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« Diamond Island » : le bijou pop de Davy Chou, bulle de béton, de néons et d’adolescence

A la Semaine de la critique, le cinéaste franco-cambodgien signe un « teen-movie » sensible, drôle et mélancolique.

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Publié le 13 mai 2016 à 20h52, modifié le 29 mars 2017 à 10h16

Temps de Lecture 5 min.

Une scène du film cambodgien et français de Davy Chou, « Diamond Island ».

Semaine de la critique

Quand on porte un nom aussi mignon que celui de Davy Chou, la moindre des choses est de lui rendre grâce. Et c’est bien ce que ce jeune Français d’origine cambodgienne, reconnaissable entre mille à ses petites lunettes ovales, sa chevelure noire ébouriffée et son sourire mutin, a fait il y a dix ans, en intitulant son premier court-métrage Le Premier Film de Davy Chou. Il n’avait pas 20 ans, mais déjà un solide sentiment de son être et de son destin.

Six ans plus tard, il faisait parler de lui dans le monde entier avec un beau documentaire, Le Sommeil d’or, exploration du continent merveilleux du cinéma cambodgien,englouti par la folie des Khmers rouges. Et le voici de retour, sous les sunlights de la Croisette, avec Diamond ­Island, son premier long-métrage de fiction dont les spectateurs de la Semaine de la critique sont sortis étourdis, des étoiles plein les yeux.

Diamond Island, c’est d’abord un lieu. Une île reliée à Phnom Penh dont se sont emparés des promoteurs immobiliers pour bâtir, à partir de rien, un paradis pour riches de même nature que celui qui fondait, il y a plus d’un siècle, le premier projet urbanis­tique de Coney Island, à New York. Cette colonie d’immeubles de luxe, de centres commerciaux et de fêtes foraines en chantier permanent, dont on ne s’échappe qu’à de très rares moments, en est à la fois le personnage principal, et la matrice esthétique.

Davy Chou à Cannes, le 13 mai 2016.

Gracieux ballet

Ses néons scintillants, les quadrillages que découpent dans le ciel les grues, les échafaudages, les carcasses d’immeubles donnent sa forme pop et hyper-graphique à ce teen movie sensible et drôle, léger en apparence mais travaillé par une ligne de basse dure et mélancolique. S’il fallait situer le film quelque part, ce serait à l’intersection de The World, de Jia Zhang-ke (2005), de Three Times, de Hou Hsiao-hsien (2004), et d’un clip d’Apichatpong Weerasethakul. Il y a pire.

Tout est plus beau la nuit à Diamond Island. C’est pour elle que vivent les personnages du film, ces garçons et ces filles fraîchement débarqués de leur campagne dont la beauté violente menace en permanence de mettre le feu à l’écran. Pour le grand théâtre de séduction qu’elle abrite, pour l’excitation des boîtes de nuit, pour la beauté magique des visages éclairés à la lumière des portables, pour voir leurs Frisbee aux capteurs phosphorescents se transformer en soucoupes volantes…

C’est pour la nuit que vivent ces garçons et ces filles dont la beauté violente menace en permanence de mettre le feu à l’écran

Le jour les renvoie à une condition d’esclaves dont ils sont bien conscients mais dont ils se moquent, persuadés de n’être pas là pour rester longtemps. Rien ne viendrait troubler la fête si un jeune homme à la grâce androgyne et au regard ombrageux, ­Solei de son prénom, n’y faisait planer son ombre comme un oiseau de mauvais augure. Cette créature mystérieuse, filiforme, tout de noir vêtue, tombe nez à nez avec Bora, son petit frère qu’il n’a pas vu depuis qu’il a quitté la famille cinq ans plus tôt et coupé tout contact avec elle. Pourquoi ce silence ? Comment en est-il devenu ce garçon si cool, si riche, qui roule à moto, offre des iPhone 6 à ses proches, parle d’aller vivre aux Etats-Unis ? Le mystère restera épais, mais l’expression de son visage traduit l’amertume de ceux qui ont perdu leur innocence. ­Solei sait ce qu’il en coûte de s’arracher à la classe des pauvres, et les idées de réussite qu’il met dans la tête de son petit frère sonnent la fin de la récréation.

Ode sensuelle et scintillante à la jeunesse, Diamond Island est travaillé, comme l’était Le Soleil d’or, par la tragédie de l’acculturation. Une question que le génocide khmer, qui était aussi un génocide culturel, rend sans doute plus aiguë au Cambodge que n’importe où ailleurs.

Carcasses d’immeubles rutilants

Point de salut aujourd’hui pour qui ne maîtrise pas la langue de la mondialisation. Le reste ne vaut rien. Que cette forêt d’immeubles froids et anguleux qu’est Diamond Island, dont la publicité vante le « style européen », soit devenue l’emblème de la réussite d’un pays dont l’architecture traditionnelle, tout en courbes et en raffinements sculpturaux, est une des plus sublimes du monde n’est pas le moins symptomatique, ni le moins cruel des paradoxes. Nul besoin de discours. En s’en tenant comme il le fait à chorégraphier le gracieux ballet de ces jeunes personnages entre deux Saint-Valentin, le temps pour les constructions en chantier d’accéder à l’état de carcasses d’immeubles rutilants, il brasse une forêt de signes qui vaut bien mieux.

« Tu sais où c’est l’Egypte ? » A cette question qui revient comme un running gag, la belle Aza, dont Bora est amoureux, a une réponse magnifique : « Ils ont des dieux à la tête de chien et d’oiseau qu’ils enferment dans leurs pyramides. » Mais Solei se détournera d’elle au profit d’une fille plus intéressante socialement, et moins aimable. Comme toutes les bulles, celle de l’adolescence insouciante de Diamond Island finira par exploser. Au petit matin, entre les tours ­rutilantes, on risque alors de glisser sur une baudruche vide de ­luciole numérique.

Film cambodgien et français de Davy Chou avec Sobon Noun, Cheanik Nov, Madeza Chhem (1 h 41). Sur le Web : www.filmsdulosange.fr/fr/film/230/diamond-island

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