Philippe Katerine : “J'ai entendu 'Michelle' dans le lit de ma tante Michelle”

Entre Katerine et la musique, le rapport est parfois ludique, presque toujours intime. Son dernier album, “Le Film”, est une déambulation “en chanté” sur le chemin des souvenirs et des routes de France, suite à la mort de son père. Le doux Nantais de nous dévoiler son juke-box affectif.

Par Éléonore Colin

Publié le 18 avril 2016 à 08h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 02h37

La chanson qui vous rappelle votre papa

Mon père adorait la musique militaire, La Compagnie Créole et... l'accordéoniste André Verchuren. Je me souviens que j'écoutais en boucle son 45 tours de La Paloma : un classique de la musette mêlant espagnolade et esprit franchouillard. A la maison, mon père jouait tout le temps des bourrées auvergnates à l'harmonica. J'ai toujours eu une sainte horreur de cet instrument. Mais après sa mort, j'avais besoin de l'entendre à nouveau. J'étais en manque. Pour la première fois, j'en ai donc mis sur mon dernier album. D'ailleurs, Le Film a été enregistré avec Julien Baer, qui est lui-même harmoniciste. Avant, je me serais damné pour ça. Mais aujourd'hui, je suis sûr que ça ferait plaisir à mon papa.

La chanson qui vous fait penser à votre maman

Joseph de Georges Moustaki (1969). Il parle de la vierge Marie et de Joseph le charpentier d'une voix toute douce. Ma mère m'a même avoué qu'elle la trouvait très sensuelle. C'est un aveu fort et je la rejoins complètement. Tu as vraiment envie de voyager quand tu écoutes un telle voix ! J'ai toujours été sous le charme. Un après-midi, je suis allé chez Moustaki sur l'île Saint-Louis. Il n'habitait pas très loin de chez Brigitte Fontaine. Nous devions écrire des chansons. Il m'a montré ses guitares et chanté Les eaux de Mars, puis j'ai voulu monter sur sa moto pour qu'il m'emmène loin. Même si cette rencontre n'a pas abouti artistiquement, j'étais quand même très ému.

L'air qui a bercé votre enfance

Le Notre Père à la messe. Je ne participais pas à la chorale, mais j'aimais bien entonner des chants d'église. Ça me rassurait... Je me souviens d'harmonies magnifiques, un peu comme chez Brian Wilson. Quand ma vie ne tournait pas comme j'aurais aimé qu'elle tourne, je chantais “Notre Père qui êtes odieux” au lieu de “Notre Père qui êtes aux cieux”. C'était de bonne guerre.

Le premier tube qui vous ait brisé le coeur

If you leave me now de Chicago (1976). Je devais avoir treize ans. La mélodie et les paroles me faisaient fondre. J'imaginais mon avenir et le jour où je me ferais quitter par une fille. Ça me faisait pleurer d'avance.

L'hymne de votre premier émoi amoureux

J'ai toujours adoré Elvis Presley. Ado, je chantais Love Me Tender (1956) à mon vélo. “Aime-moi tendeur”, lui répétais-je. Et forcément, ça le mettait sous tension. 

Premier slow rapproché

Je t'aime... moi non plus de Gainsbourg et Birkin (1969), à quinze ans. Je ne savais pas trop où mettre mes mains, ni ce que voulait dire les paroles. Je ne comprenais pas l'origine de toute cette moiteur ambiante, et pourquoi mon corps était rouge à l'intérieur. J'étais littéralement effrayé. Plus tard, quand j'ai découvert la version de Bourvil et Jacqueline Maillan, j'ai beaucoup mieux compris.

Votre idole d'adolescence

Amanda Lear ! Elle a écrit des hymnes disco extraordinaires en anglais, comme Follow Me (1978). J'adore ce morceau, il est super sexy. Cette femme est dingue. Obsédante. Comme Arielle Dombasle, elle paraît très légère, très distraite, mais au fond elle a tout compris. Rien ne lui échappe. Elle a un côté Keith Richards aussi. Grâce à elle, j'ai découvert Salvador Dali. Amanda Lear m'a ouvert des portes. J'étais également fasciné par son ambiguité sexuelle à l'époque où la rumeur courait qu'elle était transsexuelle. Ça me rendait fou. Magnum, mon précédent album, pourrait bien lui rendre hommage inconsciemment.

Premier album acheté

Transformer de Lou Reed (1973), en classe de première. Le pion du lycée avait besoin de blé et revendait ses cassettes à la cour de récré. A l'époque, je lisais la presse musicale, comme « Rock & Folk » ou « Best », sans écouter la moindre musique car il n'y avait malheureusement pas de disquaire à Chantonnay, mon village en Vendée. Je m'imaginais donc les albums tels qu'ils étaient chroniqués dans les magazines et les interprétais à ma façon. Mais le résultat n'avait évidemment rien à voir avec l'original. Du coup, la première fois que j'ai écouté Transformer, j'étais vachement déçu. Le critique musical parlait d'un “album sauvage et un peu amateur”, alors que moi je le trouvais super professionnel.

Un hymne de basket-ball

A Chantonnay, j'avais la chance d'avoir un entraîneur de basket noir américain. Il venait de Chicago, mesurait 2,05 mètres et arborait une coupe afro. C'était un repris de justice, voilà sans doute pourquoi il a débarqué chez nous. Je me souviens qu'il nous balançait Superfly de Curtis Mayfield (1972) à fond sur un gros ghetto-blaster qui trônait au milieu du terrain. Il n'arrêtait pas de crier : « Le basket, c'est le "rythm” ». J'étais émerveillé, je ne pensais qu'à lui...

Le titre qui vous rappelle d'où vous venez 

Quand j'étais petit, ma mamie me faisait boire de l'eau sucrée avant d'aller au lit. « Ça va te calmer », disait-elle. C'était bizarre comme tradition, d'autant que je n'étais pas particulièrement nerveux, mais bon. Une nuit, alors que je ne trouvais évidemment pas le sommeil, j'ai allumé la radio et je suis tombé sur Michelle des Beatles (1965). C'était extrêmement mélancolique. Je dormais alors dans le lit de ma tante Michelle. Il y avait donc une vraie corrélation entre mes racines familiales et cette chanson de Paul McCartney aux harmonies déchirantes. Tout à coup, quelque chose s'ouvrait à moi. Je découvrais le sublime.

Les musiques qui ont marqué la naissance de vos trois enfants

Pour la première, j'ai beaucoup écouté João Gilberto. C'est quand même très mélancolo, mais aussi très doux. Ça fait planer... Pour le deuxième, Beethoven et le troisième, Bizet. Beethoven, c'est La Tempête ! C'est du hard rock en quelque sorte ! Le riff avant l'heure ! J'adore aussi ses quatuors, car ils sont pleins de malice. Et puis Bizet, ça veut dire embrasser... Il y a du lyrisme chez lui, mais jamais rien d'écœurant.

La BO de votre histoire d'amour

Je suis très lié à ce qu'écoute ma chérie. Ça va de Radio Classique à Fun Radio. J'aime bien Fun Radio. On y entend notamment Calvin Harris, ce grand Ecossais de l'électro qui assure la relève de David Guetta. Il y a beaucoup de riffs dans sa musique et on n'est pas si loin de Beethoven justement.  

Le titre que vous écoutez quand vous avez le blues

Best Friend de Dent May (2012), un jeune songwriter Américain fortement influencé par les sixties. Ce truc me remonte complètement le moral. Quand je l'écoute, je me dis intérieurement : « Philippe, quelle joie tu as d'être en vie ! »

La chanson pour danser en slip (rose)

Simply Beautiful d'Al Green (1972). Slip ou pas, elle me fait bondir à chaque fois. C'est très lent. Mais je n'ai jamais aimé danser sur des choses rapides. J'aime bien les tempo indolents. C'est mieux pour le corps. Et puis dans le lent, tu peux faire des gestes extrêmement rapides si tu divises tous les temps par deux ou par quatre.

 

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