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portrait

Amine El Khatmi, foi républicaine

Maire adjoint d’Avignon, le socialiste aime l’attention comme le combat, et se veut laïcard et musulman.
par Guillaume Gendron
publié le 2 mai 2016 à 17h11

Bien raide dans sa redingote anthracite, Amine El Khatmi poireaute, au milieu du cimetière Saint-Véran d'Avignon. L'élu du quartier attend Mireille Mathieu, gloire locale et coupe au bol internationale, sur le point d'enterrer sa mère. Ces instants où «il fait le job» (mains à serrer, bises à claquer) lui permettent de faire une pause, loin du bouillonnement des réseaux sociaux et des tables rondes. L'autre job d'El Khatmi, c'est d'être un symbole. Là-dessus, tout le monde est d'accord. De quoi exactement, ça dépend des camps. De la méritocratie républicaine, d'une laïcité «résistante» pour les uns. D'un rastignacisme pyromane et irresponsable pour les autres, partisans d'une approche des cultes plus accommodante. Les premiers en ont fait la mascotte du «Printemps républicain», collectif en croisade contre les «islamo-gauchistes». Les seconds en parlent en off, dans les arcanes de la machine solférinienne. Le député vallsiste Philippe Doucet résume : «Amine, c'est le symbole des divisions de la gauche, écartelée entre une approche universaliste dure et un syndrome communautariste.»

Jusqu'il y a peu, le nom d'Amine El Khatmi, 28 ans, adjoint à la maire d'Avignon et membre du conseil national du PS, n'avait aucune résonance. Comme tant d'autres ambitieux, il a le tweet épidermique et lyrico-républicain. C'est l'un d'eux, où il se dit «affligé» par les piques de l'enseignante plus ou moins militante Wiam Berhouma contre Alain Finkielkraut dans l'émission Des paroles et des actes, qui lance la machine. En ligne, les insultes fusent : «Traître», «harki», «Arabe de service», etc. Amine El Khatmi refuse de baisser la tête, traite l'activiste Sihame Assbague d'«escroquerie intellectuelle» et s'attire les foudres de la «muslimsphere». Un compte pro-jihad publie l'adresse de sa mère, il porte plainte. Les fachos envoient des messages de soutien. Najat Vallaud-Belkacem est la seule ministre à dénoncer «les menaces et le harcèlement» qui le visent. Solférino dégaine son communiqué le plus tard possible, façon cavalerie dans Lucky Luke. Après le martyre, la sanctification laïcarde. Marianne voit en lui un «résistant», le Monde lui consacre une pleine page titrée «Le "collabeur" de la République». Depuis, l'Avignonnais attise le feu, quand il ne fonce pas dans le brasier. En 140 caractères, il fustige une élue LR photographiée avec son voile sur le site de la mairie d'Argenteuil, soutient Laurence Rossignol «sur le fond», surréagit aux faits divers, se désole que la laïcité soit «taboue au PS». Musulman et plus Charlie que les charlies : l'offense au carré pour ses adversaires. Lui assume son goût du combat, persuadé, comme Manuel Valls, que les «identitaires et communautaristes» ont pris l'ascendant, et que la laïcité sera l'enjeu dominant de la présidentielle. «C'est au-dessus de l'économie, dit-il. Sur le droit du travail, on peut toujours faire des compromis. Pas sur la République.» Pour les universalistes, le Franco-Marocain est une aubaine, preuve sur pattes qu'on peut tancer du salafiste sans être raciste. Au lancement du «Printemps républicain», il explose l'applaudimètre. En tant que «musulman pratiquant» (il jeûne pendant le ramadan), il veut limiter la pratique de la foi à la sphère privée. «Dans la sphère publique, je ne reconnais que la République» - c'est son slogan. Il est plus flou sur sa traduction concrète. Il est contre l'interdiction du voile à l'université et pour les mères en sorties scolaires. Mais réclame une loi qui interdit aux élus d'arborer des signes religieux. Sa mère porte le hijab depuis quelques années, il n'y voit aucun problème, mais refuse pour lui-même «l'assignation à résidence identitaire».

Né dans le quartier populaire de la Reine-Jeanne, il en est désormais l'élu. Une cité à un quart d'heure à pied du centre-ville, avec des barres de cinq étages, estampillée enclave salafiste par Paris Match - une affabulation, selon lui. Il nous montre des cerisiers, qu'il a fait planter, les balcons lépreux à retaper, l'épicerie sociale. Gamin, il n'était pas du genre à tenir les murs, plutôt à rester dans le salon familial devant les questions au gouvernement sur France 3 ou à faire crisser l'archet de son violon. Il a fait le conservatoire et la maîtrise de l'Opéra d'Avignon avec les enfants de bourgeois. Fils unique, ses parents insistaient pour qu'il sorte le plus possible du quartier. Son père est arrivé du Maroc dans les années 70. Routier puis ouvrier dans le BTP, il part refaire sa vie au bled quand son fils atteint la majorité. Venue de Casablanca, sa mère est femme de ménage, naturalisée en 2012. «La première fois qu'elle a voté, c'était pour moi, aux municipales», dit-il en souriant, pas favorable pour autant au droit de vote des étrangers, préférant un accès simplifié à la naturalisation. C'est, selon sa légende personnelle, la fermeture du centre social du quartier par la mairie RPR pendant ses années collège qui déclenche sa vocation. «Mon père conduisait le bus qui nous emmenait en vacances. C'est là que j'ai compris que la politique avait un effet direct sur la vie des gens.»

Avril 2002, Le Pen au second tour, deuxième choc et premiers frissons oratoires dans les manifs. Encarté à 17 ans, court passage au Mouvement des jeunes socialistes : «Pas pour rien que Mitterrand appelait ça l'école du vice…» Arnaud Montebourg le repère dans un meeting en 2006. Caution jeune de la soirée, il fait un speech contre le CPE. «Toi, tu viens avec nous !» lui annonce Arnaud Montebourg, alors allié à Ségolène Royal. Il plaque sa licence de droit public et intègre la «ségosphère» de Thomas Hollande. Son dévouement hyperactif lui vaut d'être le héros de Ségolène, Maman et moi, épisode moqueur de l'émission Strip-Tease.Il suit Royal jusqu'à l'humiliation de La Rochelle en 2012. «Mandela disait : "Je ne perds jamais. Soit je gagne, soit j'apprends." Avec elle, j'ai beaucoup appris», rigole-t-il. Jeune vieux assumé, il vénère Mendès France, Barbara et Tchaïkovski. Célibataire («la politique, c'est un engagement prenant»), il perçoit 1 300 euros d'indemnités par mois. Il n'en dira pas plus, sauf qu'il améliore l'ordinaire avec quelques piges de juriste.«Viscéralement social-démocrate, pas révolutionnaire au poing levé», dixit Anne-Yvonne Le Dain, députée dont il fut l'attaché parlementaire, Amine El Khatmi aurait pu rêver d'un parcours lisse à la Najat Vallaud-Belkacem, quand identité et religion n'étaient pas des sujets si explosifs. Yann Galut prédit «un grand avenir politique à cet orateur né». Françoise Degois, ex-conseillère de Ségolène Royal, met un bémol : «Hélas, la tectonique des plaques au PS ne lui est pas favorable.» Il y a peu, le New York Times a appelé. Il répond à tous les médias, y compris aux réacs de Causeur («c'est pas Minute non plus !» plaide-t-il). Tous, sauf Mediapart : «Plenel s'est trop fourvoyé.» Il liste le culot comme première qualité et principal défaut. «Il est sincère et il est ambitieux : les deux ne s'annulent pas, philosophe Degois. Opportuniste dans le sens où il saisit l'opportunité dans le débat. Il fait de la politique, tout simplement.»

En cinq dates

24 décembre 1987 Naissance à Avignon

Janvier 2004 Adhésion au PS

2006-2007 Membre de la «ségosphère»

2014 Elu adjoint à la maire d'Avignon

20 mars 2016 Cofondateur du «Printemps républicain»

Photo Laurent Troude

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