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"Avec quelle rage l'anti-gaullisme de gauche et l'anti-gaullisme de droite, les communistes et les vichystes, s'acharnent à propager la légende de la résistance de Londres ! [...] Aux uns comme aux autres, j'oppose la vérité : la France libre fut africaine." Reprenant à son compte le célèbre discours de l'ethnologue Jacques Soustelle, l'historien canadien Eric Jennings entend, dans La France libre fut africaine (Perrin), procéder à un véritable recadrage historique. Car si l'on évoque souvent les fameux tirailleurs d'Afrique occidentale et les troupes maghrébines entrées en guerre à partir de 1943, l'apport de l'AEF et du Cameroun, semble, quant à lui, être tombé aux oubliettes de l'histoire. Or, la France libre était-elle seulement londonienne ? Elle s'étendait, en réalité de la frontière tchado-libyenne au fleuve Congo, rappelle l'auteur.
À l'été 1943, les Forces françaises libres comptent ainsi environ 70 000 âmes : 39 000 citoyens français, et 30 000 coloniaux. Qu'aurait fait le général de Gaulle sans ces vastes étendues de territoire qui lui offraient à la fois souveraineté et légitimité ? Quelle reconnaissance internationale aurait-il eue ? Et comment se serait-il approvisionné en hommes et en matières premières ? Ce sont bel et bien des dizaines de milliers de Tchadiens, Congolais, Camerounais, Centrafricains, Gabonais qui portèrent le fer contre l'Axe dès le début de l'année 1941, alors que la métropole assistait, impuissante, à sa propre agonie. Eric Jennings a mené l'enquête pendant sept ans, aussi bien aux archives nationales du Congo, à Brazzaville, qu'à celles du Cameroun à Yaoundé. À la recherche de témoignages, de chiffres, de registres, qui prouvent à quel point l'Afrique et, à plus forte raison, les Africains furent impliqués dans l'effort de guerre et les batailles victorieuses de la France libre. Le résultat démonte le mythe d'une résistance essentiellement londonienne et métropolitaine. Passionnant.
Extraits
Du jour au lendemain, Brazzaville est consommée par une frénésie martiale. Trois mille Africains et Africaines sont embauchés puis formés au service de l'intendance pour confectionner des uniformes destinés aux bataillons de marche en voie de constitution. Ils travaillent dans de vastes usines de 4 000 m2, montées de toutes pièces - "partant de zéro" en 1940. On y taille des boutons de bois, on y fabrique des tuniques, ceinturons, pantalons, bref, des uniformes complets, mais aussi des tentes, des bâches, et tout le nécessaire militaire. Un journaliste se surprend à remarquer que "le rendement des ouvriers indigènes parvient, pour ceux qui sont suffisamment entraînés, à égaler celui d'un ouvrier moyen en Europe". Non loin de là, une distillerie transforme le vin avarié dont la colonie regorge, en alcool médical, dont elle manque. L'Afrique française libre produit désormais - mais sous le signe de la débrouillardise - des matières de guerre essentielles qui, par le passé, venaient de métropole.