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BANGLADESH

Blogueur au Bangladesh : "Ils n’ont pas peur de nous tuer en pleine journée, dans la rue"

Depuis le début de l'année, quatre militants laïques ont été assassinés par des fanatiques islamistes au Bangladesh. France 24 a pu entrer en contact avec l'un de ces activistes athées, qui a fui le pays en raison de menaces de mort.

Des militants laïques manifestent leur colère après l'assassinat du jeune blogueur Nazimuddin Samad, le 6 avril 2016.
Des militants laïques manifestent leur colère après l'assassinat du jeune blogueur Nazimuddin Samad, le 6 avril 2016. Munir Uz Zaman, AFP
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27 février 2015. 30 mars 2015. 21 mai 2015. 8 août 2015. Quatre dates pour quatre assassinats. Les victimes s’appelaient Avijit, Washiquir, Ananta et Niloy. Ils avaient en commun le militantisme chevillé au corps. Tous revendiquaient le droit d’être athée et de l’exprimer librement sur leur blog. Ils ont été assassinés par des intégristes radicaux durant l'année 2015.

Défendre la neutralité religieuse est un sacerdoce au Bangladesh, où 90 % de la population est de confession musulmane. Après une (trop) courte période de répit, les meurtres en série ont repris au début de l’année 2016. Les blogueurs ne sont pas les seules cibles. Pour le seul mois d’avril, deux militants de la cause gay, un professeur d’université, un étudiant laïque ont été abattus. Signe que les ennemis des fanatiques sont nombreux, qu’ils soient athées, homosexuels ou issus d’une minorité religieuse.

À chaque fois, les assaillants suivent le même mode opératoire. Les victimes sont repérées, inscrits sur une liste, puis exécutées, le plus souvent à coups de machettes ou de couteaux. Les attaques sont généralement revendiquées par le groupe islamiste "Ansarullah Bangla team", officiellement interdit, ou par Al-Qaïda dans le sous-continent indien (Aqis). Mais depuis quelques semaines, l’organisation État islamique (EI) appose elle aussi sa macabre signature sur ces assassinats. Le groupe a revendiqué le meurtre du professeur d’université Rezaul Karim Siddique, dans le nord du pays, accusé d’avoir lancé des "appels à l'athéisme".

"Pour me protéger, je mettais un casque de moto sur ma tête. Je n’ai pas de moto"

Ananya Azad, un jeune blogueur bangladais de 26 ans, fait partie "des prochains à mourir" sur la liste des fanatiques. Il a appris la nouvelle devant son écran d’ordinateur, au printemps 2015. "Ansarullah Bangla Team a déclaré sur son site Internet que je serais exécuté. Puis j’ai reçu un message terrible sur Facebook qui disait que ma tête serait suspendue devant l’université Raju Vaskorjo de Dacca", explique-t-il à France 24.

>> À voir sur France 24 : "Au Bangladesh, les assassinats de libres-penseurs se multiplient"

Ananya sort alors de moins en moins, jusqu'à devenir prisonnier, de fait, de son domicile. Il décide de quitter sa patrie quelques jours après la mort d’un autre blogueur, Ananta Bijoy, assassiné en pleine rue à Sylhet, dans le nord-est du pays, en mai 2015. "Je vivais chaque jour comme le dernier. Pour sortir, je devais mettre un casque de moto sur ma tête. Je n’ai pas de moto. Mais il fallait que je me protège, ils pouvaient m’attaquer à n’importe quel moment. Ils n’ont pas peur de nous tuer en pleine journée, dans la rue, chez nous, sur nos lieux de travail."

Ananya vit aujourd’hui en Allemagne, à l’abri, mais en regrettant chaque jour son exil forcé. "Je n’ai jamais pensé qu’un jour je quitterais mon pays. Il était tout pour moi." 

Pays laïque ou nation islamique ?

Au Bangladesh, la fracture entre militants laïques et islamistes radicaux n’a rien d’inédit. Elle est même intrinsèquement fixée à l’ADN du pays. "Depuis les années 1940, une rivalité profonde oppose deux courants identitaires : les conservateurs du BNP (Bangladesh national party), soucieux de placer l’islam au centre de l’appareil d’État et le parti de la Ligue Awami, une mouvance séculariste qui ne veut favoriser aucune religion", rappelle Jérémie Codron, spécialiste du pays et enseignant à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco).

Dans les années 1970-1980, cette fracture politique se double d’une crise identitaire. En 1972, en effet, le pays se dote d’une Constitution fondée sur une identité laïque, mais en 1988, le régime militaire alors en place y inscrit que l’islam est la religion d’État. Une pétition est aussitôt lancée par les défenseurs de la laïcité pour demander le retrait de ce principe. Ils viennent tout juste de perdre leur combat, puisque le 28 mars 2016, la Haute Cour de justice du Bangladesh, a finalement "confirmé l’islam comme religion d’État", vingt-huit ans après le dépôt de la pétition, rejetant pour de bon toute possibilité d’émancipation de la tutelle religieuse.

Cette schizophrénie identitaire se cristallise aujourd’hui dans les deux camps. "Les blogueurs veulent défendre cette tradition laïque qui n’est plus suffisamment protégée par la Ligue Awami", explique Jérémie Codron. Ils se sentent trahis par leur propre parti qui, en revenant au pouvoir en 2009, n’a pas tenu ses promesses. "La Ligue Awami a commencé à utiliser la carte de l’islam pour calmer les tensions, faire consensus, mais aussi pour plaire à la majorité et gagner des voix."

"Le gouvernement ne peut pas prendre le risque de les soutenir"

Les sécularistes de tous poils ont donc vu rouge. Et ils ont commencé à s’inquiéter. "Beaucoup de blogueurs, de militants ont compris que le gouvernement ne voulait pas prendre le risque de les soutenir publiquement", ajoute Jérémie Codron. Pis, les autorités sont même accusées de les avoir abandonnés à leur sort. "Les blogueurs ne sont pas très populaires au Bangladesh. Le plus souvent, l’État les renvoie à leur propre responsabilité avec des messages tels que : 'Vous véhiculez des messages anti-religieux, vous avez bien cherché ce qui vous arrive'".

Face à cette culture de l'impunité, beaucoup ont préféré fuir le pays. "Je n’ai pas confiance dans la police", lâche Ananya Azad – qui n’a jamais demandé de protection policière. Depuis Berlin, le défenseur de la laïcité 2.0 regarde son pays avec amertume et pessimisme. Mais il n’abandonne pas le combat. "Mon père, Humayun Azad, était un militant de la première heure. Il a été victime d’une fatwa. il a été gravement blessé, mais il a survécu et il a continué", raconte-t-il, fier de son parcours.

"Moi aussi, je dois montrer le vrai visage de tous ces intégristes […] qui veulent aliéner les femmes, détruire les autres croyances, faire taire tous ceux qui ne pensent pas comme eux. Alors je ne sais pas ce que me réserve l’avenir, mais je suis sûr d’une chose : tant que je vivrais, j’écrirai."

Liste des assassinats des blogueurs et militants des droits de l’homme au Bangladesh depuis 2013 :

25 avril 2016 : Xulhaz Mannan et Tanay Majumber, deux militants des droits des homosexuels, sont tués à Dacca, capitale du Bangladesh.

23 avril 2016 : Rezaul Karim Siddique, professeur d’université est à Rajshani, dans le nord-ouest du pays.

6 avril 2016 : l’étudiant Nazimuddin Samad, militant athée, est assassiné en pleine rue, à Dacca.

31 octobre 2015 : l’éditeur Faisal Arefin Deepan, est tué à Dacca pour avoir publié des livres sur l’athéisme.

8 août 2015 : le blogueur Niloy Neel, athée et militant des droits de l’Homme, est assassiné chez lui, à Dacca.

21 mai 2015 : le blogueur, Ananta Bijoy, athée et militant des droits de l’Homme, est tué devant chez lui, dans le nord du pays.

30 mars 2015 : le blogueur Washiqur Rahman Babu, athée et militant des droits de l’Homme est assassiné à Dacca.

27 février 2015 : le blogueur et écrivain américano-bangladais, Avijit Roy, est assassiné en pleine rue à Dacca.

15 février 2013 : le blogueur Ahmed Rajib Haider est assassiné à Dacca.

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