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Twitter et les chercheurs, l'exception française ?

POINT DE VUE. Pour Sylvain Deville, les scientifiques français doivent davantage s'investir dans la communication et notamment celle qui passe par les réseaux sociaux.

Publié le 05 février 2014 à 13h12, modifié le 06 février 2014 à 06h50 Temps de Lecture 5 min.

Combien un annonceur serait-il prêt à payer, selon vous, pour que ses noms et slogans apparaissent sur vos tweets ?

Voilà quelques jours, je me demandais sur Twitter pourquoi, en comparaison avec nos collègues anglo-saxons, si peu de chercheurs français se servent de cet outil. A chaque fois que je discute de l’utilisation de Twitter avec des confrères, on me renvoie un regard mi-étonné, mi-méprisant et toujours lourd de préjugés sur les réseaux sociaux. La recherche, c’est du sérieux. Pas de place pour Twitter. La non-adoption de Twitter n’est que la partie émergée de l’iceberg. Les chercheurs français ont longtemps eu une attitude bien particulière vis-à-vis de la communication scientifique. En deux mots : ignorance totale.

Ayant travaillé deux ans en Californie, j’y ai appris beaucoup sur le sujet. Les Américains prennent la communication très au sérieux, et les chercheurs ne font pas exception. Au Lawrence Berkeley National Laboratory, une équipe entière s’en chargeait. Comprenant, entre autres, un photographe professionnel à plein temps, elle pouvait s’occuper de préparer les posters, communiqués de presse, photos, films, sites Web, voire les transparents de présentation ou les illustrations, autant de supports possibles pour le quotidien de notre activité. Sur les bus transportant les chercheurs au laboratoire, au sommet de la colline, s’affichaient souriant les portraits géants des chercheurs phares du laboratoire. Opération de communication plus subtile, des places de parking sur le campus marquées du sceau «  NL  », réservées aux… lauréats du prix Nobel !

En France, la majorité des chercheurs a l’attitude opposée et semble ne pas percevoir l’importance de la communication, ou ne pas en avoir conscience, quand elle ne l'ignore pas avec un snobisme mal placé. Pourquoi ne pas partager un peu de l’enthousiasme et de la passion qui nous animent dans ce métier si particulier ? Le mantra « si la science est bonne, les autres le verront » a longtemps servi à prévenir toute tentative de communication. La volonté de ne pas mettre l’individu en avant, en opposition au système individualiste anglo-saxon, y est certainement pour quelque chose. De ce côté de l'Atlantique, le cycle de recherche s’arrête quand l’article est publié dans une revue scientifique. Contacter un journaliste pour partager ses découvertes relevait il y a encore peu de la faute professionnelle, sans parler de l'état souvent pitoyable des sites Web des laboratoires.

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La situation évolue toutefois. Parce que les citoyens sont curieux et demandeurs. Parce que les organismes finançant les recherches l’exigent, pour des questions de visibilité ou dans des buts plus nobles de dissémination. Parce que les contribuables veulent comprendre l’utilisation de l’argent public pour la recherche fondamentale. Parce qu’une nouvelle génération arrive dans les laboratoires, inexorablement. Une génération née avec Internet, ses outils, ses codes.

Au sein même du monde de la recherche, la communication, perçue comme accessoire, est encore bien souvent désastreuse. D’excellents résultats sont trop souvent desservis par une absence totale de maîtrise des principes élémentaires de présentation. Powerpoint et ses transparents illisibles ont contaminé la recherche comme le reste du monde. Une maîtrise minimale de ces outils permet pourtant de lever bien des obstacles freinant la compréhension et la transmission du savoir. Cela semble généralement perdu de vue, au détriment des chercheurs eux-mêmes.

Prérequis indispensable : la science sur laquelle on communique doit être bonne. Evidence qu’il est bon de rappeler, tant l’attitude inverse peut se révéler désastreuse sur le long terme, en termes d’image et de maintien de la curiosité vis-à-vis des chercheurs et de leurs travaux ou de réputation dans le microcosme de la recherche. Les chercheurs ayant fait le pari d’une communication de qualité, comme Jean-Claude Ameisen ou Cédric Villani, sont souvent les seules personnalités scientifiques connues du public. Preuve que des sujets réputés ardus, telles les neurosciences ou les mathématiques, peuvent intéresser les esprits curieux de nos concitoyens.

Communiquer s’apprend. Expliquer sa recherche en une phrase, en cent quatre-vingts secondes ou en dansant est un exercice intéressant, ne serait-ce que pour répondre à la sempiternelle et exaspérante question du repas de Noël en famille : « Alors, es-tu un chercheur qui cherche ou un chercheur qui trouve ? » C’est aussi un exercice utile lorsque l’on doit défendre à l'oral son projet de recherche, pour un poste ou pour obtenir des financements. Une formation de base aux outils et principes élémentaires de communication devrait peut-être faire partie intégrante de la formation doctorale.

Twitter est à ranger dans une autre catégorie. La science avance en partie par les critiques et expositions à de nouvelles idées au sein d’un laboratoire. Une taille minimale est nécessaire pour garantir la diversité des sujets et des personnes permettant ces interactions souvent aléatoires, au détour des conversations formelles ou informelles. Je travaille dans un petit laboratoire d’une ville sans université, où ces échanges sont de fait moins importants. Twitter m’offre, mais à l’échelle mondiale, ces interactions, ces discussions, et ces autres expositions à l’actualité scientifique. Il me permet de me joindre aux discussions sur les pratiques de la recherche, m’exposant à des points de vue bien plus nombreux qu’au sein d’un laboratoire. Il y a quelques jours, le hashtag #sixwordpeerreview a ainsi engendré de vives discussions sur l’évaluation des articles par les pairs, essentielle à notre activité. Twitter est devenu pour moi une source majeure d’information dans des domaines scientifiques pour lesquels j’ai un intérêt de dilettante (comme par exemple les dinosaures, sujet inévitable avec un garçon de six ans), permettant de nourrir ma curiosité au-delà de mon domaine de prédilection.

De nombreux autres usages sont possibles, de la veille scientifique au suivi de conférences où l’on ne peut pas se rendre, en passant par l’échange avec les éditeurs de journaux spécialisés, nombre d’entre eux étant actifs sur le réseau et fournissant à l’occasion de précieux conseils pour les auteurs. Twitter peut également être un outil de communication vers le public, contribuant à sortir les chercheurs de leur tour d’ivoire. Un regard dans les cuisines, en quelque sorte. Le hashtag #overlyhonestmethods a par exemple permis de révéler de manière humoristique et plus ou moins fidèle la manière dont la science se fait au quotidien.

La situation évolue aussi à un niveau institutionnel. Le communiqué de presse n’est heureusement plus le seul outil. Le CNRS, par exemple, fait des efforts remarquables à travers ses journaux, son site Web refondu et les réseaux sociaux. La plupart des instituts du CNRS sont désormais sur Twitter, partageant leur actualité et celle de leur communauté. Le succès d’événements comme « Les Fondamentales » démontre bien que le public est demandeur.

Twitter n’est qu’un canal de plus pour la communication scientifique. Différent et donc complémentaire de ceux déjà existants. Est-il incontournable ? Non. Pour tous ? Sans doute pas. Comme tous les outils, son adoption dépend des affinités personnelles. Mais sa polyvalence et son potentiel, largement ignorés en France pour l’instant, en font aujourd’hui un outil qu’il serait dommage d’écarter par principe. Tout comme il serait dommage de laisser passer le délai traditionnel de dix ou vingt ans au terme duquel nous finissons par adopter les habitudes américaines, bonnes ou mauvaises. Moins de cent quarante caractères suffisent pour se lancer...

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