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Inégalités : l’école aggrave-t-elle le problème ?

Sommes-nous tous égaux à l'école ? Jean-Christophe Verhaegen/AFP

L’OCDE publie tous les trois ans les résultats du programme international pour le suivi des acquis des élèves. Ce programme, PISA, mesure les compétences à l’écrit, en mathématiques et en sciences.

Lors des derniers résultats publiés en 2012, le niveau de la France se situait dans la moyenne de pays de l’OCDE.

Plus encore qu’un niveau moyen, ces résultats révélaient un fort écart dans les performances d’une élite d’élèves brillants et celles d’une masse d’élèves en plus ou moins grandes difficultés.

Autrement dit, PISA ne montre pas que les élèves sont nuls, mais que l’école est une institution qui reproduit et aggrave les inégalités et cela nous choque d’autant plus que nous avons fait en France de l’école la seule institution qui nous lie tous par une expérience commune.

Nous allons tous à l’école. Nous y entrons différents les uns des autres à 6 ans. Nous en sortons encore plus différents à 16 ans ou bien après.

Inégalités et milieux défavorisés

Ces différences ne tiennent pas à nos personnalités et à nos réussites individuelles, mais aux conditions familiales, sociales, économiques et éducatives dans lesquelles nous vivons, c’est pour cela qu’on les nomme inégalités.

Les travaux sur l’école ont montré que ceux qui sortent de l’école non diplômés ou avec le brevet des collèges sont issus de milieux défavorisés et que leurs parents ont, souvent connu eux aussi un échec scolaire. Comment ces adultes et ces enfants vivent-ils ces inégalités ?

Les inégalités scolaires pèsent durablement dans les trajectoires de vie. Parmi les trois socles de compétences mesurés par PISA figurent les compétences à l’écrit. Pour 7 % de la population adulte ayant effectué sa scolarité en France, L35 mo75 qu3 vou5 3735 3n 7ra1n d3 l1r3 r3553mbl3nt à ça1. Pour autant ces personnes ne peuvent se passer de la lecture et de l’écriture, pour travailler, effectuer des démarches administratives, se soigner (posologie d’un médicament) ou comme Patricia pour trouver de l’aide pour préparer son mariage :

Mr P. Ces pareil il mon dit ces écrire. Dans le contrat et vêle rein attendre prenne. Contact avec. Eux. D’accord. Je singer. Les documents. Evêché le traiteur. Envoie facturé. Après. Avec sont rib. Pour. Donner à compte merci de répondre.

Au total, nous avons interrogé 26 parents et 65 enfants âgés de 6 à 12 ans pour comprendre comment les inégalités scolaires sont vécues par les personnes qui les subissent.

Entre espoir et fatalisme, les parents souhaitent un avenir meilleur pour leurs enfants

C’est à table que les familles se retrouvent, c’est donc le moment où le sujet de l’école est le plus abordé.

Les enfants cherchent à l’éviter, sauf s’il s’agit d’annoncer une bonne note ou une sortie scolaire si elle n’est pas trop chère. Dans le cas contraire, ils peuvent aller jusqu’à dissimuler les messages de l’école pris dans des conflits de loyauté entre les attendus scolaires et leur situation familiale.

La même culpabilité peut les pousser à dissimuler leurs mauvaises notes parce que c’est « toujours là que les parents se crient dessus » (Maxime, CE2).

Ce sentiment est exacerbé lorsque dans la famille un frère ou une sœur plus âgés a connu un échec scolaire. « Mes parents me lâchent plus depuis que ma sœur va plus en cours » (Audrey, 6e). À moins que le fatalisme s’impose « Nous [dans ma famille] on dépasse pas la 3e » (Hakim, 6e).

Ce fatalisme, les parents l’acceptent pour eux-mêmes, mais le refusent pour leurs enfants « Y’a des choses qu’on a pas trouvé avec nos parents, qu’on s’est dit qu’on va faire avec nos enfants » (Julie, mère de famille), mais avec la peur que « si les parents parlent pas bien, l’enfant y fera comme ses parents » (Vanessa, mère de famille).

Ce que ces parents veulent éviter c’est qu’« au moment de grandir il y ait des trous, que quand on est grand, dans la vie de tous les jours, rien qu’aller dans un supermarché faire des courses ce soit difficile ». (Ibrahim, père de famille). Et pour l’éviter, ils se concentrent sur les notes qu’ils considèrent comme le seul déterminant de la réussite de leur(s) enfant(s).

Tout tourne autour du bulletin. Il n’y a pas de contacts avec le corps enseignant car « revenir à l’école c’est trop dur » (Julie, mère de famille). Les parents recherchent des d’appui auprès d’autres parents ou des professionnels des centres socioculturels pour se faire lire ou expliquer les notes et les appréciations laissées par les professeurs.

Les notes sanctionnent des individus bien plus que des connaissances

« J’avais l’impression d’être nulle et j’avais envie de m’enfoncer dans le sol » raconte Maeva témoignant de son 8 en français. Pour elle, 8 c’est une mauvaise note parce que c’est en dessous de la moyenne « sauf que même des fois tu te dis que dans la tête des profs la moyenne c’est 12, alors tu sais jamais si t’as réussi ou pas »..

Parents et élèves sont unanimes pour expliquer que si les bonnes notes sont si importantes, c’est parce qu’on va à l’école pour trouver un travail, travail qui permettra de garantir une position économique (de l’argent) et sociale (être bien vu).

Sur les 91 personnes, enfants et adultes, interrogées, une seule a parlé des connaissances acquises à l’école comme quelque chose de désirable en soi. Pour tous les autres, l’école est un moyen au service de la réussite sociale et économique.

Considéré ainsi, tout se passe comme si l’école déterminait la valeur future des personnes. Pour comprendre d’où vient cette idée il suffit de voir comment se dessine le parcours scolaire d’un élève en difficulté à travers ses bulletins.

En 6e, Stéphanie obtient un 7 en physique et un 5 en biologie. Il n’est pas exactement écrit 7 et 5 sur le bulletin, il est écrit « 7 ? » et « 5 ? ? ». Le 19 en math n’est suivi d’aucune ponctuation. En 3e, la ponctuation est remplacée par des traits, le 7 en grammaire et le 8 en physique sont soulignés en rouge. Le 16 en français et le 14 en sciences naturelles ne font pas soulignés.

En seconde, son travail est jugé « tout juste moyen » en anglais avec un 12 et le conseil de classe note en observation « soyez très persévérante face aux difficultés que vous rencontrez ».. On retrouve l’amour des traits. En première, on lira sur un même bulletin « très bon trimestre, élève sérieuse » « bon travail » « satisfaisant » et le commentaire difficilement interprétable « je me pose des questions » ainsi que le bilan final du conseil de classe « une démotivation qui nuit aux résultats. Il faut réagir ».

En fin de première les commentaires sont unanimes pour juger l’élève « démotivée » et on conclura cet aperçu de ce que les sociologues nomment la violence symbolique de l’institution par le bilan du conseil de classe de terminal « Que faites-vous en terminale ? ». Stéphanie, prendra acte de la question et interrompra un parcours scolaire ponctué de jugements sur sa valeur depuis son commencement lorsqu’en apprentissage de la lecture, le professeur des écoles avait choisi de la mettre en groupe E, seule, le reste de la classe étant réparti selon leur difficulté entre le groupe A et le groupe D.

Les notes et classements jugent moins des connaissances que des personnes, c’est pour cela que l’ensemble des commentaires dans les bulletins est adressé à l’élève et non à ces connaissances.

Les inégalités scolaires d’aujourd’hui sont les inégalités sociales et économiques de demain

PISA est un score de compétences, une photographie à un instant t de résultats à des tests, il ne dit rien du vécu scolaire des enfants qui obtiennent un score faible, ni du fait que ces compétences lacunaires suivront les enfants devenus adultes non seulement dans leur parcours professionnel, mais aussi dans l’exercice de leur parentalité et dans l’image qu’ils ont d’eux-mêmes.

L’école est un reflet de la société où aujourd’hui pour de nombreux enfants se déroule avant tout l’apprentissage des inégalités.

(1) « Pour 7 % de la population adulte ayant effectué sa scolarité en France, les mots que vous êtes en train de lire ressemblent à ça ».

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