Gros sous et petits secrets : le Quai d'Orsay se dévoile dans un livre-enquête

Un salon du ministère des Affaires trangères au Quai d'Orsay.
Un salon du ministère des Affaires étrangères au Quai d'Orsay.Michael Gottschalk / Getty images

C'est un livre qui fait beaucoup de bruit dans un milieu – la diplomatie internationale – qui ne s'exprime habituellement qu'à mots savamment calculés et télégrammes diplomatiques confidentiels. Dans *La face cachée du Quai d'Orsay,*Vincent Jauvert, grand reporter à L'Obs, livre un bilan acerbe de ses années d'enquête au numéro 37 du quai d'Orsay.

Le journaliste explique que le ministère français des Affaires étrangères est aujourd'hui « à la dérive », et révèle de nombreux secrets après avoir, assure-t-il, obtenu des documents confidentiels et recueilli des centaines de témoignages. Ce qui tendrait à prouver qu'au sein des presque 15 000 employés répartis aux 4 coins du globe, certains ont malgré tout envie de laver un peu de leur linge sale en public…

S'il se garde de vouloir ternir l'image du vénérable ministère dans son ensemble, l'auteur y liste les failles et les fautes non avouées. Parmi les révélations les plus marquantes du livre on notera celles-ci…

Événements publics, argent privé

Dans son livre, il décrit par exemple les liens étroits qui se sont noués ces dernières années entre la diplomatie française et les milieux économiques français à l'étranger. Il évoque « une directive de 2007 qui impose aux ambassadeurs d'organiser des cérémonies du 14 juillet à 0 euro, ce qui les oblige à chercher des financements chez des grands groupes, toujours les mêmes que l'État favorise ». La conséquence, selon Vincent Jauvert, c'est « une espèce d'intimité un peu dangereuse, entre la diplomatie française et les grands groupes, qu'on connaissait par ouï-dire mais qui là est manifeste ».

On rit parfois en grinçant des dents. Comme le récit à la fois d'une naïveté et d'une arrogance confondantes, par un ambassadeur lui-même dans un télégramme, d'un 14 juillet où il s'est attiré « les éloges de (ses) interlocuteurs et l'intérêt un peu envieux de (son) homologue britannique ». La fête, apparemment dantesque, était payée par un prestigieux joaillier français. Dans quelle ambassade ? Celle de Damas, en Syrie, en 2010. La présidence de Bachar El-Assad vivait ses derniers jours paisibles, et l'ambassadeur ne voyait que du feu au climat d'insurrection qui se préparait… trop occupé à plaire au régime du dictateur.

Un rapport à l'argent… compliqué

« Pendant des décennies, le Quai d’Orsay a totalement fermé les yeux sur les petits arrangements avec les frais de représentation alloués aux ambassadeurs, qui atteignent aujourd’hui entre 10 000 et 200 000 euros par an », relève M. Jauvert.

Et de raconter l'histoire d'un consul général de France à Hong-Kong, qui avait la fâcheuse habitude de subtiliser des bouteilles de vin hors de prix dans les restaurants de la ville. Ou celle d'un ancien ambassadeur en Espagne, soupçonné d'avoir loué la résidence de France, et empoché la recette pour son compte personnel. Il s'en serait tiré avec un simple blâme…

Ambassadeur, un poste à haut rendement

Et à propos, combien gagnent réellement les ambassadeurs de France à l'étranger ? L'auteur explique qu'il était compliqué d'obtenir cette réponse. « Si nous disons la vérité, nos compatriotes constateront que presque tous les ambassadeurs gagnent effectivement plus que le chef de l'État et que certains sont les fonctionnaires les mieux rémunérés de la République », lui aurait même confié un haut responsable du ministère.

En fait, c'est l'indemnité de résidence à l'étranger, qui dépend notamment de la dangerosité du pays, qui fait l'essentiel de la différence de salaire. Un montant qui est le plus élevé en Afghanistan, en Irak, en Iran, en Angola ou au Pakistan, pays où l'indemnité dépasse 22 000 euros, pour une rémunération mensuelle de 27 000 euros environ. L'ambassadeur aux États-Unis, de son côté, gagnerait 20 000 euros par mois. À comparer au salaire de François Hollande, qui a réduit de 30% son traitement lors de sa prise de fonction en 2012, à moins de 15 000 euros bruts par mois.

Le règne de l'entre-soi

« Une nomenklatura est plus attachée à défendre ses propres intérêts qu’à défendre ceux de la France » dénonce Vincent Jauvert.« Il n'y a pas que des gens compétents au Quai d'Orsay : il y a beaucoup de gens incompétents qui sont nommés à des postes très élevés parce qu'ils sont énarques. Et il y a des gens compétents qui ne sont pas écoutés. »

Il raconte aussi par le menu un dîner près des Invalides d'un réseau de hauts diplomates conservateurs, surnommé « la secte » par un conseiller de François Hollande (et par eux-mêmes parfois), qui dans l'ombre influence les choix de la France. Anciens de la prestigieuse direction des affaires stratégiques, ils organisent la résistance contre le rapprochement avec la diplomatie américaine. Moins puissante que par le passé, la « secte » conserverait de l'influence dans les réseaux.

Fabius, ministre tout-puissant

Pour Vincent Jauvert, Laurent Fabius, qui vient de quitter le ministère (où il est remplacé par Jean-Marc Ayrault en février 2016) pour rejoindre le Conseil Constitutionnel avait « une conception monarchique du pouvoir. »**« C'est un homme d'État qui a dirigé le Quai d'Orsay comme une machine à sa gloire. »

L’ancien ministre des Affaires étrangères installé au Quai d’Orsay « ne traitait jamais directement avec les gens sous lui. » Vincent Jauvert précise qu’il ne traitait « qu’avec son directeur du cabinet auquel il donnait des bristols a son nom. Par exemple : virer untel et mettre à sa place unetelle qui par hasard était une de ses copines. » Des privilèges accordés par l'actuel Président : « François Hollande, la seule chose qui l’a occupé au Quai d’Orsay, c’était de recaser ses copains de la promotion voltaire à de bons postes. » La donne change-t-elle sous Jean-Marc Ayrault, réputé proche de Hollande ? On ne peut que l'espérer…

Vincent Jauvert, La face cachée du Quai d'Orsay, enquête sur un ministère à la dérive, Robert Laffont.