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Billet de blog 16 avril 2016

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Pour Kamel Daoud

La chasse au Daoud a été lancée en février par des représentants égarés mais symptomatiques de la gauche la plus bête du monde. Réponse de l'intéressé, en recevant le prix Jean-Luc Lagardère du journaliste de l'année, à Paris, le 14 avril...

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Jeudi 14 avril 2016, Kamel Daoud recevait, à Paris VIIIe, le Prix Jean-Luc Lagardère du journaliste de l’année (anciennement prix Hachette). Bernard Pivot, membre du jury, se réjouissait du couronnement, dans le domaine de la presse, de l’auteur, chez Actes Sud, du magnifique récit Meursault, contre-enquête. En 2014, le jury Goncourt n’était pas allé jusqu’à reconnaître à sa juste valeur, dans le champ littéraire, ce même Kamel Daoud, au grand dam de Bernard Pivot, président du jury.

Une injustice était réparée sous les lambris. Tout cela aurait pu n’être qu’un événement très parisien. De ceux dont rendait compte la chronique de feu Edgar Schneider, dans feu Jour de France, le journal de feu Marcel Dassault, au siècle dernier.

En 2016 cependant, le moment Daoud mérite d’être pris au sérieux. Pour ce qu’il fut et pour ce qu’il y fut dit. Plutôt que pour ce qu’il aurait dû être, ou pour ce que certains se sentaient en droit d’y entendre…

Petit rappel d’une affaire lamentable. Dans Le Monde du 31 janvier dernier, Kamel Daoud revient sur les agressions sexuelles commises à Cologne lors de la nuit de la Saint-Sylvestre. Les auteurs présumés étant des migrants, Daoud vide son sac à propos d’un sujet qui lui semble essentiel : « Le sexe est la plus grande misère dans le “monde d’Allah” ». Ou encore : « L’islamisme est un attentat contre le désir. Et ce désir ira, parfois, exploser en terre d’Occident, là où la liberté est si insolente

Que n’a-t-il pas écrit ! Sa copie se voit alors rageusement annotée, toujours dans une tribune du Monde, par un collectif d’anthropologues et de sociologues, pas très brillants sinon complètement obscurs. Cette gent redresseuse de torts décrète, dans sa mentalité de chaisières dictant la bienséance politique, que Kamel Daoud a commis le péché d’islamophobie. Le texte niaiseux comporte cette phrase, une merveille d’incapacité à comprendre érigeant le contresens en oriflamme : « Dans le contexte européen, Kamel Daoud épouse une islamophobie devenue majoritaire. »

Et voilà ! La gauche la plus bête du monde se montre toujours prête à traiter Kamel Daoud d’Arabe utile – qui fait le jeu d’une ancienne puissance coloniale n’ayant jamais renoncé à coloniser les esprits. Or la gauche la plus bête du monde, tout en accusant Daoud d’essentialiser les musulmans, assigne le même Daoud à résidence symbolique : au pied, force supplétive ! Le discours progressiste dans la ligne, ou le bâillon ! L’intellectuel sera reconnu, mais à condition qu’il s’avère harki des flics de la pensée en métropole. Ainsi faut-il lire « dans le contexte européen ».

Réponse de Kamel Daoud, ce 14 avril, en recevant le prix du journaliste de l’année – il lui fut décerné le 11 février, jour même où paraissait la tribune infâme et infamante du Monde.

D’emblée, l’écrivain s’évade du contexte européen où ses contempteurs l’enchaînent, pour parler à partir de la teneur algérienne ignorée par nos prétendues consciences vigilantes. Il rappelle que là-bas, le 11 février 1996, un attentat terroriste islamiste contre la Maison de la presse tuait trois rédacteurs du Soir d'Algérie, 19 ans avant Charlie Hebdo.

Et Kamel Daoud de rendre hommage à cette génération décimée de journalistes algériens qu’il essaie, selon ses mots « de suivre dans la dignité ». Il égratigne ceux qui, aujourd’hui en France, entendent lui dicter ce qu’il devrait penser, selon « l’ordre dérisoire et futile de leurs convictions », ramenées à une « maladie de l’esprit ».

Laissant ses censeurs à leurs ornières et à leurs œillères, Kamel Daoud aborde l’essentiel : la langue, « non pas maternelle, ni paternelle, mais fraternelle ». Celle qu’il pratique, lui l’Arabe sacré journaliste de l’année au nord de la Méditerranée. En guise de conclusion, cet être irréductible et irrécupérable raille ceux qui déraillent : « La francophonie se porte mieux que les cacophonies. »

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Chronique diffusée dimanche 17 avril 2016 à 12h45 sur France Culture :
http://www.franceculture.fr/emissions/le-monde-selon-antoine-perraud/pour-kamel-daoud