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Maroc : le virage anti-occidental de Mohammed VI

Le roi s’affiche à Moscou et aux côtés des monarchies du Golfe. Il assume désormais sa place au sein des régimes conservateurs qui ont combattu les printemps arabes.

Publié le 26 avril 2016 à 16h42, modifié le 26 avril 2016 à 16h15 Temps de Lecture 4 min.

Le roi du Maroc, Mohammed VI, lors d'une cérémonie à la tombe du Soldat inconnu à Moscou, le 15 mars.

Ce n’est pas encore un changement de doctrine, mais le discours prononcé par Mohammed VI, le 20 avril, à Riyad, est le signe d’une diplomatie chérifienne plus offensive. A la fois réaliste et populiste, anti-occidentale et d’abord souverainiste. Elle s’appuie sur de nouvelles alliances, comme l’illustre la récente visite d’Etat du souverain marocain à Moscou en mars.

Le mois suivant, dans la capitale saoudienne où il participait au premier sommet conjoint entre le Conseil de coopération du Golfe (CCG) et le Maroc, le roi a choisi de s’attaquer, sans les nommer, aux puissances qui, selon lui, « complotent » contre les pays arabes stables : comprenez les monarchies, celles du Golfe mais aussi la Jordanie et le Maroc.

En évoquant un « automne calamiteux », c’est aussi la première fois que « M6 » dénonce publiquement les conséquences du printemps arabe. Une clarification qui semble en phase avec le basculement de l’opinion arabe sur le sujet.

D’après le sondage Asda’a Burston Marsteller, seuls 36 % des jeunes de 16 pays de la région pensent que le « printemps arabe » a été bénéfique pour leur région, contre 72 %, en 2012. Après avoir vanté la voie de la réforme - une nouvelle constitution en 2011 suivie de législatives anticipées et d’une alternance politique -, le pouvoir marocain assume désormais sa place au sein des régimes conservateurs qui ont combattu le printemps arabe.

Diplomatie sécuritaire et souverainiste

En 2011, en pleine tempête, le CCG avait invité le Maroc et la Jordanie à rejoindre le club très privé des monarchies arabes pétrolières. Rabat avait alors poliment décliné l’offre, tout en accueillant favorablement un « partenariat stratégique ».

En 2014, les pays du Golfe (Emirats arabes unis et Arabie saoudite en tête) ont ainsi apporté 28 % des investissements directs étrangers (IDE) du Maroc, pour un montant de 10, 2 milliards de dirhams, soit près d’un milliard d’euros. Selon la fédération des chambres du CCG, la valeur globale des IDE du Golfe devrait atteindre 120 milliards de dollars sur la période 2015-2024.

Cette coopération entre deux extrémités du monde arabe - « de l’Océan [atlantique] au Golfe », selon l’expression héritée du panarabisme - paraît essentiellement motivée par des intérêts sécuritaires. Une rapide analyse lexicale de l’allocution royale trahit les fondamentaux du tournant souverainiste que prend la diplomatie marocaine.

Mohammed VI évoque à neuf reprises la « sécurité » du Maroc et de ses alliés arabes, quatre fois leur « stabilité » et trois fois leur « souveraineté ». Dans le même discours, l’« intégrité territoriale » du royaume est citée trois fois. Car l’objectif du coup de griffe royal est ailleurs. Devant ses pairs du Golfe, Mohammed VI dénonce des « atteintes » (quatre fois), des « menaces » (trois fois) et des « dangers » (deux fois). Un discours alarmiste appuyé par des expressions plus lourdes de sous-entendus : « coups de poignards dans le dos », « complot », « manigance », « épouvantail ».

Dans le viseur de Mohammed VI, il y a le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, coupable à ses yeux d’avoir qualifié d’« occupation », l’annexion par le Maroc du Sahara occidental. Une déclaration qui, de surcroît, avait été prononcée à Alger, principal soutien des indépendantistes sahraouis et rival régional du Maroc.

« Les choses en sont arrivées au point d’engager une guerre par procuration où le Secrétaire général des Nations unies est instrumentalisé pour essayer de porter atteinte aux droits historiques et légitimes du Maroc concernant son Sahara », s’indigne Mohammed VI.

Mohammed VI élargit aussi sa critique aux pays occidentaux, dans une posture d’anti-impérialisme de droite. Quelques jours avant son discours de Riyad, Mohammed VI adressait un message au sommet de l’Organisation de la Conférence islamique, où il dénonçait « une islamophobie grandissante et inquiétante » en Occident.

Africain et pourfendeur du colonialisme

Avant cela, à la tribune de l’Assemblée générale de l’ONU, en septembre 2014, Mohammed VI, qui ne s’était pas déplacé, avait fait lire par son premier ministre Abdelilah Benkirane un discours revenant sur les méfaits de la colonisation. « Aujourd’hui, après tous ces effets pervers [de la colonisation], ces États n’ont pas le droit d’exiger des pays du Sud un changement radical et rapide […] comme si le développement ne pouvait se réaliser qu’à l’aune d’un modèle unique : le modèle occidental. »

Pour le politologue Mohammed Tozy, directeur de l’Ecole de gouvernance et d’économie de Rabat, « il serait prématuré de parler de nouvelle doctrine de politique étrangère du Maroc. Ce qui caractérise la diplomatie royale, c’est d’abord une grande dose de pragmatisme ».

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Selon M. Tozy, qui souligne « l’inconstance des alliés occidentaux du Maroc », le vrai tournant remonte au discours de Mohammed VI à Abidjan, en février 2014, déjà critique envers les anciennes puissances coloniales : « L’Afrique est un grand continent, par ses forces vives, ses ressources et ses potentialités. Elle doit se prendre en charge, ce n’est plus un continent colonisé. »

Le roi du Maroc énonçait déjà un positionnement souverainiste : « Il n’y a plus de terrain acquis, pas plus qu’il n’y a de chasse gardée. Ce serait une illusion de croire le contraire. » Comme en écho, il a repris ces mêmes paroles à Riyad, le 20 avril dernier : « Le Maroc est libre dans ses décisions et ses choix et n’est la chasse gardée d’aucun pays. »

Dans la foulée de sa visite à Moscou, il y a quelques semaines, Mohammed VI a confirmé un déplacement prochain en Chine. Deux pays non occidentaux et membres permanents du conseil de sécurité de l’ONU, où se joue chaque année le bras de fer entre Rabat et les grandes puissances au sujet du Sahara occidental. En se rapprochant tactiquement de Vladimir Poutine, plus populaire aujourd’hui dans les pays arabes que Barack Obama, la monarchie entend faire la preuve de son autonomie stratégique, tout en affûtant son discours anti-impérialiste de droite. Un équilibre délicat. Dans les années 1970, le mouvement des « non-alignés » avait échoué à dépasser la bipolarisation du monde. Le Maroc, lui, a-t-il choisi son camp ?

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