Menu
Libération
DÉSINTOX

Pourquoi le FN s'oppose au PNR ? Parce qu'il n'y comprend rien

Une note du FN explique pourquoi le parti s'oppose au PNR et donne des éléments de langage pour détailler son positionnement. Le document montre surtout qu'il fait de nombreux contre-sens sur ce projet de directive européenne. Démonstration en trois arguments.
par Pauline Moullot
publié le 14 avril 2016 à 16h48

S'ériger en parti de propositions avant de devenir un parti de gouvernement. C'est l'ambition du FN. Mais cela demande un petit peu de sérieux. Le Front national, qui se pose en garant des libertés individuelles, a fait du combat contre le PNR européen (adopté aujourd'hui par le parlement européen) son nouveau cheval de bataille. Et développe pour ses troupes un argumentaire prêt à l'emploi. Dans une note diffusée par le site du Front national des Côtes d'Armor, l'eurodéputé frontiste Gilles Lebreton détaille les éléments de langage pour expliquer l'opposition de son parti à ce projet de directive européenne sur un registre des passagers aériens destiné à prévenir les risques terroristes. Derrière les grands mots de cette note, le texte est surtout rempli de confusions et de contre-sens. En résumé, la maxime du FN se développe autour de trois axes : «En s'opposant/dévoilant/dénonçant le FN prouve/confirme/démontre qu'il est le parti des libertés/du parler-vrai/du souverainisme». 

Un argumentaire récité tel quel par Marine Le Pen, dans un dialogue avec les internautes diffusé en direct sur Facebook le 30 mars. La présidente du Front national y explique en trois points pourquoi elle est contre le projet européen. Les trois mêmes points que ceux développés par l'eurodéputé Gilles Lebreton. En trois points toujours, démonstration par Désintox des contre-sens diffusés par le FN sur ce texte.

1) Le PNR ne récoltera aucune donnée sur votre religion

Le FN se pose en nouveau garant de nos libertés individuelles. Et s'insurge contre l'intrusion de Bruxelles dans la vie privée des passagers : «Les Etats européens connaîtront leurs déplacements, l'identité des personnes qui les accompagnent, et même des informations très personnelles ayant trait à leur appartenance religieuse (déduite du type de repas consommés) et à leur état de santé (révélé par les demandes particulières liées à une maladie ou un handicap).» Marine Le Pen a bien compris la leçon et pérore : «Il y aura des éléments sur les repas qui sont servis : est ce que ce sont des repas religieux ou pas, sur son état de santé parce que vous êtes parfois obligés de dire à  votre compagnie que vous avez une pathologie». C'est complètement faux.

Le type de données récoltées est précisé à plusieurs endroits ici dans le projet de directive européenne, et ici par la Cnil (Commission nationale de l'informatique et des libertés) pour le système PNR français. Car la directive europénne ne prévoit pas de créer un seul et même PNR européen, mais de demander à chaque Etat membre de créer son propre PNR national. La France a déjà commencé à mettre en place un système appelé «API-PNR», du nom des données d'enregistrement (API) et de réservation (PNR). Tous les pays devront récolter les mêmes données, énumérées par la Cnil: «Nom, prénom, date de naissance, date de réservation du billet, date prévue du voyage, adresse, numéro de téléphone, adresse électronique, moyens de paiement, itinéraire complet pour le passager concerné, nombre et autres noms de voyageurs figurant dans le dossier passager» mais aussi le point d'entrée ou de sortie du territoire français, la date et l'heure du vol, le statut de la personne embarquée (membre d'équipage, passager), le nombre, le poids et l'identification des bagages et le nombre total des personnes transportées dans l'avion.

Mais «les informations sensibles de religion, d'opinion politique et informations médicales ne figurent pas au fichier», précise la Cnil. Le projet de directive européenne prévoit que la collecte de données «révélant la race ou l'origine ethnique d'une personne, ses croyances religieuses ou philosophiques, ses opinions politiques, son appartenance à un syndicat, sa santé ou son orientation sexuelle sera interdite»«Ces données sont supprimées automatiquement, même l'UIP [Unité Information Passagers qui a pour mission de traiter les données recueillies, ndlr], ne les verra pas», précise le chef de la mission française API-PNR Julien Coudray.

2) Le PNR européen «n'a pas vocation à être communiqué aux Etats-Unis»

Gilles Lebreton écrit :

«Le PNR européen a enfin vocation à être communiqué aux Etats-Unis, alors qu’en retour ceux-ci ne communiqueront pas leur PNR américain à l’Union européenne. On ne peut évidemment admettre une telle collaboration sans réciprocité qui s’apparente davantage à une inféodation qu’à une véritable coopération internationale. Cela confirme que l’Union européenne est davantage au service des Etats-Unis et des lobbies pro-américains qu’au service des peuples européens.»

Là encore, sur Facebook, Marine Le Pen récite et soulève le «problème de souveraineté» qu'induirait l'adoption du PNR.  «L'intégralité de ces données, figurez-vous, vont être transmises au PNR américain. Mais la réciproque n'est pas vraie. L'UE, elle, n'aura pas accès aux données qui sont collectées par l'intermédiaire du PNR américain. Expliquez-moi pourquoi l'intégralité de ces données très sensibles, très intrusives de la vie privée, devraient être transmises aux Américains. Je pense qu'il y a là l'expression une nouvelle fois d'une soumission totale au gouvernement américain. Je suis opposée à cela.»

Désintox avait déjà montré en décembre que le FN confondait la directive européenne avec l'accord avec les Etats-Unis en vigueur depuis des années. Ce qui n'empêche pas les frontistes de continuer à répéter ce non-sens. Car il existe déjà un PNR américain. Réclamé par les États-Unis depuis les attentats du 11 Septembre, il a pris la forme de plusieurs accords provisoires à partir de 2003. Les États-Unis avaient obligé dès janvier 2003 les compagnies européennes atterissant sur leur territoire à leur fournir les données passagers. Mais la Commission européenne, jugeant que cette obligation violait la législation communautaire et la législation des États membres relative à la protection des données personnelle, avait exigé un accord. Finalement, les Etats-Unis ont pu collecter les données PNR dès mars 2003 pour tous les passagers décollant et arrivant aux États-Unis. L'accord définitif a été signé en 2012. De fait, si vous voyagez aux Etats-Unis cela fait plus de dix ans que les Américains recueillent vos données. Sans réciprocité.

Mais contrairement à ce que dit Marine Le Pen,  c'est justement grâce au PNR européen que les pays de l'UE pourront chacun avoir accès aux données des passagers venant des États-Unis. Le système français par exemple pourra collecter les données d'un passager en provenance de New York et à destination de Paris. Aucun accord n'a été signé avec les Etats-Unis pour obliger les companies américaines à transmettre leurs données : elles seront forcées de le faire, un point c'est tout.

On aurait imaginé les eurodéputés frontistes plus avertis sur ces sujets européens. Marine Le Pen, déjà élue à Bruxelles à l'époque, aurait pu se souvenir s'être opposée à un projet de PNR prévoyant le transfert de données vers les États-Unis. Si elle s'était déplacée pour voter le texte le 19 avril 2012.

Ce n'est pas le seul accord PNR signé par l'UE avec des pays tiers. Il en existe un avec l'Australie et un avec le Canada depuis 2014. Ce dernier n'est pas encore en vigueur car la Cour de justice de l'Union européenne a été saisie et devra dire si cet accord est conforme aux traités et à la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Des négociations sont en cours pour la signature d'un accord avec le Mexique.

3) Le PNR français n'a pas été créé en 2006

C'est un autre argument du FN : la France possède déjà un PNR, créé en 2006, et n'a donc pas besoin d'un PNR européen. C'est doublement inexact. La France fait bien partie de la quinzaine d'Etats qui ont déjà prévu de se doter d'un système PNR. Mais pas depuis la loi du 23 janvier 2006. Celle-ci prévoyait la collecte des données API (Advance passenger information), c'est-à-dire les données collectées et vérifiées lors de l'enregistrement comme l'identité ou le numéro de passeport. Mais ce système API décidé par la loi de 2006 n'a jamais été créé.

En 2010, Nicolas Sarkozy a décidé en Conseil de défense de créer un système PNR compatible avec la directive européenne, alors en gestation. En 2011, une mission PNR interministérielle a été créée. «Puisqu'on savait qu'il allait y avoir une directive, le projet français correspond à la directive», explique Julien Coudray, chef du projet PNR. La France a donc pris de l'avance par rapport à la directive européenne. La loi de programmation militaire 2014-2017 votée en 2013 donne un cadre législatif à la création du PNR dans l'article L232-7. Celui-ci autorise «le ministre de l'intérieur, le ministre de la défense, le ministre chargé des transports et le ministre chargé des douanes  à mettre en œuvre un traitement automatisé de données» pour prévenir les actes de terrorisme mais aussi de traites d'être humains, trafic d'armes, corruption etc.

Deux décrets du 22 et du 26 décembre 2014 crèent un système de traitement des données «API-PNR» (les données d'enregistrement et les données de réservation) développé par Morpho, une filiale de Safran, et un service UIP (Unité Information Passagers) qui a pour mission de traiter ces données, les croiser avec d'autres fichiers, les transmettre aux autorités compétentes nationales (services de renseignement, douane, police, gendarmerie...) et aux autres UIP européennes.

En France, le système API-PNR en est à ses balbutiements. L'UIP a été constituée et a ouvert à Roissy le 21 septembre dernier. «On commence à collecter des données, et l'utilisation du sytème devrait être testée grandeur nature d'ici la fin de l'été», indique Julien Courdray. Les données d'une petite dizaine de compagnies sont pour l'instant récoltées, parmi elles Air France, Delta Airlines, Emirates, Etihad et ASL. Au total, il faudra raccorder 230 compagnies aériennes au système, ce qui prendra des mois. Le système API-PNR français ne sera donc complètement opérationnel que dans quelques années. Dire que la France dispose de ce système depuis 2006 est donc faux.

Pourquoi la France pousse-t-elle à mettre en œuvre la directive européenne si elle commence déjà à le faire pour son propre système? Car la directive prévoit d'obliger les Etats membres à se doter de leur propre système mais surtout d'harmoniser ces systèmes pour faciliter les échanges. Si la France était seule à s'être dotée d'un PNR au sein de l'UE, elle se transformerait en «forteresse» qui pourrait être contournée par les trafiquants ou terroristes qui entreraient dans l'UE via un autre pays qui n'aurait pas ce système. Demander aux 27 (les 28 membres de l'UE moins le Danemark qui bénéficie d'une clause d'exemption) permet aussi de partager les informations récoltées.

Chaque pays récoltera les données PNR des passagers atterissant ou décollant de son territoire vers ou depuis un pays tiers mais le partage avec les autres pays membres ne sera pas automatique. Il pourra partager ces informations avec un autre pays membre s'il le juge nécessaire «pour la prévention, la détection, l'enquête et la poursuite d'infractions terroristes ou de criminalité grave (par exemple la traite des êtres humains, le trafic de drogues ou la pornographie infantile)», explique le Parlement européen. Par ailleurs, un Etat membre pourra aussi demander des données à un autre Etat de l'UE dans le cadre d'une enquête spécifique.

En bref, la France a beau avoir commencé à mettre en oeuvre son propre PNR, en 2013 et non en 2006, elle pousse pour l'adoption d'une directive par Bruxelles justement pour obliger les autres pays à adopter leur propre système, harmonisé avec l'ensemble des Etats membres.

Note Pnr Lebreton by FrontNational22

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique