
Une femme sur sept (14,5 %) a été concernée au moins une fois dans sa vie, selon une enquête publiée par l’INED à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, qui se déroule le 25 novembre. Cette étude révèle que 62 000 femmes déclarent avoir été victimes de viol ou tentative de viol dans l’année, et ce chiffre atteint même 580 000 lorsqu’on étend à des agressions sexuelles (attouchements, baisers ou rapport forcé...).
Loin d’être définitifs, ces chiffres ne constituent que des ordres de grandeur tant les violences sexuelles constituent un sujet tabou. Alors que les victimes de harcèlement ou d’agression ont trois ans pour saisir la justice et dix ans en cas de viol (mais jusqu’à vingt ans après la majorité pour une victime mineure au moment des faits dans tous les cas), le nombre de plaintes et de condamnations reste faible. Explications.
« Les victimes doivent être entourées et prises en charge »
Selon les chiffres du ministère de la justice, entre 5 000 et 7 000 condamnations pour violences sexuelles sont prononcées chaque année. Environ un quart d’entre elles concernent des viols, le reste mélangeant les agressions sexuelles et les cas de harcèlement sexuel.
Des chiffres très éloignés des plaintes déposées en gendarmerie ou au commissariat (plus de 30 000 en 2014) :
« Il y a beaucoup d’affaires classées et de non-lieux faute de preuve, avance la psychiatre Muriel Salmona, présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie, qui accompagne les victimes de violences. Certaines enquêtes préliminaires peuvent être bâclées, et la parole des victimes est parfois décrédibilisée parce qu’elles commettent des imprécisions. »
Selon elle, « on ne prend pas suffisamment en compte l’état post-traumatique » dans lequel se trouvent les personnes agressées, qui fait qu’elles peuvent apparaître déconnectées de leurs émotions et ne pas susciter d’empathie. « Elles doivent être entourées et prises en charge. »
Même quand il y a condamnation, la réponse judiciaire n’est pas toujours à la mesure de la gravité des faits. Dans de nombreux cas, des viols sont déqualifiés en agressions sexuelles, selon une étude menée au tribunal de grande instance de Bobigny (Seine-Saint-Denis) dévoilée en mars 2016. Résultat : des crimes qui devraient en principe être jugés aux assises sont jugés comme des délits, avec une attention et, le cas échéant, des peines nettement inférieures. « Une véritable injustice », estime Muriel Salmona.
La grande majorité des victimes ne portent pas plainte
Autre barrière : plus de neuf victimes sur dix ne portent pas plainte, selon les chiffres de l’Insee et de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP).
En interrogeant directement les hommes et femmes de 18 à 75 ans, les enquêtes « Cadre de vie et sécurité » font apparaître des centaines de milliers de victimes qui n’ont pas poursuivi leur agresseur. Sans même être exhaustive, elles montrent le gouffre entre la réalité des violences et leurs suites judiciaires. Moins d’un viol commis sur personne majeure sur cinquante serait ainsi sanctionné d’une condamnation.

« Il y a une vraie difficulté à porter plainte à cause de la peur, des pressions voire du chantage affectif dans le cadre des violences conjugales », explique Muriel Salmona. Les victimes ne connaissent pas toujours leurs droits, notamment dans les cas de harcèlement sexuel, souvent minimisés. « Tout est fait pour banaliser les choses, y compris dans l’entourage », souffle la psychiatre.
La culture du viol et les stéréotypes restent largement répandus en France, selon un sondage Ipsos publié en décembre 2015 : 33 % des personnes interrogées estimaient par exemple, à tort, qu’une fellation forcée n’était pas un viol (en pratique, on parle de viol dès qu’il y a acte sexuel avec pénétration, mais sans consentement). De même, la notion de consentement semble poser des difficultés à au moins 21 % de répondants, selon lesquels les femmes peuvent « prendre du plaisir à être forcées ».
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