10 idées et auteur-e-s à suivre après le World Press Photo 2016

Joel Ronez
17 min readMay 4, 2016

J’ai eu l’honneur de faire partie du jury multimédia du prestigieux prix remis le 24 avril dernier à Amsterdam. L’occasion de vérifier qu’à l’ère d’Instagram, on a toujours besoin de ce bon vieux métier de photographe, surtout pour faire des films. Mais qu’on a aussi besoin de producteurs pour en tirer le meilleur parti.

La photo World Press de chaque année, au siège du World Press Photo à Amsterdam. La salle du jury est derrière, et chaque membre du jury passe devant ces cadres, signés par leur auteur (joel ronez / 20 avril 2016)

1- Le lauréat du prix photo depuis 1955 est souvent un homme européen photographe de guerre, mais le concours ne se résume pas à ça

Oui, les photos et reportages de conflits sont souvent primés. Ces exploits de journalisme, dont ses auteurs passent à la postérité pour avoir fait un travail dans des conditions difficiles, dans des endroits nécessaires, et souvent au prix de leur intégrité physique et parfois mentale sont l’honneur de ce métier.

La photo de l’année 2016, de Warren Richardson, attendant d’être signée et accrochée. (joel ronez / 20 avril 2016)

Le mur des lauréats affiché au siège de l’association World Press Photo raconte autant l’âge d’or d’un métier que la fascination du monde pour le morbide des guerres et des famines. Difficile de dire si les martyres à l’image qui composent souvent la photo de l’année ont éveillé le monde sur leur condition. Mais sans ces images, les morts, les bombardés et les noyés seraient silencieux et invisibles, et on ne peut pas dire que cela soit préférable.

La photo de l’année 2016 de Warren Richardson ne convaincra pas les gouvernements européens à enfin comprendre, elle ne les culpabilisera pas, mais elle sera aussi pour la postérité le reflet de leur incurie.

A suivre sur son compte Twitter, la longue marche de l’auteur venu chercher son prix à pied

Emu et émouvant lors de la remise de son prix, le photographe ne déclarait qu’une chose : vouloir retourner auprès de ceux qu’il avait pris en photo, et qu’il avait quitté le 5 mars pour entamer un périple à pied depuis la Hongrie pour venir chercher son prix.

Chen Jie (Chine), 3ème prix General News / singles, mis en scène dans l’exposition des lauréats à la Niewe Kerk (Amsterdam) / joel ronez — 23 avril 2016

La liste des lauréats ce cette année est disponible ici, je vous encourage à la consulter, et pour les patrons de rédactions ou médias disposant encore d’un budget photo, à chercher des nouveaux talents auprès de qui se fournir.

Je vais faire pour ma part, ci-dessous, la liste des sujets et auteur-e-s qui m’ont marqué, sans forcément de liens avec les conflits armés, et qui n’en sont pas moins importants.

2- Le monde se divise en deux catégories : les américains qui savent raconter des histoires et les européens qui savent être créatifs

Cette distinction lapidaire mais pas si inexacte s’illustre très bien avec les lauréats de la sélection multimédia Long form (films linéaires de 10 à 30 mn).

Distingué à juste titre, The Surrender de Stephen Maing raconte en 23 minutes intenses l’histoire terrible de Stephen Kim, employé du département d’état américain. Contraint de plaider coupable d’accusations graves d’espionnage, il s’est laissé aller à des conversations idéalistes avec un journaliste pas si innocent, et doit en payer le prix. On le suit pendant les semaines qui le séparent de la date fatidique de son entrée à la maison d’arrêt. Toute l’histoire dramatique d’un immigré coréen arrivé enfant chétif, parvenu au faîte de la réussite, et qui voit se consumer sa vie et ses idéaux dans une implacable chronologie froide. Le dernier plan, dans le crépuscule, est poignant.

Ce film a un auteur, il a un personne, il a une histoire. Il ne viendrait à l’idée de personne de s’arrêter en cours de visionnage, tant on est happé. Mais plus que tout, le film a une productrice, et pas n’importe laquelle : Laura Poitras, oscarisée cette année pour Citizenfour. Si le film est si abouti, c’est qu’il est un tout. Pour le livrer, le rôle d’un producteur est de maîtriser les règles de l’industrie pour faire de l’intention une oeuvre.

C’est peut-être ce qui a manqué à Break In, autre grosse sensation de cette sélection Long Form (trailer ci-dessous, codes de visionnage en MP), arrivé 2ème.

Trailer de Break In, de Mikel Aristregi et Jos Bautista (codes de visionnage en MP)

Le film des espagnols Mikel Aristregi (réalisation) et José Bautista (montage, musique originale) est étourdissant. S’appuyant sur un travail d’enquête, à la rencontre des enfants des rues de Phnom Penh sur plusieurs années, le duo arrive à tisser un récit sur le fil, en prenant des risques narratifs inouïs. Avec une grande dextérité, ils mettent à profit leur connaissance du terrain et des personnages, leurs archives photographiques et une superbe inventivité en terme de montage, d’image et de prise de vue. Le film ouvre beaucoup de portes, trop peut-être, et l’on se prend à imaginer quel résultat aurait pu être atteint avec l’accompagnement salutaire d’un producteur pour aider les auteurs à se contraindre .

Depuis plusieurs années que je participe à des productions internationales en documentaire interactif, depuis plusieurs mois que je travaille à la constitution d’un réseau de podcast, ou depuis toujours comme spectateur de cinema, je suis souvent frappé par cette efficacité américaine qu’on pourrait résumer ainsi : une histoire (donc une bonne raison de rester jusqu’au bout), un personnage (fil rouge de l’histoire, guide du récit, symbolique et puissant), une situation (quelque chose, quelque part, qui suscite un intérêt).

The Surrender et Break In illustrent bien cette opposition de style entre l’Amérique et l’Europe : la maîtrise du storytelling Vs la créativité débridée. Dans les discussions avec mes collègues du jury (tous américains), on sentait leur admiration pour l’inspiration européenne, là où moi, le seul français, j’enviais leur sens aigu de l’efficacité. Ne reste plus qu’à les marier.

3- Where are the french ?*

Le documentaire en ligne est une niche, certes, mais une niche mondiale”, rétorquait aux sceptiques la productrice Margaux Missika (Upian) lors d’une table ronde à la SCAM le 14 avril 2016. Et elle sait de quoi elle parle : depuis plusieurs années, les documentaires interactifs qu’elle a produit ont reçu le soutien de multiples diffuseurs et organismes internationaux, dont la Bayerische Rundfunk, l’Office National du Film du Canada, Al-Jazeera ou Tribeca Film Institute à New York. Fondé et dirigé par Alexandre Brachet, Upian travaille avec des auteurs partout dans le monde, et ses programmes sont vus et primés partout (Do Not Track a reçu 17 récompenses dont rien moins que le Peabody Award aux Etats-Unis, et Upian a déjà 2 World Press Photo multimédia dans la musette). Si le réseau est mondial, les oeuvres doivent l’être aussi.

Après une dizaine d’années de productions multimédia, chaque fois qu’on quitte la France on peut constater à quel point les professionnels du secteur nous envient. Brian Storm qui était dans le jury avec moi, et qui a créé Mediastorm il y a une dizaine d’année, hallucinait quand je lui donnait les chiffres des budgets consacrés à la production interactive en France. Arte France, France Télévisions nouvelles écritures, France Média Monde, le CNC, la SCAM, les fonds de soutien régionaux… Il est existe en France (et au Canada) un écosystème dédié à la production numérique et c’est tant mieux. Il ne s’agit pas seulement d’une question d’innovation, mais aussi d’exception culturelle ou de diplomatie d’influence (soft power).

Le secteur de la production multimédia a en 10 ans passé pas mal de frontières, et ce à la force du poignet. Outre Upian, on peut citer AGAT Films (producteur de Into Darkness, sequel VR de Note On Blindness), Red Corner (producteur de Sens, future sensation VR), dont la production est même remarquée par Wired. Les oeuvres qu’ils portent sont nées de leur volonté farouche, et représentent des tours de force dans l’économie naissante de la production numérique.

Mais ces pionniers sont peut-être l’arbre qui cache la forêt : derrière ces éclaireurs, peu de troupes en soutien. Pour le journalisme photo et ses dérivés multimédia hexagonaux, c’était moins triomphant, cette année à Amsterdam. Pendant les Award Days, j’étais le seul expert français à intervenir dans une conférence (The State Of Multimedia, vendredi 22 avril).

De g à dr : Corentin Fohlen (2ème prix Spot News), Joël Ronez, Wes Lindamood (senior interaction designer à la NPR)

Parmi la cinquantaine de reporters photographes primés lors de la cérémonie du samedi 24 avril 2016, une seul français : Corentin Fohlen (2ème prix Spot News, pour une photo célèbre lors de la marche post-Charlie), et un seul l’an dernier, Jérôme Sessini. L’occasion de signaler Corentin est aussi l’auteur d’une série de portraits pour la série radiophonique A ton âge, de Caroline Gillet, une des meilleurs séries documentaires de la radio française (malheureusement sous exposée sur France Inter le samedi à l’aube mais disponible en podcast toute l’année ici et sur Facebook). Caroline s’intéresse aux personnages, aux histoires. Elle n’hésite pas à parler d’elle, et son rapport au sujet. Sa façon de travailler est en ce sens d’avantage “américaine” (voir plus haut), plus contemporaine, vivante et inspirante.

On peut chercher plusieurs raisons à cela, et la mauvaise maîtrise de la langue anglaise dans les médias français sera surement la plus évidente. Mais il faut surement chercher ailleurs : un marché domestique de taille critique importante (contrairement aux scandinaves par exemple) qui ne pousse pas forcément à s’exporter, une culture du territoire ancrée chez des médias issus de la presse écrite qui n’ont pas la tradition de la production internationale (contrairement à la télévision), des entrepreneurs de nouveaux médias peut-être pas assez ambitieux…

Peut-être faudrait-il sur-pondérer les aides publiques (CNC) autour des projets éditoriaux qui s’exportent, modifier les critères d’éligibilité pour élargir à d’autres formes que l’audiovisuel (texte, son), et mettre fin au triptyque auteur/producteur/diffuseur pour permettre l’auto-diffusion sur les plate-formes de réseaux sociaux, et des projets plus légers à cycles plus court... Un combat à mener pour PXN, présidée par Margaux Missika ?

*Phrase mythique prononcée le 3 aout 1991 à Monaco par Carl Lewis, à l’issue du relais 4X100 mètres où l’équipe américaine (Burell, Marsh, Heard, Lewis) remportait la course et le record du monde devant les français précédents recordmen qui ne purent même pas finir le relais

4 — Le New York Time, what a journal !

Oui, c’est vrai, à force de les citer en exemple, cela discrédite la notion même d’exemple. Un peu comme dans l’audiovisuel, on cite la BBC à tout bout de champ. Mais c’est vrai que dans les projets nominés en multimédia on sentait qu’ils volaient un peu au dessus des autres…

Pour avoir passé en revue plus d’une quinzaine de projet dans la première partie de la sélection qui avait lieu en ligne au mois de mars, on ne peut qu’avouer que la qualité des productions et de l’édition finale est rassérénante quand vous tombez sur un objet qu’ils ont publié.

Le gagnant de la catégorie Innovative storytelling dont j’avais la charge est The Displaced, de Ben C. Solomon, un film de 11 minutes en VR, diffusé sur la plate-forme NYTVR.

Les membres du jury Innovative Storytelling Loc Dao (NFB / Vancouver et Vincent Morisset / Montréal) à propos de The Displaced

Il mêle trois personnages, trois enfants dans les ruines de la guerre ou partant tôt à l’aube aider leurs parents pour le travail des champs en lisière de camps de réfugiés. L’utilisation de la réalité virtuelle est justifiée par l’intention louable de partager le même référentiel physique que les sujets filmés. La prise de vue est équilibrée, quoique le montage soit un peu rapide. La plupart des prises du vues sont statiques, ce que personnellement je pense préférable dans la phase actuelle de la VR pour nous laisser le loisir de s’immerger dans le plan, même si l’intégration des sous titres incrustés dans l’image au lieu d’être en sur-impression dynamique est un choix discutable (et regretté par le réalisateur lors de notre entretien d’après remise des prix). Les travelling sont suffisamment stables pour éviter le motion sickness. La musique est simple et fluide pour exprimer la gravité sans être omniprésente ou larmoyante (et surtout ne contient pas de piano, qui fait de gros dégats dans les BO). Et un plan de largage de nourriture par avion dans un camp de réfugiés est proprement saisissant.

A travers ce prix, était aussi salué le tour de force du New York Times, qui a lancé cette année sa plate forme de diffusion de films VR, distribué 1 million de Google Cardboard personnalisé en un week-end, et réoriente une partie de ses investissements autour de ce format. Contrairement à beaucoup de médias de presse écrite qui se lancent dans la video sans réelle intention éditoriale, principalement pour servir de support à des pre-rolls, le NYT a compris que puisque la vidéo coûtait cher, autant produire des produits prestigieux (co-productions avec la NASA, série pour accompagner les photos de sites naturels d’exceptions pour le magazine Voyage de fin d’année etc.).

A titre personnel, je ne crois pas que la VR sera aussi importante qu’on le croit. Il y a fort à parier qu’après une période de découverte, le public rangera ses lunettes en carton sur l’étagère, et on reviendra tranquillement aux vidéos 16/9ème facilement consultables, partageables en réception collective. Mais la VR persistera, et restera un produit d’image, rare et différenciant, et qui demandera une approche et une narration spécifique, et aura un public. Dans la phase de propagation, le NYT a compris qu’il valait mieux être pionnier, tout en maîtrisant sa montée en charge au cas où le repli s’amorce…

Arrivé deuxième dans la catégorie Innovative Storytelling, Greenland Is Melting Away, de Josh Hanner et Coral Davenport toujours pour le New York Times est pour moi peut-être l’exemple inspirant pour le secteur de la presse écrite en ligne.

Loc Dao et Vincent Morisset (jury Innoative Storytelling) à propos du projet Greenland Is Melting Away

Il s’agit d’abord d’une histoire d’exploration, une aventure scientifique exceptionnelle, où une équipes de chercheurs va mesurer la fonte de la calotte glaciaire du Groenland, dans des conditions extrêmes. Il y a à la base un article de très bonne facture, encadré en tête et pied de page de 2 vidéos silencieuses et majestueuses réalisées par Josh Haner au moyen de drones (lire à ce sujet le making off fascinant du reportage). Au service du récit, pour expliquer le concept, faire toucher du doigt l’échelle de grandeur, et fournir des éléments de comparaison, l’article est augmenté de deux infographies en mode Zoom In / Zoom Out, très bien équilibrées. L’ensemble est accessible simplement, en une seule page où pas un pixel n’est de travers.

Peu de journaux au monde ne savent livrer une telle qualité, ni se permettre de tels investissements (Josh est photographe salarié du journal à plein temps, et ne travaille que sur des projets de long terme liés au réchauffement climatique, c’est dire qu’ils sont dans la science fiction de la presse écrite…), mais tous peuvent y trouver de l’inspiration.

Je conseille aussi A New Whitney, le projet comparable autour de l’inauguration du nouveau musée Whitney à New York, qui lui intègre directement dans l’article (une critique d’architecture) des rendus en 3D très courts et fluides, et des boucles vidéos.

5- Vive les projets indépendants

Il n’est pas nécessaire de faire partie uniquement des grosses écuries pour produire le meilleur. Arrêtons-nous un instant sur le travail de Marc Ellison, photographe écossais, dont le travail documentaire Graphic Memories était nominé dans la catégorie Innovative Storytelling.

Vidéo extraite de Graphic Memories, de Marc Ellison et Christian Mafigiri

Marc a travaillé avec le dessinateur Christian Mafigiri pour restituer les témoignages de 4 femmes enlevées par la guérilla en Ouganda, puis retenues prisonnières dans la jungle pendant des années et rendues à la vie de village avec leurs blessures indélébiles. Certaines histoires sont terribles (ne cliquez sur la vidéo ci-dessus que si vous êtes en forme, elle raconte comment Christine a du cuire son mari assassiné par les rebelles, puis le manger). Pour évoquer ce qui ne peut pas être montré, les auteurs ont eu recours à l’illustration, qui s’anime grâce au scroll.

Marc Ellison a aussi récemment publié Safe House, un autre reportage graphique mêlant photo, vidéo et bande dessinée pour le Toronto Star, sur la question des mutilations génitales en Tanzanie, que je recommande vivement, et qui mériterait un éditeur français type XXI.

Une image tirée de Safe House, de Marc Ellison et David Lafrance pour le Toronto Star

6- La photo, ça sert aussi à faire des films courts

La catégorie Short Form proposait 3 nominés très différents. Magnus Wennman (par ailleurs primé dans le concours photo aussi pour Where the children sleeps, une série sur les enfants réfugiés) est le gagnant indiscutable, avec Fatima’s Drawing.

Fatima’s Drawing, de Magnus Wennman (1er prix multimédia Short Form)

Ce film très beau met en scène une fillette syrienne réfugiée en Suède, à travers ses mots et ses dessins qui s’animent ensuite pour évoquer des souvenirs terribles ou un pays lointain et disparu. On peut regretter peut-être une esthétique trop soignée, voire publicitaire, mais on ne peut rester insensible à cette histoire.

J’ai un faible pour un autre film court nominé, Mei, de la jeune norvégienne Katinka Hustad (née en 1991) dont c’était un film de fin d’étude.

Ce film touchant décrit la vie d’une collégienne chinoise, debout à l’aube pour étudier, et rêvant de chanson pop pendant qu’elle grandit, en ne retournant voir ses parents qu’une fois par an. Certains plans sont vraiment ceux d’une photographe d’exception : cadrage, composition, équilibre, mise au point. Il aura manqué une histoire un peu plus dense pour rafler le premier prix, mais son auteur est à suivre. Allez faire un tour sur le site de Katinka, apparemment elle gagne plein de prix dans son pays, et même si c’est en norvégien, ses films émeuvent et restent accessible, c’est dire (comme celui sur un jeune handicapé en équithérapie)…

7- Les radios aussi publient de la bonne photo (et les portfolios bien fait peuvent aussi être de bonnes idées)

Je me rappelle qu’en 2012, lorsque nous avions produit le projet Clichés de Campagne pour France Inter lors des élections présidentielles, Guillaume Binet de l’agence MYOP était revenu un peu dépité de son premier reportage où ses collègues photojournalistes s’étaient foutus de son badge France Inter, tant il apparaissait incongru qu’une radio puisse faire sérieusement de la photo….

L’époque a bien changé, et aujourd’hui on admet que tout média ne peut se cantonner à son format de prédilection d’origine, et a des choses à proposer dans les écritures narratives. La NPR (producteurs de programmes radio américain diffusés en syndication) est une référence dans le monde du podcast, tant elle a contribué à faire naitre des formats narratifs nouveaux et à tracer de nouvelles perspectives en matière d’audio. Mais elle était aussi représentée dans les nominés multimédia du World Press Photo avec Life After Death, de John Poole, reportage photo augmenté de son sur la vie après le passage d’Ebola dans un village du Libéria.

Reportage de John Poole pour la NPR, nominé en Immersive Storytelling

Je suis de ceux qui croient beaucoup à ce format simple, que j’avoue avoir un peu méprisé au début, tant je ne suis pas un passionné du diaporama sonore. Mais lorsque les photos sont le fait de photographes d’exception, qu’elles sont bien éditées et peu nombreuses, sont juste accompagnées d’un texte concis, on peut vraiment proposer une expérience immersive accessible.

Concernant Desperate Crossing, de Paolo Pellegrin pour Medecins Sans Frontières, gagnant de la sélection “Immersive Storytelling” (encore une production NYT…), on ne peut pas à proprement parler de “diaporama sonore”, car l’intégration graphique est plus avancée. Mais l’équilibre entre texte et image est bon : on a le loisir de se plonger dans les images, et le texte vient utilement compléter le récit sans le surcharger.

J’en ai profité pour revoir d’autres projets comparables. En sélection à Doclab à Amsterdam l’hiver dernier, Imperial Courts documentaire web américain de Dana Lixemberg souffre peut-être d’un trop plein de photos, mais recèle dans la section “stories” de beaux moments d’histoires.

Darcy Padilla pour France Info (2012)

Enfin, même si les sites ont souffert d’un manque de maintenance concernant les évolutions des API Twitter, revoir le travail en 2012 de Guillaume Binet, Ulrich Lebeuf et Lionel Charrier dans Clichés de Campagne pour France Inter et de Darcy Padilla (lauréate World Press Photo 2015) dans Vote In Usa pour France Info, où l’on avait confrontés les photos aux sélections de tweets et Instagram, et se dire que c’est beau les bons photographes…

8- Le participatif et la mémoire font bon ménage

Lors de ma présentation sur les dernières idées et formats en matière de multimédia et photo, j’ai cité un des projets documentaires les plus emblématiques de l’année à savoir le #MadeleineProject, de Clara Beaudoux. J’aime ce projet car il est simple, limpide même.

Clara Beaudoux a raconté via Twitter la vie d’une dame décédée à 93 ans à travers ses affaires dans la cave.

Une participante dans la salle m’a alors demandé s’il n’était pas discutable d’exploiter ainsi les archives d’une personne décédée, pour en faire un projet documentaire. Ce point est aussi parfois revenu en marge de la première saison de ce projet, dans les commentaires Twitter que Clara a reçu. Ce qui est étonnant, c’est que la question de la vie privée, de l’accord préalable, ou de l’intimité n’est jamais posée pour des personnes vivantes en situation de détresse ou de précarité, comme les enfants victimes de conflit ou des migrants dans la rue. Comme si le droit à l’intimité n’existait que pour les gens qui n’ont pas d’histoires…

Dans le #MadeleineProject, la réponse est claire : Clara Beaudoux a pris le soin de rencontrer les ayant-droits de Madeleine pour évoquer le projet avec eux, et a reçu leur aval, plutôt bienveillant d’ailleurs, tant il est évident que la démarche est sensible et non avide. Le public ne s’y est pas trompé : la journaliste reçoit des témoignages du monde entier, de petits enfants de dames prénommées Madeleine (c’était aussi le prénom de ma grand-mère…), des généalogistes bénévoles apportent leur concours pour fouiller dans les archives, et des internautes refont même les recettes de gâteaux exhumées par Clara. Ce projet a tellement plu qu’un livre est actuellement sous presse et sortira fin mai 2016.

Ce projet fait écho à un autre : l’exposition consacrée à Mike Disfarmer, photographe américain, qui de 1915 à 1949 a fait des portraits des résidents de Heber Springs, bourgade de l’Arkansas dans sa boutique de photo. Le musée FOAM, partenaire des World Press Photo Award Days, proposait une exposition de 182 tirages jamais exposés jusqu’ici, que l’on pouvait visiter seul avec une bière à la main en marge d’une soirée de photographes (je n’avais pas mon Leica en bandoulière, j’étais un peu en marge de la communauté…).

Détail de l’exposition Disfarmer au musée FOAM d’Amsterdam, 22 avril 2016 / joel ronez

Ce qui m’a le plus frappé, c’est une coupure de journal posée en regard de l’installation, qui reproduisait une rubrique hebdomadaire de l’Arkansas Sun de 1974, “someday my print will come”. Il était demandé aux lecteurs de contacter le journal s’ils avaient des information sur les personnes présentes sur la photo.

A l’époque, le média dominant pour gérer l’interaction avec la communauté de lecteurs était le journal papier. Aujourd’hui, Clara Beaudoux a utilisé Twitter avec son smartphone, depuis sa cave. Belle métaphore d’une époque qui change, où les médias d’hier ne sont plus, et qui signifie la fin d’une époque aussi pour ce métier de photographe.

Someday, my twitt will come, Madeleine…

9- Une photo c’est bien, une série c’est mieux

Pour terminer, dans la catégorie Photo, j’ai été très sensibles aux 3 projets de long terme lauréats, et une série.

3ème prix de la catégorie “Contemporary Issues”, Sara Naomi Lewkowicz a suivi la grossesse de deux femmes mariées ensemble et tombées enceinte en même temps (via deux méthodes différentes) et ayant accouché à 4 jours d’intervalles.

Davide Guttenfelder présente son travail de long terme sur la Corée du Nord aux Award Days le 24 avril 2016

Dans les projets de long terme, David Guttenfelder travaille depuis 10 ans sur la Corée du Nord où il est allé une quarantaine de fois.

Nancy Borowick (deuxième prix Long Term project) présentait une série poignante sur ses parents atteints d’un cancer tous les deux, et choisissant de passer leurs derniers jours avec leurs proches à raconter une nouvelle histoire, plutôt que de se préoccuper de leurs maladie.

Enfin, le premier prix est allé à Mary F. Calvert, fille de militaire, et militante des Droits de l’homme, pour son travail sur les femmes victimes de harcèlement sexuel au sein de l’armée américaine, leur combat et leur séquelles.

EDIT (07/05/2016) : J’ajoute ici une référence indispensable à un reportage d’investigation remarquable de Emilie Kassie et Mariah Blake, Welcome To Beautiful Parkersburg, West Virginia que j’ai oublié lors de la première version de cet article.

Welcome To Beautiful Parkersburg, West Virginia, par Emily Kassie et Mariah Blake

Emily et Mariah ont réalisé une enquête minutieuse sur la pollution causée par une usine de la société Dupont (productrice du Teflon) dans un bourg de Virginie, et les agissements de cette dernière pour masquer pendant des décennies les analyses d’eau impropre à la consommation. L’article en format long est chapitré avec de courtes séquences vidéos, et contient des vidéos pour les témoignages des habitants victimes de pollution. L’accès aux pièces à conviction est aisée, et le choix des documents est précis. Chapeau.

10- A méditer

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Joel Ronez

Digital Media Manufacturer. Hardly non-linear storyteller.