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Droit de suite

Pédophilie : une cascade de révélations dans l’Eglise

Depuis les affaires de Lyon, de plus en plus de victimes se manifestent. Une vague de faits anciens qui n’étaient pas remontés à la surface en France, contrairement à des pays comme l’Irlande ou l’Allemagne.
par Bernadette Sauvaget
publié le 29 avril 2016 à 17h15

Le couvercle s'est levé. Et il ne devrait pas se refermer de sitôt. Plusieurs diocèses catholiques – ceux de Bayonne, de Clermont-Ferrand ou encore d'Orléans – ont été contraints, ces derniers jours, de rendre publiques des affaires de pédophilie qui concernent des prêtres en exercice. La semaine précédente, c'est la prestigieuse Compagnie de Jésus qui essuyait une grosse tempête. D'anciens élèves de Saint-Louis-de-Gonzague, établissement jésuite très huppé de la capitale et fréquenté par la grande bourgeoisie, ont révélé les agissements coupables de membres de l'équipe enseignante (et d'au moins un père jésuite), des faits qui remontaient pour certains jusqu'aux années 50.

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Bon gré, mal gré, l'épiscopat français affronte ces révélations en cascade. «Nous souhaitons que les victimes se manifestent. Le cas de Lyon a montré les failles que nous avions dans le traitement des cas anciens», déclare Vincent Neymon, le directeur de la communication de la Conférence des évêques de France. Sous la pression de plusieurs affaires de pédophilie dans le diocèse de Lyon et la mise en cause du cardinal Philippe Barbarin pour non-dénonciation de ces faits à la justice, il a lancé une sorte d'opération «mains propres», demandant la mise en place dans les diocèses de cellules d'accueil et d'écoute des victimes.

Des victimes qui approchent des 80 ans

Depuis une quinzaine de jours, plusieurs dizaines de victimes se sont d'ores et déjà manifestées. C'est le cas dans le diocèse d'Orléans, l'un des rares en France qui disposait déjà d'une telle structure. «Nous avons été en contact avec une douzaine de personnes, précise-t-on sur place. Huit d'entre elles ne vivent pas dans le diocèse mais ne savaient pas à qui s'adresser.» A la Conférence des évêques, via une adresse mail (paroledevictimes [at] cef.fr) ouverte en attendant la création des cellules d'accueil locales et d'un site internet, une vingtaine d'affaires sont déjà remontées. Quant à Jean-Pierre Martin-Vallas, une victime qui a révélé l'affaire de Saint-Louis-de-Gonzague, il a été contacté par une dizaine d'anciens élèves qui lui ont confié avoir été agressés sexuellement dans l'établissement. «Certains approchaient des 80 ans», raconte-t-il.

Selon la théologienne Véronique Margron, l'une des expertes en France des questions de pédophilie, ces révélations devraient se poursuivre. «C'est actuellement comme une cocotte-minute. Il faut que le processus aille à son terme. La vérité doit être faite pour que l'on prenne conscience de la gravité du mal infligé aux victimes», dit-elle. Contrairement à d'autres pays comme l'Allemagne, l'Irlande ou les Etats-Unis, la France n'avait pas été confrontée à la remontée à la surface des affaires anciennes. A Rome, l'épiscopat français a d'ailleurs été discrètement mis en cause. Karlijn Demasure, la directrice du Centre pour la protection des mineurs de la Grégorienne, l'université des jésuites, a déclaré à l'agence de presse I Media que «l'Eglise de France est en retard et il est étonnant qu'elle ne fasse pas plus».

Dans l’ombre du Vatican

De fait, toutes les questions sont loin d'être éclaircies. L'épiscopat français semble avoir traîné des pieds pour appliquer les mesures drastiques mises en place successivement par les papes Benoît XVI et François. Comme le reconnaît Vincent Neymon, la Conférence des évêques, par exemple, «ne connaît pas le nombre de dossiers de prêtres transmis à Rome». Au début des années 2000, suite au grand scandale de Boston retracé par le film Spotlight, Joseph Ratzinger, le futur Benoît XVI, alors préfet pour la Congrégation pour la doctrine de la foi, avait demandé que les dossiers des prêtres pédophiles remontent au Vatican. Par crainte que les évêques n'étouffent localement les affaires.

A Lyon, il a fallu attendre l'automne 2014, au moment où l'une des victimes faisait pression sur l'archevêché, pour que l'affaire concernant l'abbé P. ne remonte jusqu'à Rome. D'après ce qu'il a lui-même déclaré, le cardinal Barbarin avait pourtant eu connaissance des faits depuis 2007-2008. Interrogé par Libération pour savoir si le dossier de l'abbé S. avait été transmis au Vatican, le diocèse de Bayonne n'a pas donné suite à notre demande. Vendredi, une enquête préliminaire a été ouverte par le procureur de la République de Bayonne dans cette affaire.

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Dans les groupes de victimes, l'optimisme n'est pas de mise. Jean-Pierre Martin-Vallas craint «un double langage» de la part de l'Eglise et que «les commissions mises en place servent à enterrer les affaires». De fait, la clé réside dans la manière dont elles vont fonctionner. «Chez les victimes, le temps de la sidération et du silence peut se prolonger des dizaines d'années, relève la théologienne Véronique Margron. Des victimes qui ont aujourd'hui plus de 80 ans n'ont jamais parlé. Pas mêmes à leurs conjoints. Elles se trouvent dans une détresse terrible. Beaucoup d'églises à l'étranger ont mis en place des numéros verts. Passer à ce stade en France était quasiment impossible jusqu'ici.»

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