Joël Coste, 46 ans, il tue pour vous nourrir !

VIDÉO. Alors que les scandales se multiplient dans les abattoirs, Le Point.fr a rencontré le responsable d'une chaîne de production en Corrèze. Portrait.

Par et Pauline Tissot

Temps de lecture : 6 min

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Mardi 5 avril, 8 heures du matin, à l'abattoir d'Ussel en Corrèze. Joël Coste, le responsable de la chaîne de production, nous accueille en tenue de travail sur le parking de l'entreprise. L'homme est grand, brun, rasé de près ce matin-là. Maculée de projections écarlates, sa combinaison porte l'empreinte des saignées matinales. Il extirpe un paquet de cigarettes de sa poche. « On vient de faire les porcs et les chevaux. » Traduction : la première fournée du jour repose déjà en chambre froide. Son accent trahit ses origines auvergnates. À 46 ans, Joël Coste a passé l'exacte moitié de sa vie à travailler dans des abattoirs. Après dix-huit années chez Charal en qualité de pareur (personne chargée d'enlever la peau et les graisses de la viande pour la rendre propre à la consommation), puis comme désosseur, l'ouvrier chevronné quitte l'entreprise en 2011. « J'ai commencé au bas de l'échelle et j'ai gravi les échelons. Je voulais évoluer. »

Débauché par le site à taille humaine d'Ussel, il orchestre désormais la mise à mort des animaux. Ici, on abat environ 70 vaches par semaine, contre une moyenne de 1 100 bovins à Égletons, son ancienne maison. Les bêtes se bousculent chaque après-midi à la bouverie où elles transitent une nuit avant leur dernier voyage. Les « tueries » commencent à 6 heures le lendemain. Taureaux, vaches, béliers, brebis, cochons, truies et leurs progénitures sont livrés par les éleveurs et finiront à la boucherie. « Pour Pâques, on a reçu 150 moutons. Mais maintenant, il fait froid, les gens vont plutôt manger du pot-au-feu », prédit Joël Coste entre deux bouffées de cigarette. D'ailleurs, les prochains sur la liste sont des bovins.

Assistante sociale

Joël Coste se lève aux aurores, avale un simple chocolat chaud en guise de petit déjeuner. Il déboule à 5 h 30 dans les vestiaires pour enfiler son habit d'abatteur : charlotte jetable, casque de chantier et bottes en caoutchouc. Pendant plus de sept heures, il alterne les besognes avec un savoir-faire manifeste. Du sacrifice au dégraissage, en passant par la découpe, Joël Coste maîtrise toutes les tâches de l'opérateur d'abattage. Et gère du mieux possible les tensions entre les différents maillons de la chaîne : « J'essaie au maximum de faire travailler les gens en équipe. C'est pas toujours facile… Je suis un peu l'assistante sociale de l'entreprise », dit-il dans un sourire.

Au total, vingt personnes transforment de concert des animaux d'élevage en carcasses. Quinze hommes et cinq femmes. Le tout sous le regard vigilant du facétieux patron. « Joël aime bien rigoler, même si parfois on s'engueule comme un vieux couple, commente Sandrine, 43 ans, qui travaille sous ses ordres. Heureusement, il n'est pas rancunier ! » Pascale, mariée depuis 22 ans à Joël, la contredira sur ce point : « Avec moi, il l'est. Mais c'est un homme généreux, attentionné, qui aime le contact. Il est expansif, sauf au sujet de son métier. Par pudeur, il ne parle jamais de ses contrariétés. »

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Joël Coste a travaillé pendant 18 ans à l'usine Charal, à Égletons, en Corrèze. © Pauline Tissot Le Point.fr


Il a 23 ans quand son père décède d'une tumeur au cerveau. Lui dont les parents restaurateurs avaient longtemps répondu aux abonnés absents a consacré un an de sa vie au chevet du patriarche. « Quand ta famille tient un établissement, personne n'est là pour s'occuper de toi. J'étais un peu livré à moi-même. » Ce profond traumatisme le projette dans le monde du travail. Sa mère, avec qui il entretient des relations conflictuelles, lui propose d'assurer la gérance du bar-restaurant familial à ses côtés. L'expérience se solde par un échec. Joël décide alors de mettre sa formation à profit. Titulaire d'un BEP dicopa option boucher, passé « pour essayer » après la troisième, il envoie trois CV dans le département voisin. « Je voulais être indépendant et surtout rejoindre ma future femme. C'est l'amour qui m'a fait partir. C'est pas beau, ça ? » déclame-t-il en tripotant l'alliance qu'il n'ôte jamais, quelles que soient les circonstances.

Le saigneur des agneaux

Sa candidature retient l'intérêt de l'usine Charal. « J'étais pas du tout parti dans cette branche, même si j'étais déjà un peu dans la viande. » Il quitte dans la foulée Neussargues-Moissac, dans le Cantal, pour le Limousin. « J'étais un vaillard [son mot à lui pour dire vaillant, NDLR]. Tous les postes que j'ai appris, c'était sur le tas. » Jeune apprenti à la découpe chez le géant de la viande, il regarde avec les autres bleus en direction des abattoirs : « On disait toujours : On veut pas aller là-bas. » Aujourd'hui, il y est, bien décidé à défendre son bout de gras. Il parle avec ses mains de son métier contesté : « J'ai pas du tout honte du travail que je fais. C'est vrai qu'il n'a pas une très belle image, parce qu'on donne la mort à des animaux. Mais on le fait pas parce qu'on aime ça, on le fait parce qu'il faut le faire ! » Son salaire ? Il ne le dit pas vraiment, s'en tire par une formule : « J'ai les revenus de mes responsabilités. » Il sourit quand on lui dit qu'il se paie sur la bête.

Neuf vaches amorphes font la queue « au secteur sale » (du couloir d'amenée à l'arrache-cuir) devant le tonneau de contention, plus propice à l'étourdissement de l'animal. Un jeune employé en tablier bleu électrique se tient en haut de l'appareil, matador (pistolet d'abattage) en main. « On assomme nos bêtes et on les saigne, explique Joël Coste en désignant l'imposant box métallique. On ne prend jamais de risques. Au pire, on remet un coup de pétard tout de suite, par sécurité. » Un son glaçant troue le silence. Signe que la machine est enclenchée. « Quand la bête est pendue, ça veut dire qu'elle est en état de mort cérébrale », reprend Joël Coste en aspergeant d'eau chaude ses bottes souillées. De jeunes moutons « attendent leur tour », c'est son expression, dans le compartiment d'à côté. Pas de quartier pour ce saigneur des agneaux. Les locaux luisants sentent le rance et le sang coagulé. Des débris de chair en route pour l'équarrissage s'entassent au fur et à mesure dans des bacs d'où s'échappent des relents pestilentiels. Pourtant, son amour de la carne semble inaltérable : « Travailler dans un abattoir ne m'a pas dégoûté de la viande. Un bon steak, qui n'en mange pas ? »

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Président de la fédération des Chasseurs à l’Arc de la Corrèze depuis dix ans, Joël Coste inculque le tir et ses bonnes pratiques à une cinquantaine d’initiés. © Pauline Tissot Le Point.fr


Avec son meilleur ami Dominique, dit « Bison furieux », infirmier psy à la retraite, Joël Coste partage le goût de la chasse. Rebaptisé « Buffle bondissant », l'homme troque sa blouse aseptisée pour un carquois à plumes dès qu'il le peut. « C'est mon dada, avoue Joël. Je me régale ! » Président de la Fédération des chasseurs à l'arc de la Corrèze depuis dix ans, il inculque le tir et ses bonnes pratiques à une cinquantaine d'initiés. Sans mise à mort systématique. « Ça me permet de montrer aux gens qu'on n'est pas des destructeurs. »

Il exécute lui-même ses « massacres » (trophées formés de la tête et des bois naturalisés d'un cervidé). Son bureau fourmille de cornes de chevreuil figées pour l'éternité. « Sanglier, cerf, faisan… Si on peut flécher, on flèche, dit-il. Et tant mieux si on prélève. Mais si on ne prélève pas, c'est pas un problème. » Il l'assure, pister des bêtes sauvages reste un loisir. Un contrepoint à son emploi. Joël prône le respect du gibier. Contradictoire ? « Non, pas du tout. C'est un plaisir d'aller à la chasse. Tuer un animal, c'est pas la finalité. » Aurait-il préféré exercer un autre métier ? « Jeune, j'aurais bien aimé être boulanger. Travailler de nuit. Profiter de mes journées. La vie en a décidé autrement. »

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Commentaires (5)

  • Clo14

    En un mot c'est un tueur... D'animaux : travailler dans un abattoir toute la semaine et se détendre le week-end pour encore tuer des bêtes c'est une vocation. Horrible.

  • Passeur

    ... Mais il faut bien manger dans toute l'acception de l'expression...

  • philrop

    Difficile de commenter : le propos du tueur se suffit à lui-même. Il fait le job et ne se pose pas de question. Il assume. Il a donc le monopole de l'honnêteté ; ce n'est pas un hypocrite. Ce n'est pas un hipster et il n'est pas arrogant. Bien. Célébrons donc l'absence de questionnement sur la condition animale et donc la condition humaine. Quand fô travailler, on prend ce qu'il y a. Et on le fait bien. Point barre.