Média indépendant à but non lucratif, en accès libre, sans pub, financé par les dons de ses lecteurs

EnquêteNucléaire

Les centrales françaises ne sont plus à l’abri d’un accident

Alors que l’on marque, le 26 avril, le trentième anniversaire de l’accident de Tchernobyl, la revue de la situation en France montre une inquiétante dégradation de la sûreté nucléaire. L’hypothèse de l’accident grave est maintenant reconnue par l’autorité de sûreté. Le mauvais état financier d’EDF et d’Areva accroît le risque nucléaire.

A l’Autorité de sûreté nucléaire, on nie en bloc toute évolution dans le discours concernant le risque nucléaire en France : « L’ASN a toujours dit que le risque Zéro n’existe pas », y dit-on à Reporterre. Ce qu’admet Charlotte Mijeon, du Réseau Sortir du nucléaire : « La remise en cause du risque Zéro dans le nucléaire n’est pas nouvelle. Ce qui change, c’est le niveau d’inquiétude exprimée par les autorités  ». En janvier, Pierre-Franck Chevet, le directeur de l’ASN, parlait d’une situation « particulièrement préoccupante ».

Depuis l’accident de Fukushima en 2011 et les franches déclarations du directeur de l’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire) – « il faut imaginer l’inimaginable » - un changement s’est opéré dans le discours public : Il est loin le temps où le nucléaire était considéré comme « la poudre d’or » selon Jean-Claude Delalonde, président de l’ANCCLI (Association nationale des comités et commissions locales d’information), même si, dit-il, « Il reste aujourd’hui encore un discours vantant les mérites du nucléaire sans vouloir en reconnaître risques. »

Pourquoi cette évolution du propos officiel ? Parce que la situation n’a probablement jamais été aussi alarmante, comme le montre l’examen des deux principales sources de menace dans le nucléaire : la sûreté et la sécurité.

La sûreté : des réacteurs vieillissants, des compétences qui s’effacent

Aujourd’hui, près de 60 % des réacteurs nucléaires français sont âgés de plus de 30 ans. Le débat sur leur prolongation au-delà de 40 ans est devenu urgent, puisque l’échéance arrivera dès 2019 avec le réacteur Tricastin I. Si la ministre de l’Environnement, Ségolène Royal, s’est déclarée favorable à la prolongation des centrales de dix ans, le directeur de l’ASN ne considère pas cette prolongation comme « acquise ».

Principale faille dans la sûreté : l’obsolescence des équipements. « Le nucléaire a atteint ses limites techniques faute d’avoir envisagé à sa création les effets du vieillissement – les équipements ayant été conçus pour servir environ 30 ans » explique Guillaume Blavette, du collectif Stop EPR, ni Penly ni ailleurs. L’incendie survenu en octobre à la centrale de Chinon a relancé le questionnement autour des circuits électriques défectueux. « Fréquents sur tous les sites » selon Monique Sené, animatrice du Groupement des scientifiques pour l’information sur l’énergie nucléaire (GSIEN), ils seraient « souvent liés à des pièces de remplacement inadaptées, voire défectueuses ».

Autre dossier chaud, celui des diesels de secours des réacteurs nucléaires. Le mois dernier, Le Journal de l’Énergie) a publié une enquête fouillée révélant le haut niveau de vulnérabilité de ces groupes électrogènes censés fournir en quelques secondes l’électricité vitale au refroidissement du combustible radioactif, en cas de perte d’alimentation extérieure. C’est un équipement essentiel dans la prévention d’un accident nucléaire – les moteurs diesel n’avaient pu redémarrer lors du passage du tsunami à Fukushima, ce qui a entraîné la catastrophe nucléaire.

En 2011 déjà, en France, une série d’anomalies de série sur les coussinets des groupes électrogènes de secours avait jeté le trouble sur cette fonction parmi les plus vitales de la centrale. Réaction d’EDF ? Le géant de l’électricité menace le Journal de l’Energie de poursuites judiciaires.

Par ailleurs, ces anomalies touchent parfois des équipements qui ne sont pas remplaçables : « On constate des problèmes sur les cuves, de plus en plus fragiles, et sur les enceintes, de plus en plus poreuses » souligne Charlotte Mijeon. En la matière, la championne est sûrement la centrale de Tricastin avec ses vingt fissures dans la cuve de confinement du réacteur – soit près de deux tiers des fissures répertoriées au total en France. « Il y a aussi le matériel dont on ne peut tout simplement pas vérifier l’état de vieillissement, comme les câbles d’électricité ou de mécanisme de commande qui sont enterrés dans le béton » précise Mme Mijeon.

Selon M. Blavette, « Il est de plus en plus difficile, et à un coût toujours plus grand, de compenser les effets du vieillissement et donc de garantir la sûreté des installations ».

A ces défaillances matérielles s’ajoute également un enjeu de connaissance, ce que les experts appellent « les facteurs organisationnels et humains ». L’évolution de la pyramide des âges a été mal anticipée du côté d’EDF et des départs importants à la retraite de personnels expérimentés vont se produire. C’est compensé par une augmentation substantielle du recours à la sous-traitance : « En l’espace d’une quinzaine d’années, les opérations de maintenance sous-traitées sont passées de 20 à 80 % sur l’ensemble du parc français. Cela veut dire des prestataires mal payés, sous-formés et travaillant dans de mauvaises conditions » explique Charlotte Mijeon. C’est pourquoi le Réseau Sortir du nucléaire a porté plainte en avril 2014, contre EDF pour une quinzaine d’infractions à la réglementation des installations nucléaires de base et au Code du travail.

L’impressionnant accident à la centrale de Paluel, où un générateur de vapeur de 465 tonnes est tombé de toute sa hauteur à l’intérieur d’un bâtiment de la centrale le 31 mars dernier, est à cet égard symptomatique. Si l’ASN, qui a immédiatement diligenté une enquête, refuse pour l’heure de commenter cette affaire – « nous n’avons pas encore l’analyse des causes de l’événement, il est difficile d’en tirer des conclusions générales dans le domaine de la sûreté » a-t-on répondu à Reporterre. Mais « on peut imaginer que ce soit une sorte de cocktail infernal avec un peu d’incompétence, beaucoup d’impréparation et des matériels peu fiables », dit M. Blavette.

Chute d’un générateur de vapeur à Penly

Cet incident intervient comme un symbole, alors que les travaux du programme dit de « grand carénage » – qui engage des travaux en vue de la prolongation des réacteurs – ont justement commencé sur la centrale de Paluel, au mois de mai 2015. « C’est l’exemple de ce qui risque de se généraliser sur le parc nucléaire français avec le grand carénage, estime Charlotte Mijeon. Un jour d’arrêt de tranche, c’est environ 1 million d’euro de manque-à-gagner pour EDF. Il y a donc, dans le contexte actuel, une injonction à faire ces opérations de maintenance au plus vite. Le grand carénage risque d’être la conjugaison de cette précipitation et des mauvaises conditions d’ensemble ».

La sécurité : le terrorisme est devenu une vraie préoccupation pour le nucléaire

En matière de sécurité, la menace terroriste s’affirme : les installations nucléaires pourraient devenir la cible des terroristes de l’État islamique. Le 30 novembre 2015, une vidéo des allées et venues du physicien qui dirige le Centre d’étude de l’énergie nucléaire (Cen) belge, où est stocké de l’uranium, a été découverte chez Mohamed Bakkali, suspecté d’avoir participé à l’organisation des tueries du 13 novembre à Paris. Quelques heures après les attentats du 22 mars à Bruxelles, quatre employés de la centrale belge de Tihange se sont vu retirer leurs « habilitations sécurité ». Par ailleurs, un agent du secteur nucléaire a été assassiné le 24 mars à Charleroi (Belgique) et son badge d’accès aux installations dérobé.

Le terrorisme menace les installations nucléaires à plusieurs niveaux. Le plus évident, l’attaque d’un réacteur, est aussi le moins probable, juge Eric Guéret, réalisateur de documentaires pointus sur le nucléaire : « Le terrorisme actuel, low cost, ne s’attaque pas à des cibles dures comme les centrales qui demandent beaucoup de moyens et de préparation. »

Les terroristes peuvent également voler des matériaux nucléaires pour fabriquer une « bombe sale ». Ce scénario a été évoqué lors du sommet sur la sécurité nucléaire des 31 mars et 1er avril à Washington par le directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique Yukiya Amano (en anglais) et le président des États-Unis Barack Obama.

« Nous avons pris des précautions supplémentaires au mois de janvier, a assuré le PDG d’EDF Jean-Bernard Lévy le 24 novembre sur France 2. Nous sommes en alerte maximale. »

« Nous sommes confrontés à une menace terroriste.(...) Il ne s’agit pas de surestimer la menace mais le plus grave serait de la sous-estimer », a dit le président de la République François Hollande le 1er avril à Washington.


Déclaration à la presse au Sommet sur la... par elysee

Comment sont protégées les installations nucléaires françaises ? Les mesures de protection des 19 centrales découlent d’une Directive nationale de sécurité (DNS) classifiée « confidentiel défense », décrit le député (LR) du Loiret Claude de Ganay dans un rapport de janvier 2015. « La sécurité de ces installations relève du Haut fonctionnaire de défense et de sécurité placé sous l’autorité du ministère de l’Environnement, explique Jean-Marc Péres, directeur de l’expertise nucléaire de défense de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). L’IRSN donne son avis à titre d’expert. » La réglementation a été renforcée une première fois suite aux attentats du 11 septembre 2001 à New York. Le survol de centrales par des drones a contribué à reposer la question de la sécurité des installations. Et les attentats récents entraînent « une vigilance plus grande », assure l’expert.

Suite à plusieurs intrusions de militants de Greenpeace dans des centrales depuis 2003, vingt pelotons spécialisés de protection de la gendarmerie (PSPG) ont été créés et déployés dans les établissements.

Survol de la centrale nucléaire du Bugey (Ain) par un militant de Greenpeace, le 2 mai 2012.

L’IRSN donne également les accords d’exécution pour les trajets nationaux des quelque 1.500 transports annuels de matières nucléaires. « Pour les transports les plus sensibles, des dispositifs sont prévus comme une escorte par les forces de l’ordre  », explique M. Péres.

Mais ces dispositifs comportent des failles, s’inquiète Yannick Rousselet, chargé des questions nucléaires chez Greenpeace. « En principe, 20 à 30 gendarmes par centrale sont chargés de la sécurité des 19 centrales et de Superphenix. Mais en fonction des plannings, l’effectif réel est plutôt de 3 ou 4 gendarmes. Quand nous sommes entrés dans la centrale de Tricastin, nous n’avons rencontré personne car les gendarmes avaient été appelés en renfort pour sécuriser le tour de France ! »

Autre difficulté, les habilitations. « Le risque d’un acte malveillant de la part d’une personne habilitée est examiné de très près, assure M. Péres. Une enquête est réalisée et complétée de badges, de fouilles et d’accès restreints. » « Les agents EDF subissent une enquête très sérieuse, admet le militant de Greenpeace. Mais quid des sous-traitants étrangers dont on ne sait rien, car les services de renseignement ne partagent pas leurs informations ? ».

Avant l’accident…

En matière de risque nucléaire, la France a donc glissé du mythe du risque zéro à la préparation à l’accident. « L’État a fait le choix de préparer l’organisation des secours et les fameuses mesures post-accidentelles », remarque M. Blavette. C’est ainsi qu’en février 2014 a été publié par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) un plan national de réponse accident nucléaire.

Mais l’Anccli n’est toujours pas convaincue. « Deux ans après, ce plan n’est toujours pas mis en œuvre, dénonce M. Delalonde. Il ne suffit pas de sortir un plan pour se dédouaner ! Si demain, un accident nucléaire survient, la culpabilité de l’État sera là. Pour nous, le risque est inacceptable. »

Fermer Précedent Suivant

legende