Marine Le PenDans "Rose Marine", une journaliste décrypte comment le FN drague les homos

Par Adrien Naselli le 25/04/2016
Rose Marine Marie-Pierre Bourgeois

Marie-Pierre Bourgeois a enquêté sur les liens entre l'extrême droite et l’homosexualité dans Rose Marine, un livre vertigineux sur les coulisses du Front national.

Rose Marine Marie-Pierre Bourgeois
 
Comment expliquer le tournant du 1er mai 2011 quand Marine Le Pen intègre les « homosexuels » comme catégorie dans son discours ?
Il y a plusieurs raisons. Louis Aliot, le compagnon de Marine Le Pen, explique que lorsqu'elle a pris la tête du parti, elle a constaté qu'il y avait de plus en plus d'homosexuels qui rejoignaient les rangs du FN, motivés par leur « peur » de l’islamisme. « Les homos se sont rendus compte qu’il y avait moins de péril à vivre avec Marine Le Pen qu’avec les musulmans », m’a-t-il dit. La deuxième explication, c’est qu’elle a été la directrice de campagne officieuse de son père en 2007. Elle a constaté que ceux qui votaient pour le FN étaient les populations périurbaines et rurales et les moins diplômées. Quand elle est devenue la présidente du parti, elle a rapidement eu en tête d’élargir coûte que coûte son socle électoral. La communauté LGBT représente 6,5% des personnes en âge de voter. C'est donc un véritable enjeu politique de parvenir à séduire ce segment. Mais au-delà, Marine Le Pen cherche également à séduire les urbains et les plus éduqués qui peuvent être sensibles à ce discours de défense des valeurs libérales. Enfin, cela lui permet  de prendre ses distances avec la vieille garde du parti comme Bruno Gollnisch. Ces clins d'oeil lui permettent d'incarner une certaine modernité au FN, loin des sorties homophobes et antisémites.
 
Marine Le Pen fait-elle exprès de recruter des collaborateurs qui ont un passé dans la communauté gay ? Je pense par exemple à Julien Odoul, qui avait même fait la couverture de TÊTU à une époque où il n’était pas encore entré en politique…
Il y a tout d'abord un phénomène de cercles concentriques. Un politique aura plus envie de recruter un collaborateur qui lui ressemble. Pour ce qui est de Marine Le Pen, non seulement elle dirige le parti, mais elle anime aussi les fêtes du FN : elle aime chanter, danser. Pour l'accompagner dans son goût pour la fête, elle préfère s'entourer de collaborateurs plutôt jeunes. Sébastien Chenu [fondateur et ancien membre de GayLib à l’UMP, NDLR] et Julien Odoul sont des symboles politiques : cela signifie qu'elle est capable de recruter des homos de droite dans son giron. Ils disent eux-mêmes entendre moins de propos homophobes au FN qu’aux Républicains. Ainsi, entre une gauche absente qui a défendu du bout des lèvres le mariage pour tous, si on se souvient de François Hollande et de ses propos sur la liberté de conscience des maires, et une droite qui était de tous les défilés de la Manif pour tous, Marine Le Pen a pu représenter un point d’équilibre. Pour Sébastien Chenu, qui a gravité dans la droite centriste avec Christine Lagarde, on peut même parler de prise de guerre. Il donne chair aux clins d'oeil réguliers que fait Marine Le Pen aux homosexuels de droite qui se sentent mal à l’aise chez les Républicains.
 
Elle a même défendu bec et ongles Sébastien Chenu lorsqu’il a rejoint le Front national sous les invectives de Bruno Gollnisch notamment.
Tout à fait. Elle a confié à Sébastien Chenu : « Ils [la vieille garde du FN] ont voulu tester la longueur de ma laisse. Ils ont vu que j’étais une femme libre ». Elle veut montrer qu’elle est courageuse. Cela donne l’image d’une femme forte qui construit un nouveau Front national. Mais elle est dans une situation compliquée : elle veut incarner ce nouveau visage, alors que le fossé est grand entre ce qui se passe au siège du parti à Nanterre, que les anciens qualifient de « cage aux folles », et ce qu’on entend dans les fédérations composées de gens plus âgés, souvent arrivés au FN par Jean-Marie Le Pen. Elle mène un jeu d’équilibriste avec un double-visage. Ses difficultés à imposer Sébastien Chenu révèle également cette mue aux forceps du parti.
 
Ses opposants au sein du parti parlent d’une « Dalida » qui serait à la tête d’une « cage aux folles »… Selon vous, Marine Le Pen entretient-elle cette image ou le fait-elle de manière inconsciente ?
Marine Le Pen a, malgré les apparences, grandi dans un environnement assez ouvert sur les mœurs : son père a épousé une femme divorcée, il connaissait très bien Jean-Claude Poulet-Dachary, l’un des plus grands travestis de la côte d’Azur dans les années 1990, bras droit du maire de Toulon après la victoire des municipales en 1995. Cet univers l'a fortement influencé. Par ailleurs, elle renvoie de façon très calculée cette image de femme forte qui n'hésite pas à se disputer avec les plus traditionnalistes pour moderniser le parti. Encore une fois, cela lui permet de montrer que le FN aurait changé depuis qu'elle est aux commandes.
 
Alors que Marine Le Pen entretient cette image, sa nièce Marion Maréchal-Le Pen était en tête de toutes les Manif pour tous. Comment expliquer cette différence entre la tante et la nièce, comme si les valeurs étaient inversées ? La génération 1990 est censée être plus ouverte que la génération des parents…
Il y a une vraie part de sincérité de la part de Marion Maréchal. Marine Le Pen avait décidé de ne pas prendre part à la Manif pour tous et l’engagement de Marion l’arrangeait d’une certaine manière. Cette division était organisée, permettant à la fois de séduire les plus conservateurs tout en gardant dans le giron du parti les plus ouverts sur les questions familiales. Malheureusement pour Marine Le Pen, Marion Maréchal  a des velléités d’indépendance. Le 7 mai prochain, elle se rend par exemple à un colloque de l’Action française dont le thème est « Je suis royaliste ! Pourquoi pas vous ? Nous sommes loin de l'amour de la République dont parle souvent Marine Le Pen dans ses discours. La créature commence à lui échapper. On peut par ailleurs remarquer qu’il y a un véritable retour d’une jeunesse réactionnaire dont Marion Maréchal fait partie.
 
La place de « numéro un bis » de Florian Philippot, comme vous l’analysez, n’est-elle pas tout simplement due au fait qu’il ne fait pas partie de la famille de Marine Le Pen ?
Non, il ne s’agit pas d’un problème de dynastie : quand Florian Philippot arrive, Marine Le Pen cherche des idées. Il arrive au parti avec  une grille de lecture très construite qui intéresse fortement Marine Le Pen. Il faut voir Florian et Marion comme un duo : le premier est  tourné vers les plus diplômés et urbains et la seconde vers les plus catholiques et les ruraux. Marine se tient quant à elle sur cette ligne de crête en demandant à l’un ou à l’autre d’agir en fonction de ses besoins.
 
Vous établissez une filiation de Jean-Claude Poulet-Dachary à Florian Philippot… Cependant, l’un assumait sa sexualité en 1995 alors que l’autre a été outé par Closer, un tabloïd dont les ambitions ne sont pas politiques, vingt ans plus tard !
Il ne s’agit pas de filiation, simplement de deux personnes homosexuelles dans l’entourage très proche des chefs du FN. En 1995, l’homosexualité a un visage sanglant avec l’assassinat de Jean-Claude Poulet-Dachary. Aujourd’hui, elle a un visage souriant avec les photographies de Florian Philippot et de son compagnon en séjour romantique à Vienne. Florian Philippot n’est pas apprécié des plus anciens. Il n’est pas du genre à arrondir les angles. Quand des cadres du parti attaquent Florian Philippot sur son homosexualité, c’est aussi une façon d'attaquer indirectement Marine Le Pen et sa ligne nationale-étatiste impulsée par son bras droit.
 
Vous relevez un paradoxe entre un conservatisme de façade et une vie privée beaucoup moins réglée… Jean-Claude Poulet-Dachary parlait par exemple parfois de lui au féminin dans l’intimité, alors que vous montrez dans un même temps comment le FN ne supporte pas les « folles ».
Sa sexualité restait relativement discrète et était cantonnée au monde de la nuit. Ce qui pose problème aujourd'hui pour les plus traditionnaliste du parti avec Florian Philippot et Sébastien Chenu, c’est que leur homosexualité est publique. Elle a même d'ailleurs été politique pour Sébastien Chenu puisqu'il en avait fait un engagement quand il a cofondé Gaylib à l'UMP. Le FN veut bien ouvrir ses rangs aux homosexuels à la condition qu'ils ne portent pas des revendications d'égalité des droits.  Le sociologue Sylvain Crépon qualifie le FN de parti hétérosexiste en reprenant une expression d'Eric Fassin : on peut avoir une certaine bienveillance pour l’homosexualité mais il est hors de question de donner aux homos les mêmes droits.
 
Le milieu social des adhérents qui montent dans l'appareil du FN a l’air assez similaire… Au fil des pages, on croise énormément de noms à particule. Les gays et les lesbiennes qui adhérent au FN sont-ils tous issus de milieux bourgeois ?
Indiquons d'abord qu'il y a très peu de lesbiennes dans les sphères visibles du FN. A une exception près, Vénussia Myrtil. Elle vient d’un milieu populaire, elle est métisse et ouvertement lesbienne. En la voyant s’investir dans le parti, Marine Le Pen s’est dit que la faire monter serait bon pour son image de modernisatrice. Or très vite, la situation dérape.Elle a d'ailleurs été victime de propos homophobes extrêmement violents. Elle a beau être revenue dans le giron du FN ces derniers mois, je l'ai senti encore très touchée par les attaques dont elle avait victime de la part des plus conservateurs au parti.  Un contre-exemple serait le maire d’Hénin-Beaumont, Steeve Briois. D'après ses contempteurs, il a longtemps eu la réputation de faire monter dans les échelons des militants de province, au profil souvent « passe-partout. » Florian Philippot est dans une logique différente. Il aime s'entourer de jeunes gens éduqués, au profil urbain. Steeve Briois  est arrivé au FN à l’âge de 16 ans et cela se voit. Alors que Steeve Briois aime échanger avec les militants, Florian Philippot est plus mal à l'aise. On devine aisément qui a passé ces dernières années à faire la tournée des sections et qui a une appétence pour la rédaction des fiches de Marine Le Pen.
 
Vous commentez évidemment les chiffres du vote FN des homos mariés aux dernières régionales… Pensez-vous que cette adhésion massive va s’accentuer ?
Il n’y a aucune raison pour que cela s’arrête. Les crispations religieuses et idenditaires sont de plus en plus fortes dans le débat public. On peut donc supposer que cette surreprésentation des homos dans le vote FN va continuer. L’intersectionnalité des luttes était plus vivace quand les homos étaient discriminés de façon très forte. Aujourd’hui, ce sentiment  de faire partie d'une minorité discriminée au même titre que d'autres communautés souvent montrées du doigt a majoritairement disparu. Pour le Fhar ou encore Gai Pied, le mariage était le symbole petit-bourgeois par excellence. Se marier signifie aussi rentrer dans le moule des normes sociétales. Il devient dès lors plus difficile de se considérer soi-même comme appartenant à une minorité.
 
Avez-vous personnellement vu de l’homophobie au Front national, au-delà de votre enquête ?
Non car les cadres font très attention à leurs propos quand ils discutent avec des journalistes. Mais, quand vous parlez avec des militants, beaucoup racontent que des propos homophobes continuent de circuler.
 
Une dernière question, Marie-Pierre Bourgeois… Vous racontez la virée de Jean-Marie Le Pen accueilli à bras ouverts chez Michou. Michou voterait Front national ?
Dans le cabaret de Michou, il y a des photos de Jacques Chirac comme de Bertrand Delanoë. Il refuse de parler politique. Du moment que vous êtes connu, vous êtes le bienvenu…