Heureux ? C’est la question que la Fabrique Spinoza a posée aux Français. Ou plutôt la question que ce laboratoire d’idées, associé à l’institut de sondage Think, a décomposée en une cinquantaine de sous-questions auxquelles les personnes interrogées devaient répondre par une note de 0 à 10. Façon de mesurer, chaque trimestre, ce sentiment tant recherché.

La démarche fait notamment écho au rapport rédigé en 2008 pour le gouvernement français par le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz et qui visait à mieux cerner, entrer autres, le « progrès social ».

Est heureux celui qui croit l’être

Mais le baromètre de la Fabrique Spinoza, dont « La Croix » révèle les premiers résultats (1), a pour particularité de s’appuyer non seulement sur des paramètres objectifs, comme le niveau de revenus, mais aussi, très largement, sur le ressenti des sondés. Car comme le dit le proverbe, est heureux celui qui croit l’être.

Le nouvel outil prend en compte trois dimensions : le bonheur individuel (appréciation globale sur sa vie, sens et épanouissement) ; la perception du cadre de vie ; et les ressorts psychologiques (liberté, rapport au passé/présent, comparaison aux autres, etc.) Alors, heureux, les Français ? Si l’on fait la moyenne de toutes leurs réponses, on atteint un score de 5,9 sur 10. Au-dessus de la moyenne donc, mais pas vraiment flamboyant.

Surtout, leur degré de bonheur s’avère disparate : 26 % des sondés ne dépassent pas le 4 sur 10. Et 5 % choisissent une note comprise entre 0 et 2 sur 10 quand on leur demande s’ils sont satisfaits de leur vie.

« Les Français ont le culte du malheur », interprète Jean-Paul Delevoye, ex-médiateur de la République. Selon lui, cette « spécificité nationale » puise notamment ses racines dans « un système éducatif qui stigmatise les échecs au lieu de favoriser la confiance en soi et l’éclosion des talents ». Et de fait, la résilience ne semble pas le fort de nos concitoyens : 58 % des personnes interrogées disent avoir besoin de beaucoup de temps pour « retomber sur leurs pieds » quand les choses « tournent mal » dans leur vie.

Les Français apprécient leur cadre de vie

Mais tout n’est pas si sombre. Les Français apprécient leur cadre de vie. Huit sur dix environ sont par exemple satisfaits de leur logement et de leur environnement, même si 43 % se plaignent de la pollution. « Le score élevé concernant l’habitat peut paraître surprenant », relève Xavier Timbeau, directeur principal de l’Observatoire français des conjonctures économiques. « En réalité, même si leur logement n’est pas aussi grand, aussi confortable qu’ils l’auraient souhaité, on observe un phénomène bien connu d’habituation », avance-t-il. « Et puis dans un univers – notamment professionnel – fait d’incertitudes, la maison apparaît comme un refuge. »

Un élément à mettre en lien avec un autre enseignement du sondage : 71 % des sondés apprécient leur lien social de proximité (famille, vie sociale). « On n’a pas grande confiance dans l’avenir du pays mais on se crée son propre monde autour de soi », analyse Xavier Timbeau.

Si l’on en croit le baromètre, pour être heureux, mieux vaut être un homme riche, cadre ou agriculteur, plutôt âgé, et résider dans le Sud-Ouest. Mieux vaut aussi ne pas faire partie de la jeunesse, ne pas être étudiant… « Certes, étudier peut être perçu comme une chance, mais le contexte est à la concurrence et au doute quant à la valeur des diplômes sur le marché du travail », décrypte Xavier Timbeau. « De plus, les étudiants se trouvent dans une phase de transition entre deux cellules familiales, celle qu’ils viennent de quitter et celle qu’ils n’ont pas encore fondée, ce qui concourt à un relatif sentiment d’insécurité », observe-t-il.

Un enjeu politique

Autre enseignement : les sympathisants du FN sont « plus malheureux » (5,7 sur 10) que ceux des autres formations (entre 6,1 et 6,2). « Le bonheur est aussi un enjeu politique », en déduit Alexandre Jost, le fondateur de la Fabrique Spinoza, qui espère que ces travaux aideront les pouvoirs publics « à mener des politiques ciblées ».

Pour 72 % des sondés, en tout cas, « créer des conditions favorables au bonheur citoyen doit être une préoccupation politique majeure ». Cette formulation ne permet cependant pas de savoir quelle conception de l’action publique se trouve privilégiée.

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L’influence des attentats

Selon le baromètre, 34 % des Français se disent globalement inquiets. Près de la moitié des sondés (47 %) affirment être moins joyeux qu’avant les attentats. Pour 44 % des personnes interrogées, les patrouilles militaires devant les écoles concourent à la sérénité des enfants. Mais 33 % considèrent qu’elles sont source d’anxiété.

(1) Étude menée en ligne, du 1er au 7 avril, auprès d’un échantillon représentatif de 1 001 personnes âgées de 18 ans et plus.