Cet article vous est offert
Pour lire gratuitement cet article réservé aux abonnés, connectez-vous
Vous n'êtes pas inscrit sur Le Monde ?

Mohamed, l’ouvrier qui aurait voulu être prof de maths

Mohamed Bourhail, 53 ans, travaille dans une PME. Dans la série documentaire « Les Français », sur France 2, il raconte ses espoirs d’études déçus. Et sa fierté devant la réussite de ses enfants.

Propos recueillis par 

Publié le 02 mai 2016 à 14h15, modifié le 07 mai 2016 à 18h14

Temps de Lecture 5 min.

Arrivé à 16 ans en France, Mohamed Bourhail a intégré l'école française. Ce bon en maths a été orienté vers une filière technique,

« Je n’ai pas pu réaliser mon rêve, devenir professeur de mathématiques. Depuis vingt-huit ans, je suis ouvrier dans une PME mais, aujourd’hui encore, il m’arrive de fermer les yeux et de m’imaginer enseignant. Après avoir raté une première fois mon bac, je l’ai retenté par correspondance. En vain. Ce double échec reste une blessure très lente à cicatriser.

Mais la reconnaissance, je l’ai obtenue au travers de mes six enfants. Leur réussite est ma revanche sur le destin. Même si je n’ai pas pu faire ce que je voulais, grâce à eux, je sais pourquoi je me réveille à quatre heures et demie du matin pour embaucher. Ils sont ma plus grande fierté, ils ont ou vont réussir tout ce que j’ai raté.

« En 2014, on a appris par un coup de fil du journal local que notre fille Myriam était meilleure bachelière de France. Ça a été le tourbillon. »

Ma fille aînée est professeure de sciences de la vie et de la terre à Soissons. Deux autres sont étudiants en master. Les deux derniers vont au collège et à l’école primaire. Et puis, il y a Myriam, 20 ans aujourd’hui et étudiante en médecine, meilleure bachelière de France en 2014, avec 21,03 de moyenne. C’est par un coup de fil de L’Union, le journal local, que j’ai appris la nouvelle. Après, ça a été le tourbillon.

La télé, la radio, les journaux… tout le monde voulait la rencontrer, et c’était moi le papa. Même le maire Front national de Villers-Cotterêts nous a envoyé une lettre. Mais on a décliné l’invitation. Ma femme Nadia et moi-même sommes d’origine marocaine. Il aurait été hypocrite de rencontrer un représentant d’un parti qui prône la haine des étrangers et n’est pas un parti républicain.

Lors des festivités du 14-Juillet, François Hollande nous a conviés à la tribune d’honneur. Myriam a été félicitée par les ministres Najat Vallaud-Belkacem et Benoît Hamon, et elle a même été applaudie par les députés à l’Assemblée nationale. C’était extraordinaire. Le roi du Maroc Mohammed VI l’a décorée, à l’occasion de la célébration de la Fête du trône. Vous vous imaginez, ma femme, ma fille et moi-même invités au palais royal à Rabat, nous, au milieu des gens les plus importants du royaume ?

Et je ne parle pas de tout le courrier. Parmi les lettres reçues du monde entier, il y en a une, écrite par un ingénieur français installé aux Etats-Unis, qui m’a particulièrement touché. Il me disait : “Vous me rappelez mon père. Comme vous, il a tout fait pour que je réussisse.”

« Mes enfants ont eu la chance d’être nés en France. Mais ils ont aussi travaillé dur. Tous ont choisi leur voie, nous n’avons pas décidé pour eux. »

Malgré toutes les difficultés, et même si, parfois, les fins de mois sont difficiles, mes enfants, parce qu’ils ont reçu une bonne éducation, vont faire quelque chose de leur vie. Ils ont eu la chance d’être nés en France et de pouvoir bénéficier de son système éducatif. Mais ils ont aussi travaillé dur. Tous ont choisi leur voie, nous n’avons pas décidé pour eux. En revanche, en tant que parents, nous les avons toujours suivis et encouragés. Quand ils étaient plus jeunes, j’aimais m’asseoir à côté d’eux pour les aider ou simplement les regarder faire leurs devoirs. Encore maintenant, je suis content de les emmener à l’école, de rencontrer leurs professeurs, de les ramener à l’université à la fin du week-end.

Je n’ai pas eu cette chance. Peut-être, aussi, que je n’avais pas les mêmes capacités qu’eux. Je suis arrivé en France à 16 ans. J’allais passer en troisième. Au Maroc, j’avais un bon niveau et même obtenu à un examen les meilleures notes de ma province située dans la région du Rif. A cette occasion, mon père m’avait envoyé un peu d’argent de France.

Dix ans auparavant, il avait quitté notre village pour travailler d’abord en Algérie puis à l’usine en Picardie. Comme mes quatre sœurs, j’ai été élevé par ma mère et mon grand-père. Pendant longtemps, mon père n’a été que cette voix enregistrée sur des cassettes audio, envoyées de France. Il nous rendait visite une fois par an mais c’était toujours triste. A son arrivée et à son départ, on pleurait parce qu’on savait qu’il allait repartir.

« En seconde, sans qu’on me demande mon avis, j’ai été orienté dans un lycée technique en dessin industriel. Je ne savais même pas ce que c’était. »

En 1979, toute la famille l’a rejoint à Villers-Cotterêts. Quelle joie d’être enfin réunis, mais aussi quelle peine de quitter mon grand-père adoré et tous mes amis. Quand je suis arrivé ici, je ne connaissais personne, je me demandais ce que je faisais là, dans cette petite ville de l’Aisne. Et puis, avec l’école, le foot, le karaté, je me suis fait des copains.

Au niveau scolaire, je me débrouillais. Pourtant, en seconde, sans savoir pourquoi et sans qu’on me demande mon avis, j’ai été orienté dans un lycée technique pour faire du dessin industriel. Je ne savais même pas ce que c’était. Mes parents non plus. Ils étaient analphabètes et donc incapables de suivre ma scolarité. Et puis, ils n’osaient pas aller voir les professeurs.

Après une année en lycée technique, je suis revenu dans l’enseignement général, d’abord en première à dominante mathématique, et ensuite, en terminale D, plus axée sur la biologie. Cette mauvaise orientation après le collège m’avait complètement perturbé. Quelque chose s’était cassé en moi. Pourtant, j’adorais l’arithmétique, la logique, les problèmes mathématiques. A l’époque, je donnais même des cours à des collégiens.

Après mon échec au bac, j’ai cherché du travail. En novembre 1988, je suis rentré à la Société de galvanoplastie industrielle, spécialisée dans les traitements de surface. J’y travaille toujours. J’ai appris le métier sur le tas. Je suis contrôleur de traitement BF5, un procédé breveté d’oxydation anodique chromique, utilisé pour les pièces dans l’aéronautique. Je gagne 1 800 euros par mois avec les primes. Dans une PME, les possibilités d’évolution et de formation sont limitées, je suis resté au niveau ouvrier.

« Quand je regarde le chemin parcouru, je me dis que, finalement, j’ai en partie réussi ma vie. »

Après toutes ces années, tout le monde me connaît – je suis élu CFDT – et m’appelle “Momo”. Augmentations de salaires, prime pour les postes difficiles, réduction des inégalités entre hommes et femmes… Avec mes collègues syndiqués, nous avons quand même réussi à obtenir des avancées dans la boîte.

Quand je regarde le chemin parcouru, je me dis que, finalement, j’ai en partie réussi ma vie. Mes enfants sont armés pour tracer leur route. La mienne est celle d’une enfance marocaine à la campagne, avec la figure de mon grand-père m’attendant à l’ombre d’un arbre. L’école était à sept kilomètres de la maison et il ne voulait pas, une fois mes camarades rentrés chez eux, que je fasse le dernier kilomètre seul. Je l’ai revu pour la dernière fois en 1979. Il est mort cinq ans plus tard, sans que je puisse lui dire au revoir. »

Jusqu’au 8 mai, retrouvez Mohamed Bourhail dans la nouvelle série documentaire de Laurent Delahousse, « Les Français », tous les dimanches en deuxième partie de soirée sur France 2.

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner

Voir les contributions

Réutiliser ce contenu

Lecture du Monde en cours sur un autre appareil.

Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil à la fois

Ce message s’affichera sur l’autre appareil.

  • Parce qu’une autre personne (ou vous) est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil.

    Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil à la fois (ordinateur, téléphone ou tablette).

  • Comment ne plus voir ce message ?

    En cliquant sur «  » et en vous assurant que vous êtes la seule personne à consulter Le Monde avec ce compte.

  • Que se passera-t-il si vous continuez à lire ici ?

    Ce message s’affichera sur l’autre appareil. Ce dernier restera connecté avec ce compte.

  • Y a-t-il d’autres limites ?

    Non. Vous pouvez vous connecter avec votre compte sur autant d’appareils que vous le souhaitez, mais en les utilisant à des moments différents.

  • Vous ignorez qui est l’autre personne ?

    Nous vous conseillons de modifier votre mot de passe.

Lecture restreinte

Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article

Pour plus d’informations, merci de contacter notre service commercial.