Terrorisme : "En France, on n'a pas vu les choses arriver"

Invité du forum TAC, Hubert Bonneau, commandant du GIGN, n'a pas manié la langue de bois. Son constat est à la fois accablant et inquiétant.

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Au centre, le patron du GIGN Hubert Bonneau, accompagné à sa droite de Jean-Michel Fauvergue, chef du Raid, et à sa gauche de Christophe Molmy, à la tête de la BRI, le 19 avril 2016.
 
Au centre, le patron du GIGN Hubert Bonneau, accompagné à sa droite de Jean-Michel Fauvergue, chef du Raid, et à sa gauche de Christophe Molmy, à la tête de la BRI, le 19 avril 2016.   © AFP

Temps de lecture : 6 min

« Une tuerie rapide, un retranchement long, une issue qui est toujours la même : la mort. » Le colonel Hubert Bonneau, commandant du GIGN, n'a pas mâché ses mots vendredi pour résumer les attentats terroristes qui ont endeuillé la France. Le gendarme était invité en clôture du forum Technology Against Crime (TAC) de Lyon. Une intervention publique extrêmement rare pour cet homme connu pour son franc-parler, et qui n'a une nouvelle fois pas dérogé à la règle : « Les groupes terroristes profitent d'une véritable faiblesse de nos démocraties. J'ose le dire, a-t-il lancé. Ce sont des gens qui travaillent pour plonger la population, par leurs actions, dans la sidération. On a des gens qui agissent avec peu de matériel, peu de technologie et qui s'autofinancent. L'argent ne vient pas du Moyen-Orient, il vient de Cofidis et de Cetelem. »

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Et le commandant du GIGN de souligner un « rapport coût-efficacité » absolument « terrible pour nous ». « À Sousse, un type a abattu trente Occidentaux sur une plage. Le résultat ? C'est la faillite de la Tunisie. L'État coule. C'est l'économie qui est visée. » Selon le colonel, « ça peut taper n'importe où, n'importe quand, sachant qu'on attaque des cibles molles, pas renforcées ». Le « champ des possibles est très vaste », a-t-il ajouté. « On tue à l'arme blanche, à la kalachnikov, à l'explosif. Il n'y a sur le moment aucune revendication. Dès qu'il y a réponse des forces de l'ordre, les tueries s'arrêtent. Aucune tuerie ne dépasse cinquante minutes. »

Vers un « 11 Septembre 2.0 »

Ce n'est que lorsque l'opération débouche sur des morts que l'organisation terroriste la revendique : « Les franchises agissent et la marque récupère l'ensemble quand ça fonctionne, c'est ça, le solo djihad. [...] On s'est trompés sur la définition du loup solitaire. » Une fois la fusillade terminée, celui qui tient bon face aux troupes d'élite cherchant à le neutraliser est ensuite glorifié sur les réseaux sociaux : « Quand on résiste trente-six heures à un État [comme Mohamed Merah l'a fait à Toulouse, NDLR], c'est imparable : on devient un héros. » « Faut être honnête, faut être clair : on n'a pas vu en France les choses arriver, a critiqué Hubert Bonneau. Malgré les attentats de Londres et de Madrid, malgré les événements en Afghanistan, au Pakistan, etc. » Si on ne les a pas vus, c'est parce que cela « se passait loin de chez nous », a-t-il précisé.

Pour le patron du GIGN, les attentats visent deux objectifs : rassembler la communauté et « frapper l'ennemi, qu'il soit proche ou lointain ». « La cible numéro un est la France. Je mets de côté Israël, qui est hors catégorie », a-t-il ironisé. « Ces terroristes vont rechercher un 11 Septembre 2.0. [...] On est passé d'une entreprise centralisée et secrète à, aujourd'hui, une entreprise décentralisée qui marche sous forme de franchise. Leur stratégie est en place depuis longtemps. Ceux qui passent à l'acte en France sont ceux qui sont capables d'évoluer facilement dans nos sociétés », a-t-il conclu.

Inspire, « le petit marmiton.com » du terroriste

Le colonel s'est également exprimé sur la propagande et les moyens de communication des terroristes. Ils se sont appuyés sur Internet, « mais pas forcément sur les réseaux cryptés, tout est ouvert », a continué Hubert Bonneau. Et le gradé de répéter : « Tout est ouvert, c'est imparable. Aujourd'hui, on a des réseaux Twitter, Instagram ou encore Telegram, qui est un réseau russe crypté qu'on ne contrôle pas. Vous pouvez recevoir un message Telegram directement dans votre téléphone qui vous dira : Dans trois minutes sort sur tel et tel site internet le dernier numéro d'Inspire [la revue d'Al-Qaïda, NDLR]. Vous n'avez qu'à cliquer . Qu'est-ce que vous faites ? Vous ne pouvez pas bloquer autant de sites internet en si peu de temps. Les vieux, vous ne vous en rendez pas compte ! Mais les jeunes ? [...] C'est très facile d'avoir sur son téléphone des vidéos de décapitation. »

Le colonel s'alarme de la force de frappe de ces revues terroristes : « En septembre 2015, le numéro 14 d'Inspire a fait un retour d'expérience des attentats de janvier. C'était remarquable et très intéressant : on a cinquante pages qui disent ce qui a été bien fait et ce que les Kouachi et Coulibaly ont mal fait ou n'auraient pas dû faire. En substance, le magazine dit : Pour l'avenir, voilà ce qu'on vous propose. [...] Inspire, c'est le petit marmitton.com du terrorisme : comment créer des grenades, confectionner des armes, etc. » Fataliste, le haut gradé de la gendarmerie reconnaît tout de même que l'on ne peut pas, en France, « décider de tout ce qui se passe ». « On est en démocratie, pas en Corée du Nord. Il suffit de regarder à quel point c'est difficile pour nous de bloquer des sites internet, et pour les Américains d'obtenir des clés de chiffrage [allusion à l'affaire San Bernardino dans laquelle le FBI a assigné Apple en justice, NDLR]. »

« Une problématique de sécurité intérieure »

Pour Hubert Bonneau, le problème ne trouvera une solution que sur la scène internationale : « Il faut accepter de s'inscrire dans le temps long. Aujourd'hui, il n'y a pas une guerre de l'avant en Syrie, une guerre de l'arrière en Europe. Tout est global. N'oubliez pas qu'après les attentats de Bamako et de Ouagadougou les revendications ne visaient pas le Burkina ou le Mali, elles visaient la France. Ce sont nos intérêts qu'on vise. » Et le chef du GIGN de pointer du doigt la prolifération de ces groupes un peu partout sur le continent africain. « Le contexte international est très défavorable. La baisse du prix de l'hydrocarbure impacte directement les choses. Nous, on est peut-être contents. Mais l'Algérie a consacré deux ans de réserve financière pour garantir le prix des denrées alimentaires de base. » Une remarque contestée par le représentant d'Interpol Algérie, présent dans la salle.

Qu'importe, le message que veut faire passer Hubert Bonneau, c'est qu'un appauvrissement de la population peut jouer en faveur des groupes terroristes qui sauront recruter les plus faibles et jouer sur les peurs. « L'Algérie, dans les années 90, on a vu ce que ça a donné. Il y a des terreaux de terrorisme partout. Regardez ce qui se passe en Afrique : Boko Haram, Aqmi, les shebabs de Somalie… » Un bon point, tout de même, dans ce discours très pessimiste : « Les échanges internationaux se font très régulièrement », a-t-il assuré. « L'année dernière, après les attentats du mois de janvier, la Belgique a fait appel à la France dans le cadre d'une opération à Verviers. L'idée des terroristes était d'enlever une haute autorité belge et de la décapiter en direct pour mettre les images sur les réseaux. Le GIGN est intervenu en Belgique, il y a eu une demande de coopération internationale qui a fonctionné. »

Mais le commandant, dans une ultime sortie, de rappeler : « Sur les attentats en France, à part quelques personnages en novembre, tous ceux qui agissent sont français. [...] C'est avant tout une problématique de sécurité intérieure. C'est quelque chose qui nous a beaucoup surpris. » En début d'intervention, Hubert Bonneau avait affirmé : « Je ne fais pas de politique, moi. » On n'a pas été déçu.

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Commentaires (39)

  • Le sanglier de Génolhac

    Gamelin connaissait le jour, l'heure, l'endroit. On a vu. Alors si pour 180. 000 morts, 1. 800. 000 prisonniers, quatre ans d'occupation le pouvoir n'a pas bougé (des socialistes, déja) sauf pour décaniller à Bordeaux, on imagine que pour 300 morts d'attentats, ils ne vont pas se mettre en frais.

  • Le sanglier de Génolhac

    Tout d'abord, on se sent moins seul. De plus une convergence certaine des opinions se fait jour : Ce pays ne PEUT PLUS accepter de subir ceux qui le dirigent (ou sont censés le faire, parce qu'en réalité... ). Aprés, toutes les options sont ouvertes. Mais pour qui (c'est mon cas) a définitivement rejeté la et les politique(s) et se tourne vers l'Histoire, l'issue ne pourra être QUE violente. Trop de pression dans le marmite, trop de scandales, trop d'abus, il va falloir que ça explose. Et ça explosera. Et bientôt. N'oublions pas qu'en France, ce sont toujours les contributifs, les classes moyennes, les classes motrices, ceux qui payent pour tous les autres qui ont été à l'origine des révolutions. Notre époque n'y fera pas exception.

  • Le sanglier de Génolhac

    Le problème n'est pas des officiers généraux, qui ne commandent rien. Il viendrait plutôt, si tant est qu'il y en ait un, de la hiérarchie immédiatement subalterne. Les généraux, nommés en conseil des ministres, sont des officiers politiques Ils ont fait allégeance au pouvoir qui les a nommés et ne représentent qu'eux-mêmes. Je vous rappelle (mais vous le savez certainement mieux que moi) que l'attentat du 20 juillet 1944 contre Hitler impliquait une trés grande fraction de la haute hiérarchie de l'armée dont plusieurs maréchaux et généraux de trés haute valeur (Beck, von Witleben, Erwin Rommel, Hans Speidel et bien d'autres). Or, c'est un simple major (commandant) d'infanterie, Otto Remer, qui retourna son bataillon contre les conjurés et tua dans l'oeuf le putsh à peine commencé. "à la bataille, la parole passe aux exécutants" Ferdinand Foch, maréchal de France, de Grande-Bretagne et de Pologne. Et nos généraux sont des "obéissants", pas des exécutants. C'est pourquoi, rendus opportunistes au contact de leurs maîtres, ils iront dans le sens du vent. Ou ils seront balayés. Au choix.