Les travestis de la Ville sainte bravent les ultra-orthodoxes

Une troupe humoristique de drag-queens amateurs se produit dans un bar de Jérusalem où elle parodie sans vergogne l'armée et les prières juives. Reportage.

Source AFP

Le Video, avec sa salle exiguë, est le seul bar gay de la ville trois  fois sainte, à quelques centaines de mètres de l'esplanade des Mosquées,  du Saint-Sépulcre et du mur des Lamentations.
Le Video, avec sa salle exiguë, est le seul bar gay de la ville trois fois sainte, à quelques centaines de mètres de l'esplanade des Mosquées, du Saint-Sépulcre et du mur des Lamentations. © AFP

Temps de lecture : 3 min

Dans l'arrière-cour d'un bar, une troupe inattendue de drag-queens amateurs, perchées sur leurs talons aiguilles et maniant l'outrage dans le micro et le fard à paupières, cingle sur scène les tabous politiques et religieux de la très conservatrice Jérusalem. Tout est permis au sein d'Allah Nash, la troupe dont le nom joue sur l'arabe pour « Dieu » et l'hébreu pour « se travestir » : rire de l'armée israélienne et des Palestiniens, parodier les prières juives, interpréter Barbra Streisand (l'icône juive américaine plébiscitée par la communauté gay) en collant une étoile jaune sur sa robe, railler la sexualité des ultra-orthodoxes...

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L'hôtesse de la soirée, Yossale, repère un spectateur aux airs de gendre idéal. « Il est mignon, lui, du genre qu'on pourrait présenter au rabbin », lance le jeune homme en perruque blonde, à la courte robe scintillante sur des jambes interminables. Le Video, avec sa salle exiguë, est le seul bar gay de la ville trois fois sainte, à quelques centaines de mètres de l'esplanade des Mosquées, du Saint-Sépulcre et du mur des Lamentations. Ils sont une trentaine, des locaux ou des étrangers de passage, à assister au spectacle musical débridé que bricole Allah Nash depuis deux ans, à intervalles variant en fonction des disponibilités et de la motivation des artistes, dans une ville dont l'offre artistique n'est pas réputée pour son anticonformisme.

Chant militaire et fusils en plastique

Ce soir-là, Yossale, Fatma et Super Nova jouent à tour de rôle leurs personnages de mauvaises filles. Elles jurent, crachent, boivent et aguichent le spectateur. Dans un spectacle antérieur, deux drag-queens revêtues de l'uniforme de l'armée israélienne levaient très haut la jambe en cadence et tiraient sur le public avec des fusils en plastique, sur fond de chant militaire en hébreu. « J'aime cet humour très noir, j'aime lire l'effarement sur le visage du public qui se demande jusqu'où on va aller, j'aime introduire cette tension politique et religieuse sur scène. On doit en faire quelque chose de drôle, on n'a pas le choix, soit on en rit, soit on en pleure », explique Michaël, alias Fatma, un apprenti comédien de 23 ans tout en rondeurs.

« Je suis moi aussi un extrémiste dans la ville des extrémistes et j'adore plus que tout jouer avec les frontières morales des gens », dit-il. Le jeune Yérosolomitain, qui a grandi dans l'une des branches les plus orthodoxes du judaïsme - la branche lituanienne, où les hommes se vêtent d'une toque de fourrure et d'un long kaftan -, ne s'est jamais senti religieux et a l'impression d'avoir été travesti toute sa vie. Michaël et son comparse Yossi, alias Yossale, également né dans une famille orthodoxe, sont sortis de la religion, ont fait leur coming-out et ont coupé les ponts avec une partie de leur famille. Pour la troisième soeur du trio formé ce soir-là, Super Nova, c'est impensable. Sa virile musculature est soulignée par sa robe de soirée moulante. Dans le civil, Super Nova, un Arabe israélien, effectue son service militaire dans une base près de Ramallah en Cisjordanie occupée.

Coups de couteau

Il est tétanisé à l'idée que sa famille ou ses commandants apprennent son homosexualité. Sous son gant de satin, sa bague de fiançailles lui rappelle constamment qu'il est censé se marier sous peu avec une jeune musulmane de sa communauté. Israël est considéré comme un pays pionnier pour la promotion et le respect des droits des homosexuels, notamment en matière d'adoption par des couples de même sexe ou de prévention des discriminations. À Tel-Aviv, la scène homosexuelle est florissante et le gouvernement ne rate pas une occasion de le mettre en avant. Mais à 40 kilomètres de là, à Jérusalem, les homosexuels vivent une autre réalité.

La tradition drag-queen de la Ville sainte a connu ses heures glorieuses dans les années 2000, dans une autre institution gay du centre, le Shoushan. Visé par un incendie criminel en 2005, il a fini par fermer. En juillet 2015, un ultra-orthodoxe s'est rué sur le défilé de la Gay Pride de Jérusalem et a tué une adolescente de 16 ans à coups de couteau. Défiant la menace ou l'incongruité que représente une drag-queen dans les rues de Jérusalem, Yossi a passé un manteau en faux léopard sur sa mini-jupe et est sorti du bar en Yossale après le show. « La pire chose qui puisse m'arriver, c'est de recevoir des avances du chauffeur de taxi », plaisante-t-il.

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Commentaire (1)

  • sergio46

    La prolifération des intégrismes de toutes sortes fait apprécier et bénir ce genre de comportement qui ridiculise tous les excès des ultra-orthodoxes !