« Non au harcèlement » : choses vues ou entendues au QG de Google

« Non au harcèlement » : choses vues ou entendues au QG de Google

Ce lundi matin, dix établissements ont été récompensés pour leur vidéo ou leur affiche contre le harcèlement à l’école, en présence notamment de la ministre de l’Education et de la youtubeuse EnjoyPhoenix.

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Dans la cour de l’hôtel particulier où se trouve le siège de Google France, dans le IXe arrondissement de Paris, le dispositif de sécurité ressemblerait presque à celui d’une visite officielle du président Obama.

Impossible d’y pénétrer sans son badge. « Vous enlevez vos sacs, un monsieur va les vérifier », clame une prof à ses élèves. Tête hébétée d’un garçon au troisième rang, qui s’exécute en déballant son sac à dos :

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« Pourquoi ? Je n’ai que des chips ! »

Ce lundi matin, des dizaines d’élèves étaient attendus au QG de Google pour la cérémonie de remise des prix de la troisième édition du concours « Non au harcèlement ». Le 29 janvier dernier, 608 écoles primaires, collèges et lycées ont rendu des affiches ou des vidéos traitant du harcèlement et du cyberharcèlement à l’école. Dix ont été récompensés en présence de deux ministres et d’une youtubeuse star, Marie Lopez (alias EnjoyPhoenix). Récit de choses vues ou entendues sur place.

1 « Six conseils de discipline pour un bonnet ? »

 

Les onze élèves de sixième et cinquième du club vidéo du collège Jean-Jaurès de Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine) sont partis d’une « vraie histoire » : un fait de harcèlement qui s’est déroulé il y a quelques années dans leur établissement. « C’est une fille qui avait un bonnet orange fluo », entame l’une des collégiennes.

« A chaque fois qu’elle le mettait, les gens lui piquaient et couraient avec. On a reconstitué et modifié l’histoire. »

« Un bonnet orange, sérieux ? C’est pas possible », entend-on dans la vidéo. Un élève a prêté le sien pour les besoins du tournage.

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« Il y a eu six conseils de discipline », se souvient Flavie Girbal, prof de français et encadrante du projet vidéo.

« Au début, on avait du mal à adhérer : “Six conseils de classe pour un bonnet ?” En tant que profs, cela a été formateur : on a compris qu’il s’agissait de harcèlement. »

2 « Porosité entre l’école et Internet »

 

Quand le 5 novembre dernier, le numéro vert « Non au harcèlement » est passé à quatre chiffres (3020) lors de la première journée nationale contre le harcèlement, « les téléphones ont explosé dans la plateforme d’écoute », rapporte la ministre de l’Education. A l’autre bout du fil, beaucoup d’enfants. Najat Vallaud-Belkacem :

« Quand on en parle, on aide les victimes à briser le silence autour du harcèlement. »

Dans son discours, la ministre a aussi évoqué la « porosité entre l’école et Internet » :

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« Aujourd’hui, on le voit, le climat scolaire est directement marqué par ce qui se passe sur les réseaux sociaux. Les mots, les images laissés sur la Toile ne sont pas que virtuels. C’est dans la réalité qu’ils blessent, offensent [...] »

La seconde journée de mobilisation contre le harcèlement, le 3 novembre prochain, sera dédiée aux questions de cyberharcèlement et de cyberviolence.

« Internet, c’est aussi une chance et une ressource dans la lutte contre le harcèlement, une aide précieuse quand il offre à chacune et à chacun la possibilité d’échanger sur le sujet, de s’informer, de se soutenir. Le réseau social peut aussi protéger et les pairs jouent dans ce domaine un rôle essentiel. »

Qu’avez-vous pensé du discours de la ministre de l’Education ? « Long mais très carré et constructif », a qualifié en aparté un groupe de sixièmes en pleine pause déjeuner.

3 « Le harceleur aussi a un problème »

 

Avant d’avoir réalisé leur propre film, les élèves de quatrième et troisième du collège Fromentin à La Rochelle (Charente-Maritime) ont regardé les films « Respire », « La Vague », « Entre les murs », ou encore le clip officiel contre le harcèlement réalisé par Mélissa Theuriau, critiqué à sa sortie par des profs.

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Les élèves ont trouvé que globalement, la représentation du harcèlement était plutôt « clichée » à l’écran – les lancers de boulettes de papier, les scènes tournées dans la cour ou à l’entrée du collège, le fait de se concentrer sur les discriminations physiques...

« On est plus allés dans le mental, on voulait se démarquer. »

Dans la vidéo, on voit l’élève harcelé, isolé et brimé, observer sa propre situation avant que l’ensemble du collège ne forme un « non » humain dans la cour.

« Ça m’a beaucoup apporté de me mettre dans la peau du harceleur pour cette vidéo », dit l’une des élèves.

« On se rend compte que lui aussi a un problème, c’est une manière d’extérioriser son mal-être. »

4 « J’ai plusieurs fois porté plainte pour cyberharcèlement »

 

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L'affiche du collge Frdric Mistral (acadmie de Grenoble)
L’affiche du collège Frédéric Mistral (académie de Grenoble)

Sur l’affiche, une élève se bouche les oreilles, une autre se cache les yeux et la troisième plaque ses deux mains sur sa bouche. En arrière plan, on distingue deux élèves : l’un semble agresser l’autre.

Quelques élèves du collège Frédéric Mistral ont fait le déplacement de Saint-Maurice-L’Exil (Isère) jusqu’à Paris pour recevoir le prix récompensant leur affiche. Parmi eux Nickolas, qui en CE2-CM1, a été victime de cyberharcèlement :

« Ils créaient des groupes Facebook “Nickolas, danseuse étoile...”, “Contre Nickolas”. Ça a duré deux ans. Quand une page était supprimée, ils en lançaient une autre. On était un groupe de trois à se faire harceler, par toute l’école ou presque. J’en ai d’abord parlé à mes parents, puis aux profs. Je suis allé à la police plusieurs fois pour porter plainte pour cyberharcèlement. Mais vu que ce n’était jamais les mêmes personnes, ça continuait. Ça s’est arrêté quand j’ai fini par être davantage intégré, à l’école. Je me suis senti beaucoup mieux, mes notes sont remontées. J’étais dans une phase de dépression. »

A ses côtés, Klerine, en quatrième au collège Frédéric Mistral. Pendant quatre années, elle a été la cible de « harcèlement physique, moral et d’insultes ».

« J’en ai parlé à mes parents. La CPE a réagi, même si la plupart des adultes n’ont pas réagi aux début. J’ai dû quand même changer de collège. »

Pareil pour Kevin, qui mime une bouche cousue en s’exprimant : « J’en parlais aux profs, mais rien. » Il y a quelques mois, il a réussi à faire en sorte que le harcèlement que subissait l’une de ses copines s’arrête, en en parlant à un adulte, explique le prof qui les accompagne.

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5Cris et selfies pour EnjoyPhoenix

 

« Je crois que je vais m’évanouir », s’exclame une jeune fille en apercevant EnjoyPhoenix de dos, coiffée d’un chapeau et braquée près du buffet par plusieurs caméras et objectifs. En octobre 2014, la youtubeuse avait publié sur sa chaîne une vidéo où elle racontait avoir été victime au lycée de harcèlement. Ce lundi, sur scène, elle a remis des prix aux classes finalistes et a provoqué par la même occasion quelques cris d’excitation.

EnjoyPhoenix lors de la crmonie de remise des prix contre le harclement, le 9 mai 2016
EnjoyPhoenix lors de la cérémonie de remise des prix contre le harcèlement, le 9 mai 2016 - Emilie Brouze/Rue89

La ministre de l’Education l’a remerciée en public :

« Elle est vraiment formidable, formidablement engagée. [...] Elle vous a sans doute dit que le premier commentaire que recueille une youtubeuse, quel que soit d’ailleurs le sujet dont elle parle, c’est évidemment sur son physique. Elle vous a sans doute dit combien les injures sexistes, homophobes, sont malheureusement le lieu commun des sections commentaires et des forums qui confondent souvent liberté d’expression avec liberté d’agression. »
Un autographe de la ministre et de la Youtubeuse
Un autographe de la ministre et de la Youtubeuse - E.B.

A la fin des discours, un attroupement d’élèves patientent pour obtenir un selfie et un autographe. Alors qu’elle répond aux questions de M6, un groupe de filles est aux aguets, chacune serrant dans la main un petit carré de papier quadrillé, découpé en prévision de la rencontre.

En regardant les journalistes s’attrouper autour d’elle, Lisa, en sixième, me glisse :

« Quelque part, elle se fait harceler : elle se fait toujours prendre en photo. »
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