s'enchaînent, ouvrant chaque fois une brèche dans l'opacité fiscale. La liste HSBC en 2009 a contribué à faire tomber le secret bancaire suisse. D'autres listes sont venues appuyer le fisc français, comme celle des 38.000 comptes UBS obtenue des autorités allemandes. Puis il y a eu l'affaire « Luxleaks », qui avait révélé les accords fiscaux de nombreuses multinationales avec l'administration luxembourgeoise pour obtenir une fiscalité privilégiée. Les 11,5 millions de pages des « Panama papers » nous font entrer dans une nouvelle dimension : même si l'affaire n'implique que 1.000 personnalités françaises, elle touche à une fraude fiscale complexe à déceler, qui concerne généralement des patrimoines de plusieurs dizaines de millions d'euros. On n'est plus face à l'héritier d'un compte en Suisse ou à l'ancien expatrié qui aurait négligé de déclarer son patrimoine, les cas habituellement traités par la cellule de régularisation des évadés fiscaux à Bercy (STDR).

Le succès de cette cellule, dont les recettes ont dépassé chaque année les prévisions, entretient l'idée que cette nouvelle affaire au Panama nous permettrait de récupérer quelques milliards supplémentaires pour éponger nos déficits. Il est vrai que, ces jours-ci, le STDR a fait face à un afflux de demandes, et pas uniquement de la part d'exilés au Panama : de nombreux contribuables ayant encore des avoirs cachés à l'étranger ont pris peur face au retentissement des « Panama papers ».

Pourtant, même le ministre des Finances Michel Sapin, plutôt enclin à communiquer sur les chiffres de la fraude fiscale, se montre prudent sur les recettes à attendre d'une telle affaire. « L'argent rentre déjà, je ne sais pas si ça va rentrer plus vite », a-t-il prévenu sur Europe 1.

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La première difficulté tient au fait que la France n'est pas encore en possession du fichier des « Panama papers ». Contrairement aux précédentes affaires, la liste est cette fois entre les mains de la presse, qui peut opposer le secret des sources. « Le Monde » a d'ailleurs publiquement affiché sa position qui est de ne pas transmettre le fichier. Michel Sapin a laissé entendre que certaines administrations fiscales l'avaient en leur possession. Pour avancer sur ce point, une réunion des correspondants fiscaux s'est tenue à l'OCDE mercredi. Comme la France avait transmis des informations à ses partenaires dans l'affaire HSBC, elle espère qu'ils lui rendront la pareille. Dans tous les cas, le consortium Ici, à l'origine de ces révélations, devrait publier début mai la liste des personnalités concernées. L'administration y sera certainement attentive pour pouvoir ensuite lancer des contrôles.

Le rendement de ces enquêtes reste cependant incertain. Tous les dossiers ne donneront pas nécessairement lieu à un redressement. Le fisc devra d'abord faire la part des choses entre les structures « offshore » légales et celles qui ne le sont pas. Ensuite, il ne pourra rien faire contre les Français de cette liste qui ne sont pas résidents fiscaux en France, à l'instar de Michel Platini, domicilié en Suisse. L'administration risque également de se heurter au délai de prescription (trois ans pour les situations les plus simples) sur certains dossiers, puisque les données des « Panama papers » s'étendent sur près de vingt ans. Enfin, certains fraudeurs sont déjà connus des services de Bercy, d'autres ont pu avoir régularisé leur situation. Dans le passé, certaines banques suisses conseillaient à leurs clients de monter des structures « offshore » au Panama pour mieux garantir la confidentialité. Avec la levée du secret bancaire suisse, certaines de ses sociétés écrans se sont régularisées ces dernières années. Bercy indique ainsi que, sur les dossiers déjà traités par sa cellule de régularisation, 700 avaient un lien avec le Panama. Par ce biais, 3,8 milliards d'avoirs sont déjà sortis de l'ombre.

Au-delà des recettes de la fraude, ce nouveau « leak » constitue surtout un grand coup de pied dans la fourmilière du Panama. Un Etat réputé pour son opacité, critiqué à plusieurs reprises par l'OCDE pour ne pas jouer le jeu dans l'échange d'informations entre administrations fiscales. L'affaire des « Panama papers » montre que, dans une ère où une fuite dans la presse peut faire le tour du monde en quelques secondes, il est de plus en plus difficile de se cacher, même dans l'un des derniers grands centres financiers à résister à la transparence fiscale. Le principal bénéfice pour nos finances publiques, c'est peut-être la fraude qui ne sera pas commise, par ceux qui craindront le « name and shame » et le retentissement médiatique d'une telle affaire.

Les points à retenir

Même si l'affaire n'implique que 1.000 personnalités françaises, elle touche à une fraude fiscale complexe à déceler, pouvant concerner des patrimoines de plusieurs dizaines de millions d'euros.

Cependant, la France n'est pas encore en possession du fichier des « Panama papers ».

Et le rendement de ces enquêtes reste incertain, entre structures offshore légales, régularisation déjà en cours et prescription.

Journaliste au service France Ingrid Feuerstein

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