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Décryptage

Au Liban, l'impossible accord pour élire un président

Le Parlement, divisé entre la coalition du 8 Mars et celle du 14 Mars, ne parvient toujours pas à élire un chef d'Etat faute de quorum suffisant et d'accord entre les partis. Une situation qui dure depuis deux ans.
par Estelle Pattée
publié le 19 avril 2016 à 16h18

Encore raté. Pour la 38e fois consécutive depuis deux ans, le Parlement libanais n'est pas parvenu lundi à élire un nouveau président de la République. La Constitution stipule que le candidat doit obtenir la majorité absolue avec un quorum des deux tiers des députés. Or de nombreux élus continuent de boycotter l'élection, faute d'accord entre les différentes factions politiques. Un scénario qui se répète depuis la fin du mandat du président Michel Sleimane, le 25 mai 2014. Une 39e séance parlementaire est prévue le 10 mai.

Comment expliquer que les parlementaires ne parviennent pas à élire un président depuis deux ans ?

Ce blocage est le fruit d'un désaccord historique entre les deux coalitions au pouvoir : l'alliance du 14 Mars, hostile au régime syrien, et le bloc du 8 Mars, mené par le mouvement chiite Hezbollah, qui soutient le régime de Bachar al-Assad. Eternel absent des séances parlementaires, le Hezbollah préfère que la situation reste inchangée pour des raisons internes au pays et syriennes. «Le Hezbollah a 10 000 combattants en Syrie, il ne veut pas d'un président qui remette en cause cette présence», explique Ziad Majed, politologue libanais.

Autre facteur : les fortes tensions régionales qui influent sur la vie politique libanaise. Pour Mounir Corm, spécialiste du Liban et auteur du livre Pour une IIIe République libanaise, «ce blocage est aussi la résultante du conflit entre l'Arabie Saoudite et l'Iran». L'Arabie Saoudite soutient le 14 Mars, tandis que le 8 Mars est appuyé par l'Iran. Une situation aggravée par la rupture, le 3 janvier, des relations diplomatiques entre Riyad et Téhéran après l'exécution du chef religieux chiite Nimr Baqer al-Nimr par le royaume saoudien sunnite. Riyad a également interrompu son aide de 3 milliards de dollars à l'armée libanaise pour protester contre les «prises de positions hostiles de l'Etat libanais résultant de la mainmise du Hezbollah sur ce pays».

Mais cette absence de président de la République cache une crise institutionnelle plus profonde. Alors que son mandat aurait dû se terminer en 2013, le Parlement a décidé d’autoprolonger son mandat jusqu’au 20 juin 2017, invoquant la crise syrienne. Une autoprorogation qui, si elle a causé la colère de la société civile libanaise, a été validée par la Cour constitutionnelle.

«Cette crise institutionnelle est loin d'être la première», remarque le politologue Ziad Majed. Le pays était déjà resté, au terme du mandat d'Amine Gemayel en 1988, quatre cent huit jours sans président. Un scénario qui s'est répété en 2007-2008, après la fin du mandat d'Emile Lahoud, où il avait fallu attendre cent quatre-vingt-quatre jours avant de voir désigner un nouveau chef de l'Etat. «Le système libanais est à bout de souffle», affirme le spécialiste Mounir Corm.

Quelles sont les conséquences sur le pays ? 

En cas de vacance présidentielle, la Constitution stipule que «les pouvoirs du président de la République sont exercés à titre intérimaire par le Conseil des ministres». Mais les spécialistes sont unanimes : «Le pays ne fonctionne pas.» «La crise des ordures est un exemple fascinant de cet abandon du politique dans la gestion des affaires courantes», explique Daniel Meier, spécialiste du Liban et ingénieur de recherche au CNRS-laboratoire Pacte à Grenoble. Des tonnes de déchets s'étaient, en effet, amoncelées dans les rues après la fermeture, en juillet 2015, de la plus grande décharge du pays, à Naamé. Des milliers de Libanais avaient alors défilé à Beyrouth pour dénoncer l'inefficacité du gouvernement.

Cette succession de crises a engendré un profond désamour des citoyens envers les institutions. «Les Libanais ont pris l'habitude de ne plus faire confiance à leurs élites politiques, qui ne prennent pas leurs responsabilités», raconte Daniel Meier.

Quelles solutions pour sortir de la crise ?

Selon la Constitution libanaise, le président de la République doit être issu de la communauté chrétienne maronite, divisée entre les partis du 8 et du 14 Mars. Plusieurs candidats se sont déclarés à l’élection présidentielle, parmi lesquels Michel Aoun, ex-chef du Courant patriotique libre, et Sleiman Frangié, chef du courant Marada, tous deux issus de la coalition du 8 Mars. Pourtant, si les deux ont reçu le soutien de certaines figures du 14 Mars, aucun ne fait réellement consensus. Le Hezbollah, s’il soutient officiellement Michel Aoun, refuse de trancher entre ses deux alliés et boycotte les séances parlementaires pour l’élection. Les 27 députés du Courant patriotique libre font également barrage, à la fois pour soutenir le Hezbollah et par crainte de voir Michel Aoun, leur candidat, perdre si l’élection avait lieu.

Une réforme de la loi électorale pourrait néanmoins changer la donne. Mais elle n'est pas souhaitée par la plupart des élites politiques, en place depuis longtemps. «Il y a une peur de l'agrandissement du vide, alors qu'on n'est déjà pas d'accord pour prendre des décisions a minima…» analyse Daniel Meier. Pour Mounir Corm, la solution ne peut venir que par le biais de nouvelles élections législatives, qui «permettront de redonner une légitimité au Parlement» et de mettre fin au blocage.

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