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Pass’ contraception en Ile-de-France : la pilule ne passe pas vraiment

Le conseil régional LR d’Ile-de-France a fait voter, le 7 avril, la suppression de ce dispositif d’accès gratuit et anonyme des jeunes à des contraceptifs et des tests de dépistage. Depuis, la gauche comme la droite s’accusent mutuellement d’être responsables de cette amputation. Est-ce à dire que l’accès des jeunes à la contraception sera désormais plus difficile en Ile-de-France ?
par Cécile Bourgneuf
publié le 28 avril 2016 à 19h12

Trois semaines déjà que le sujet sur la contraception des jeunes revient sur la table sans que personne n’y voie très clair. Le 7 avril, le conseil régional d’Ile-de-France, présidé par Valérie Pécresse (LR), décide de mettre un terme au «Pass’ contraception», un carnet de coupons qui permet aux jeunes d’obtenir des contraceptifs ou des tests de dépistage gratuitement. Une décision très critiquée par le Planning familial, des associations féministes et par la gauche.

La ministre de la Santé, Marisol Touraine, a notamment qualifié ce jeudi cette suppression de «signal désastreux à un moment où on sait que les questions liées à la santé sexuelle sont des questions tout à fait importantes». Avant de préciser avoir «fait voter à la fin de l'année dernière une loi qui instaure la gratuité non seulement de la contraception mais des consultations et des examens biologiques liés à la contraception, à partir du 1er juillet prochain», pour les mineures de plus de 15 ans. Qu'est ce que le «Pass' contraception» et quelle est la différence avec cette loi qui sera bientôt appliquée ?

Qu’est-ce que le «Pass' contraception» ?

Le Pass' contraception est un chéquier sans valeur financière mis à disposition des jeunes, filles ou garçons, pour bénéficier de consultations médicales, d’une contraception (préservatifs, pilules, patchs, stérilets..) ou encore d’une prise de sang en vue d’un dépistage. Il s’agit de coupons détachables à donner aux professionnels de santé pour obtenir des soins gratuits et anonymes. Les jeunes peuvent recevoir ce pass à une adresse de leur choix pour plus de discrétion et leurs démarches peuvent être effectuées sans carte Vitale, afin de préserver leur confidentialité.

La moitié des régions françaises proposent aujourd'hui ce passe, selon un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), publié en avril 2015. La majorité d'entre elles le proposent aux jeunes filles ou garçons qui ont entre 15 et 26 ans, essentiellement dans les établissements scolaires (surtout dans les lycées) partenaires. L'Ile-de-France, qui l'avait mis en place en 2011, met ces coupons à disposition des lycéens de 15 et 16 ans, qui peuvent les récupérer auprès des infirmières et infirmiers scolaires de leur établissement scolaire. Deux régions - PACA et l'ex-région Aquitaine - les distribuaient seulement aux filles. Ensuite, les montants de prise en charge varient considérablement selon les régions, pointe le rapport de l'IGAS. Elles vont de 26 à 60 euros pour les prélèvements sanguins par exemple.

Le Pass contraception est-il bien distribué aujourd’hui ?

Non, selon le rapport de l'IGAS. D'abord, parce que la quasi-totalité des établissements scolaires privés, d'enseignement supérieur et des collèges en sont exclus. Surtout, les jeunes en font très peu la demande : leur taux de recours est «extrêmement faible» note le rapport. La proportion de passes distribués par rapport à la population concernée est inférieure à 4% dans les quatre régions observées par l'Igas (Poitou-Charentes, Rhône-Alpes, Aquitaine et Pays de Loire), avec même un minuscule 0,8% en Rhône-Alpes. Même quand les jeunes commandent le «Pass», beaucoup ne s'en servent jamais : «le taux d'utilisation des chéquiers distribués est toujours inférieur à 50% et parfois même inférieur au quart comme en Rhône-Alpes», remarque l'IGAS.

Le rapport pointe notamment un déficit d'information, que ce soit auprès des jeunes mais aussi des professionnels de santé : «Les jeunes ne peuvent pas aller voir n'importe quel médecin ou pharmacien avec le Pass. Pour l'accepter, les professionnels de santé doivent être inscrits dans le dispositif, or ils ne sont souvent pas au courant de son existence», remarque Veronica Noseda, coordinatrice nationale au Planning Familial. Résultat : l'expérience de quelques jeunes dans l'utilisation du pass «suffit à produire en peu de temps une forte contre-publicité pour le dispositif», selon l'Igas.

Dans le cas de l'Ile-de-France, la présidente du conseil régional Valérie Pécresse justifie sa décision en expliquant que le Pass avait tout simplement été abandonné«J'ai pris acte, tout simplement, de l'arrêt par la gauche en catimini, fin 2013, de la distribution du Pass' contraception en Ile-de-France. Il n'y a plus eu un Pass contraception distribué à une lycéenne d'Ile-de-France depuis janvier 2014.» En 2014 et en 2015, l'équipe du socialiste Jean-Paul Huchon lui alloue effectivement un tout petit budget de 20 000 euros. «C'est une question de stock, rétorque l'opposition PS au Conseil régional. Les coupons existaient déjà donc ils n'ont pas été réédités. Il n'y avait donc pas de besoin financier. Certes, le dispositif n'était pas au mieux de sa forme mais les chiffres ne veulent pas dire qu'aucun coupon n'a été distribué. Il aurait fallu faire une remise à plat, changer le dispositif, mais pas le supprimer.»

Les lycéens d’Ile-de-France n’auront-ils plus accès gratuitement à la contraception ?

Non. En Ile-de-France il existe, comme partout ailleurs, des centres de planification où les jeunes ont accès à la gratuité de la contraception. «Mais tout le monde n'a pas si facilement accès à nos centres, souligne Veronica Noseda du Planning Familial. Le Pass permet à un public qui habite en zone rurale, donc relativement éloigné de nos centres, d'avoir accès à ces services. Il est donc essentiel que les jeunes puissent se rendre chez un généraliste ou un pharmacien pour les obtenir sinon cela risque de creuser les inégalités territoriales.» Selon elle, même si le Pass' est peu utilisé, «tant qu'il atteint un public plus vulnérable, plus éloigné c'est déjà bien». Le Pass' contraception est donc complémentaire des centres du Planning Familial. Dans le contexte actuel, «où des centres IVG disparaissent, où les Plannings familiaux manquent de ressources, et où les cours d'éducation sexuelle reposent largement sur la bonne volonté des établissements scolaires, cette suppression signe un vrai recul», ajoute l'association Osez le féminisme!.

La future loi sur la contraception ne peut-elle pas régler le problème ?

Pas totalement. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 prévoit d’inscrire, à partir du 1er juillet prochain, la prise en charge à 100% par l’Assurance maladie de l’ensemble des actes liés à la contraception (moyens de contraceptions mais aussi consultations médicales, biologiques..) des mineures. Autrement dit, tous les actes autour de la contraception des jeunes filles âgées de 15 à 18 ans seront désormais gratuits et confidentiels. Quand elles devront avancer les frais médicaux, les mineures n’apparaîtront pas sur le décompte de la sécurité sociale ou la mutuelle de leurs parents. Jusqu’alors, les mineures n’avaient droit qu’à la gratuité des moyens de contraception.

Mais, contrairement au Pass’ contraception, qui est délivré à des jeunes de 15 à 26 ans, les jeunes majeures et les garçons en seront exclus. Surtout, la gauche et les associations estiment que cette loi, indispensable, ne favorise pas l’échange qui existe autour du Pass’ contraception. Ce sont en effet en général les infirmiers et infirmières des établissements scolaires qui reçoivent les coupons et les distribuent aux élèves qui le désirent, après avoir échangé autour des relations sexuelles et des maladies sexuellement transmissibles. «La contraception doit faire partie d’une approche plus globale et ne doit pas être uniquement la délivrance d’une pilule. Il faut garder un débat autour de la sexualité et ne pas la réduire à des actes médicaux», conclut Veronica Noseda du Planning Familial.

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